Atomic Radio 137 Live à KLAP dans le cadre du festival Reevox

Ondes de choc

 

En exhumant la matière contaminée de Tchernobyl, la performance musicale Atomic Radio 137 Live, programmée dans le cadre du festival Reevox, aura marqué bien des esprits.

Une date sinistre : le 26 avril 1986. Un lieu dont le nom claque avec fracas sitôt prononcé : Tchernobyl. Et un événement qui fait encore frissonner… Presque vingt-sept ans plus tard, la chose est encore là. Saisissante comme la catastrophe nucléaire dont elle s’imprègne, la pièce Atomic Radio 137 Live résulte de la collaboration entre le poète Pascal Rueff et le compositeur-performeur Christophe Ruetsch. En 2008, ils se retrouvent autour d’une idée précise : choisir Volodarka, petit village situé à une quarantaine de kilomètres de l’ancienne centrale nucléaire, comme cadre de création d’une résidence artistique. Jour après jour, ils arpentent la zone contaminée où la végétation, luxuriante, a repris le dessus. Ils sont « au cœur du paradoxe ». Au cours de leurs excursions, de ces heures passées dans un état perceptif intense, ils mettent en boîte diverses sources sonores : des oiseaux qui gazouillent, les herbes secouées par le vent, des véhicules qui passent, des paroles d’habitants, sans oublier le dosimètre (appareil permettant de mesurer la radioactivité). Autant de matériaux qui constituent le bouillon obsédant retranscrit sur scène.
Inappropriée parce que trop classique, la scénographie frontale scène/gradins a été remplacée par une mise en scène circulaire intimiste autour de laquelle est installé le public. Entourés d’éclairages intermittents, les deux compères sont placés au centre d’une mystérieuse paroi de métal cylindrique à travers laquelle on peut les voir en action. Ce tube fait penser à une salle de commandement, une grosse cheminée industrielle ou au centre névralgique du fameux réacteur… Lorsque l’un des deux performeurs diffuse et malaxe savamment divers bruitages électroacoustiques venus agrémenter les éléments sonores, l’autre scande à haute voix un texte percutant. Une sorte de journal de bord qui témoigne des singularités vécues non loin de la bête assoupie, mais toujours aussi dangereuse, à l’instar des particules de césium 137 (d’où le titre de la pièce) jadis rejetées dans l’air. Les précisions factuelles relatives au séjour viennent s’entrechoquer avec une poésie inquiétante. Sobres, justes, les phrases explosent parfois avec brutalité. Comme pour donner écho aux cris des victimes, les fameux liquidateurs, venus jadis éteindre « l’incendie ».
La performance se suffit à elle-même ; des illustrations externes auraient probablement cassé les dynamiques en jeu. Nous sommes donc dans le domaine de la suggestion, sonore, faisant appel aux perceptions subjectives, qui transportent le spectateur à son tour « au cœur du paradoxe ». Formule répétée, comme un prêche rappelant la forfaiture collective cachée sous plusieurs couches de béton. Atomic Radio 137, ou comment nous rappeler cette gifle magistrale encore à l’œuvre. Pour longtemps.

Valentin Lagares

 

Atomic Radio 137 Live est la version scénique d’un atelier de création radiophonique réalisé en juin 2009 pour France Culture. Elle était programmée les 7 et 8/02 à KLAP dans le cadre du festival Reevox