Christiane Michel en 2019 © CMB

Arnaque au salon d’art contemporain d’Aix : la fondatrice condamnée à payer 211 000 euros

La créatrice du Sm’art, festival d’art contemporain d’Aix-en-Provence, vient d’être condamnée à rembourser 211 000 euros d’impayés à une dizaine de prestataires. Pendant plusieurs années, Christiane Michel a accumulé les dettes tout en continuant à tirer des bénéfices du festival.

 

 

L’association n’a plus les fonds, alors c’est la gérante elle-même qui paiera l’addition. Voici, en somme, la condamnation prononcée par la chambre économique et commerciale du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence à l’encontre de Christiane Michel et ses deux structures en défaut de paiement. Depuis 2015, l’organisatrice du festival d’art contemporain Sm’art à Aix-en-Provence est poursuivie par une dizaine de prestataires, dont les factures n’ont jamais été réglées. Le 12 mai, la justice a condamné la gérante à combler le passif, estimé précisément à 211 473 euros.

Comme d’habitude début mai, le festival, qualifié de « grand événement » par la mairie de la deuxième ville de la métropole, a habillé de toutes les couleurs le parc Jourdan, et attiré 20 000 visiteurs. Le salon d’art contemporain participe au prestige d’Aix-en-Provence. Depuis sa création en 2005, c’est Christiane Michel qui est aux manettes. Mais derrière les paillettes, les comptes sont au rouge.

Et c’est une dizaine de créanciers, vidéastes, publicitaires ou partenaires mobilisés sur le festival, qui attendent toujours leur dû. Sauf que les deux associations présidées tour à tour par Christiane Michel ont été liquidées. Dans son jugement, consulté par Marsactu, le tribunal estime que la comptabilité du festival est « irrégulière » et « incomplète », non par « négligence » mais bien par « faute de gestion ». Faute qui s’illustre par « le caractère répété et systématique [d’un] esprit de fraude […] d’une particulière gravité », lit-on.

C’est dans Marsactu, il y a quatre ans pile, que ce différend judiciaire était révélé. Dans notre enquête du 18 mai 2019, nous expliquions que la fondatrice du Sm’art avait mis sur pied un système frauduleux lui permettant de poursuivre le festival tout en accumulant des dettes. En effet, une première association, nommée Art Tension, a servi à encaisser le chiffre d’affaires du festival jusqu’en 2016. À cette période déjà, au moins trois prestataires se plaignent d’impayés et obtiennent gain de cause devant les tribunaux. Mais Christiane Michel ne peut régler la somme, puisque les caisses d’Art Tension sont vides. Le festival enregistre pourtant environ 500 000 euros de chiffre d’affaires chaque année : l’organisatrice a transféré les fonds vers une deuxième association, Sm’art organisation.

 

« Mauvaise foi » et chèques en bois

La première association, criblée par les dettes, est donc abandonnée au profit de la seconde. Et le festival peut ainsi continuer. En 2018, Art Tension est, sans surprise, liquidée par le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence. Puis en 2020, la justice décide de liquider la seconde association, Sm’art Organisation, en considérant que les comptabilités des deux structures sont imbriquées. Imbrication qui a permis au festival de continuer à briller, sans jamais rembourser les créanciers.

En plus d’être jugée « responsable de l’insuffisance d’actifs », Christiane Michel est aussi condamnée à dix ans de « faillite personnelle ». Autrement dit, elle n’a plus le droit de créer ou de gérer des sociétés, y compris indirectement. Cette condamnation suit les réquisitions énoncées à l’audience par la vice-procureure Nathalie Vergez, qui avait souligné la « gravité » et la « persistance des fautes » commises, le tout, sous couvert de « mauvaise foi ».

Car au gré des différentes procédures judiciaires, Christiane Michel a multiplié les mensonges. La justice a par exemple découvert que la mise en cause a falsifié des relevés de comptes bancaires en effaçant une ligne. Et ce, plusieurs fois, comme on peut le lire dans le jugement. La créatrice du festival a aussi fait opposition à son chéquier à deux reprises, en le déclarant volé, alors même que les deux chèques opposés devaient servir à payer deux prestataires. « Une grande coïncidence », avait relevé avec ironie le représentant du liquidateur des associations, l’avocat Gilles Mathieu. Enfin, une attestation écrite avait semé le doute et fait bondir le parquet lors de l’audience du 25 mars, qui avait annoncé dans la foulée « ouvrir une enquête pour procédure en faux qui sera portée devant le tribunal correctionnel. »

 

Une troisième structure créée en secours

Entre l’audience de fin mars et la condamnation du 12 mai, le Sm’art a encore pu s’illustrer en plein cœur d’Aix-en-Provence, entre le 4 et le 8 mai. Christiane Michel ne s’est pas présentée au tribunal, elle a en revanche bien assuré la promotion de son festival en accordant un entretien à La Provence. Et si le Sm’art tient encore le haut de l’affiche à Aix, c’est grâce à une troisième structure, créée après la liquidation de deux premières associations. Baptisée Arty Events, cette société est détenue à 70 % par la fondatrice du festival. L’un des deux chéquiers déclarés volés appartient d’ailleurs à cette structure. « Est-ce qu’il faut étendre la liquidation judiciaire à Arty Events ? Et après, on aura droit à la création d’une quatrième structure pour financer le festival ? », s’était insurgée la vice-procureure.

En défense, l’avocat de Christiane Michel, Jean-François Duran, avait tenté d’invoquer la prescription de certains faits, sans succès. Avant d’assurer que sa cliente de 76 ans était « en train de quitter le monde des affaires », n’était plus rien d’autre qu’une « associée d’Arty Events » et vivait désormais de revenus modestes. Et de rejeter la qualité de « dirigeante » de Christiane Michel, dans la mesure où cette dernière a passé le flambeau de la première association, Art Tension, en 2016. Argument balayé par le jugement, qui estime au contraire que « madame Michel s’est comportée comme dirigeante de fait », jusqu’à la liquidation de 2018. Et même encore après.

En raison de la « gravité » et de la « répétition » des faits, le tribunal demande l’exécution provisoire de la peine. Mais Christiane Michel sera-t-elle en mesure de rembourser ce qu’elle doit ? En 2020, lorsque les deux premières associations ont été liquidées, la justice estimait le montant des dettes à 95 000 euros. Aujourd’hui, le tribunal judiciaire a plus que doublé la facture. Reste à savoir quand et comment les différents prestataires lésés pourront récupérer leur dû. Et si le festival d’art contemporain pourra survivre après ce fiasco financier.

 

Clara Martot Bacry