Argent public et propagande électorale : quand les candidats flirtent avec les limites

Dans les six mois précédant l’élection municipale, les collectivités sont censées mettre le holà sur la communication. Magazines, pubs, boîtage, visites ministérielles : en funambules sur une ligne de légalité, des candidats n’hésitent pas à recourir aux moyens de leurs collectivités ou à associer leur image avec celle du gouvernement.

 

Un appel à voter pour sa candidate Martine Vassal (LR) lors des vœux à la population. Vendredi 10 janvier, au parc Chanot, Jean-Claude Gaudin a posé de manière fracassante la question de la frontière entre communication publique et propagande électorale. Dénoncée cette fois-ci par Bruno Gilles, candidat dissident, l’utilisation des moyens d’une collectivité dans l’optique des municipales fait l’objet d’interpellations régulières. Marsactu fait le point sur certains exemples litigieux.

 

 

Un magazine ?

En septembre 2019, le retrait en urgence du numéro d’été du magazine Accents de Provence avait illustré la sensibilité du sujet. Cette date marquait l’entrée dans la période de six mois avant l’élection, où le cadre se durcit, notamment l’absence de « campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ». Marsactu avait alors raconté comment les services de Martine Vassal au conseil départemental avaient jugé que le numéro, par la présence importante de l’élue et la présentation très laudatrice de son action, aurait pu être vu comme une entorse à ces règles.

 

 

Une pub dans le métro ?

Outre ce cas d’école d’Accents de Provence et l’exemple des vœux, le troisième principal écueil des candidats se situe au niveau de la publicité, qu’elle soit dans les journaux ou dans l’espace public. De par son rôle à la tête de deux institutions majeures, c’est Martine Vassal qui est naturellement la plus concernée.

Parmi les campagnes récentes, celle menée dans le métro de Marseille autour de la sécurité semble la plus susceptible d’avoir franchi la ligne. Elles sont installées sur les panneaux traditionnels sur les quais mais aussi dans les rames, mimant le visuel des plans de ligne. Les affiches vantent « des mesures fortes. Le département et la métropole améliorent votre sécurité dans le métro marseillais. » Le « terminus », écrit en gras, fait la promotion de la « nouvelle patrouille de 20 policiers municipaux dédiée aux transports ». Une mesure emblématique qui avait été annoncée dans des conditions particulières : la présidente de la métropole, autorité organisatrice des transports, l’avait dévoilée en juin, soit cinq mois avant que le conseil municipal de Marseille, compétent en matière de police municipale, ne la valide.

Dans son guide sur le sujet, l’association des acteurs de la communication publique Capcom explique que le juge apprécie les cas concrets à partir d’« un ensemble d’éléments constituant un faisceau d’indices ». Qualifiant l’affichage public de « danger important pour les élus candidats », un dossier du magazine spécialisé Le Courrier des maires insiste sur la nécessité d’un contenu purement « informatif » ou justifié par l’actualité.

Si Martine Vassal n’apparaît pas en tant que telle dans la publicité — un autre des critères importants — le fait qu’elle se soit personnellement impliquée en faveur de cette mesure peut compter. La jurisprudence comporte un cas similaire, celui de la campagne de Jean-Paul Huchon (PS) en 2010 pour la région Île-de-France dans le métro parisien. Des affiches annonçaient alors « la Région fait grandir vos transports », montrant les chantiers récents ou en cours. Le « caractère massif » (il s’agissait de « 4 par 3 ») avait alors pesé dans la décision. Les dépenses avaient été intégrées aux comptes de campagne, les faisant dépasser le plafond. Jean-Paul Huchon n’avait pas reçu de remboursement public mais l’élection n’avait pas été annulée par la justice, au vu de l’écart important avec la liste arrivée deuxième.

Contactée, la métropole nous a indiqué que la campagne avait été lancée par… le département des Bouches-du-Rhône, dont le rôle institutionnel semble se limiter au financement. Nous n’avons pas réussi à le joindre dans le délai imparti à la publication de cet article.

 

Le courrier envoyé par Bruno Gilles depuis le Sénat. Photo DR.

 

Un dépliant dans la boîte à lettres ?

S’il critique l’utilisation de moyens publics par Martine Vassal, Bruno Gilles n’a pas hésité à flirter avec les règles. En mars 2019, les électeurs marseillais ont reçu un dépliant de quatre pages vantant sa proposition de loi contre l’habitat indigne. Cette date, correspondant à son premier passage au Sénat, suffit à minorer le risque de requalification en propagande électorale. Le contenu, principalement centré autour des mesures de la proposition de loi, déborde cependant sur les axes proposés en novembre 2018 par l’élu, juste après le drame de la rue d’Aubagne, dans une posture où le candidat ne paraissait pas loin derrière le sénateur. Quant à un autre critère important : l’édition précédente de dépliants similaires, pour montrer qu’il ne s’agit pas d’une opération « spéciale », Bruno Gilles nous assure « qu’il y a eu d’autres envois » dont nous n’avons pas retrouvé trace. Il s’agit de la seule proposition de loi que Bruno Gilles ait fait voter en deux mandats.

Dans cette catégorie des boîtes à lettres, les mairies de secteur sont également à surveiller.

 

Photo du compte Twitter de Christelle Dubos.

 

Une visite ministérielle ?

Autre classique des controverses électorales : la visite ministérielle. Une circulaire ministérielle appliquée aux élections européennes, publiée par le Figaro, estimait qu’un déplacement ne présentait « pas de difficulté », sauf s’il « a pour objet de soutenir un candidat », auquel cas « le recours à des moyens publics est prohibé ». En décembre, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez a adopté la recette éprouvée mais tendancieuse du mix : un déplacement officiel à Aix-en-Provence, ponctué d’un passage d’une heure dans le local de campagne d’Anne-Laurence Petel pour soutenir la candidate de LREM.

Le 9 janvier 2020, le candidat à la mairie de Marseille Yvon Berland a pratiqué une variante, en apparaissant en compagnie de la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités Christelle Dubos, lors d’une conférence régionale dédiée à la stratégie de lutte contre la pauvreté. Si son porte-parole Saïd Ahamada, également présent, pourrait arguer de sa qualité de député, rien dans les fonctions actuelles de la tête de liste — il n’est plus président de l’Université Aix-Marseille et est médecin néphrologue à l’AP-HM — ne le destinait à participer à ce débat. « Il n’a été invité ni par nous ni par la préfecture et ce n’est pas souhaitable qu’une personne, quelle qu’elle soit, se joigne à un déplacement ministériel soit y avoir été invitée », pose le cabinet de la secrétaire d’État. Le protocole habituel veut en effet que seuls les parlementaires et les représentants des collectivités locales soient conviés.

Mais au ministère, on insiste avoir « veillé au respect du cadre républicain : les échanges s’en sont tenus aux politiques publiques, sans contenus partisans et cette personne n’a pas pris la parole ». Cette affirmation est difficile à vérifier, la réunion n’ayant pas été publique, mais on peut noter, à décharge, que les participants se limitaient à une quinzaine de jeunes en insertion. Interrogée, l’équipe du candidat n’a pas répondu à nos demandes de précisions. En novembre dernier, il avait déjà affiché sur les réseaux sociaux ses discussions avec la ministre de la Santé Agnès Buzyn, en visite à l’agence régionale de santé, sans hésiter à ponctuer son tweet d’un #Municipales2020.

 

Julien Vinzent