Grégory Dargent - H

Photos

« Quand la bombe a explosé, quand le ciel s’est illuminé, je me suis senti transpercé, comme au travers d’une glace, au travers d’un verre d’eau…moi…je me suis tout vu à l’intérieur. »
Témoignage -Vents de sable (Larbi Benchiha)

Comment aurais-je pu savoir que moi aussi je me serai tout vu à l’intérieur au bout de ces 3 voyages ? Je ne me souviens plus à quel instant a eu lieu la bascule, intime, lors de laquelle j’ai compris que je ne faisais pas ces 3000 km uniquement pour parler d’eux. Sur un coup de tête il y a 2 ans, je m’improvise photographe et décide de partir en plein milieu du Sahara, à Reggane, là où pas grand monde ne va. « Pourquoi vas-tu là bas, il n’y a que des irradiés ? ». Première discussion autour d’un café à Alger avant de prendre ma correspondance, premier sourire intérieur. Oui je veux photographier les irradiés de Reggane, je veux rencontrer les spectres dans le désert. 24h plus tard, j’erre dans les ruelles brulantes du triangle de feu algérien et commence à saisir, au fil des rencontres, que les fantômes que je suis venu trouver ne s’offriront pas à mon regard. Evidemment. On me parle du champignon atomique comme d’un arc en ciel apparaissant en pleine nuit dans le désert, de la bombe Gerboise bleue à cause de laquelle il n’y a plus de gerboises dans le coin et de cette lumière transperçant les murs et les âmes. Pourtant le seul flou qui m’apparaisse, la seule silhouette troublée, vibrante et diaphane que je rencontre, c’est moi. Eux sont entiers, ils savent ce qu’ils font là. Et je suis un des innombrables fantômes des 17 essais nucléaires français, 60 ans après. Ce livre ne parle pas seulement d’eux, il  soulève cette question que je ne m’étais même pas posée: Pourquoi… Pourquoi ai-je éprouvé l’urgence absolue de photographier la vie au point zéro des explosions atomiques? Pourquoi moi, fils et petit fils de militaires français ayant vécu à Alger jusqu’à la guerre, je suis parti là-bas 60 ans après, alors que l’Algérie fut un sujet si peu abordé et que je n’ai réalisé mon lien à cette terre que tardivement? Pourquoi exprimer cela en images alors que je suis musicien, joueur de oud? Et affubler ce livre d’une consonne muette, ce H... juste un souffle. Je repars à Reggane 4 mois plus tard, puis enfin à Tamanrasset, vers In Ekker. Au total, je ne passe que 20 jours sur place, en trois voyages éclairs durant lesquels je croise mes peurs et ma solitude. Je photographie sans cesse, dans les transports, dans ma chambre, dans mes nuits sans sommeil, ces hommes et ces femmes que je rencontre et qui me racontent… Le souffle de ces explosions danse encore en moi et chante au travers du H de hanté, du H de la bombe et du H de l’hérédité, dans un jeu de cache-cache entre cette lumière aveuglante et mon héritage silencieux. Ce livre est un miroir déformant et là où je n’aurais jamais pensé mettre de mots, j’y ai trouvé mes premières images.

Gregory Dargent


Rétine Argentique
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