Kharmora - L'Afghanistan au risque de l'art

Photos, peintures, objets d’art, vidéos, installations, calligraphies d'artistes afghans contemporains. Commissariat : Guilda Chahverdi et Agnès Devictor.

Depuis 2001, une nouvelle génération d’artistes a vu le jour en Afghanistan, après 20 ans de guerres et un gouvernement taliban hostile aux formes artistiques et aux pratiques culturelles. Mais le contexte de paix retrouvée a vite basculé dans celui d’une nouvelle guerre entre le gouvernement afghan, les forces de la coalition internationale et les talibans. Des attentats en série ont fragilisé le pays, ciblant les villes et imposant une sécurisation des lieux publics de plus en plus sévère jusqu’à l’attaque suicide survenue le 11 décembre 2014 dans la salle de spectacle de l’Institut français d’Afghanistan à Kaboul. Fragilisée par ces enjeux sécuritaires, la scène culturelle et artistique locale n’a pas disparu pour autant. Les artistes ne se sont pas tus, inventant de puissantes réponses formelles et le public n'a pas non plus déserté les lieux, prenant des risques parfois vitaux.

L’exposition vise à interroger les e ets de cette problématique dans la création, la di usion et la réception de l’art et de la culture, en Afghanistan et ailleurs. Elle déplace ainsi des questions qui touchent particulièrement les pays méditerranéens fragilisés par des attentats qui ont ciblé des lieux de culture et de patrimoine et qui menacent en sourdine l’ensemble de la création. Centrée sur l’actualité et partant du paradigme afghan, cette exposition sera accompagnée de journées d’études et d’une programmation artistique (cinéma, théâtre et musique).

L’originalité de cette exposition est de donner à voir cette création contemporaine, loin des idées reçues et des attentes romantiques souvent portées en Occident à l’encontre de l’Afghanistan. Elle se focalise sur l’étrange et complexe dialogue qui se noue entre des artistes avec la situation d’insécurité et les réponses très variées qu’ils lui apportent.

L’exposition présente une soixantaine d’œuvres d’artistes contemporains : photographies, peintures, objets d’art, vidéos, installations, calligraphies. Cette sélection présente les œuvres les plus originales et les plus représentatives de cette génération en rendant compte de la variété des supports et des formes qu’ils explorent pour exprimer l’horreur des attentats et d’une mort omniprésente dans un espace urbain devenu hostile à ses habitants et pour témoigner, non sans humour, des croyances dans une sécurité promise et jamais atteinte et des désillusions amères qu’elle provoque.

+ projection en continu du documentaire True Warriors de Niklas Schenck et Ronja Von Wurmb-Seibel (Allemagne / Afghanistan, 1h30, 2017) - Entrée libre
Le 11 décembre 2014, tandis que la compagnie de théâtre Azdar donne la première du spectacle Battements de cœur : le silence après l’explosion sur la scène de l’Institut français d’Afghanistan, une explosion survient dans la salle. L’attentat-suicide fait trois morts. La scène culturelle afghane en sera radicalement bouleversée.

Le film donne la parole aux artistes alors sur scène et au public présent ce soir-là. Il permet, dans un autre registre que celui de l’exposition, d’interroger le risque sécuritaire et la place de l’expression artistique contemporaine en Afghanistan. 


Mucem - Fort Saint Jean
Tlj (sf mar) 11h-18h
0/7,50/11 € (billet famille : 18 €). Gratuit le 1er dimanche de chaque mois
www.mucem.org
7 promenade Robert Laffont - Esplanade du J4
13002 Marseille
04 84 35 13 13

Article paru le mercredi 11 dcembre 2019 dans Ventilo n° 439

Kharmora – L’Afghanistan au risque de l’art au Mucem

Complètement Kaboul

 

Le Mucem met l’Afghanistan à l’honneur dans une exposition permettant tout à la fois de découvrir une nouvelle génération d’artistes et de saisir les enjeux de la création dans un pays encore marqué par les stigmates de la guerre.

  Kharmora permet de parler de l’Afghanistan et de sa capitale, Kaboul, terre oubliée dans les conflits mondiaux, en donnant la parole aux artistes contemporains ayant vécu la guerre et l’exil, qui essaient de se reconstruire et de défier toutes les formes d’obscurantisme. L’exposition nous offre ainsi une vision engagée et inspirée de ce pays tout autant qu’une diversité de productions. En 2001, à la fin de la guerre contre les talibans, les artistes reviennent d’exil et les structures culturelles tentent une reconstruction. Pour une courte durée, car les espoirs sont balayés par les forces obscures encore présentes sur le territoire, que ce soit les talibans ou l’État islamique, laissant peu de place à la liberté d’expression. S’exposer, créer, s’exprimer, performer devient alors une véritable gageure dans un pays et une ville, Kaboul, toujours en proie à des conflits ou à des attentats. En marge et comme une introduction à la visite de l’exposition, le film documentaire True Warriors nous plonge dans le contexte d’insécurité permanente qui prédomine dans le pays. L’exposition dévoile ensuite les pièces de onze artistes — sur de multiples supports : tableaux, interprétations de contes, calligraphies, installations, photos… —, dans lesquelles la peur, la tristesse et la mort sont omniprésentes. On y découvre la fameuse Kharmora qui donne son nom à l’exposition, une pierre pouvant apporter le bonheur ou réaliser des souhaits selon la croyance populaire, faisant office d’introduction à la suite, entre rêve et désillusion. On retiendra particulièrement la performance de Kubra Khademi qui, vêtue d’une armure couvrant son sexe et ses seins, a défilé dans les rues de Kaboul en défiant le regard des autres pour dénoncer la soumission de la femme. Depuis, l’artiste a dû quitter le pays et vit désormais en France. On est également sidéré face au corps allongé et surligné de blanc, comme une scène de crime, de Hadj Moravej lors d’une marche pendant laquelle son corps s’est effondré 21 fois, rappelant le nombre de victimes lors d’un attentat quelques jours auparavant. Les peintures nous rappellent quant à elles le sort des minorités, victimes rêvées des régimes extrémistes. Morteza Herati nous offre un peu de répit avec sa série photo sur les garçons du fleuve, qui montre de jeunes adolescents s’offrant quelques moments d’insouciance en se baignant, leurs pantalons bouffants remplis d’air — et peut-être d’espoir ! Les œuvres exposées sont autant d’actes de résistance face aux menaces permanentes qui pèsent sur ces femmes et ces hommes, dont la plupart ont dû à nouveau se réfugier à l’étranger. Les nombreux épisodes sanglants des dernières années ont profondément marqué la communauté artistique en lui donnant encore plus de matière et d’engagement. En sortant libres comme l’air sur le parvis du musée, on comprend d’autant plus la nécessité de cette création artistique afghane dans un territoire où la liberté (d’expression) reste encore souvent un vain mot.  

Cécile Mathieu

 

Kharmora – L’Afghanistan au risque de l’art : jusqu’au 1/03/2020 au Mucem – Fort Saint Jean (Esplanade du J4, 2e).

Rens. : www.mucem.org