Varian Fry, un monde en exil. 1940-1945

Expo pédagogique et culturelle proposée par l'Association Varian Fry-France

Varian Mackey Fry est né à New York le 15 octobre 1907, dans une famille aisée de la côte Est. Il passe son enfance à Ridgewood, dans le New Jersey, puis mène la jeunesse dorée d'un élève brillant mais peu discipliné, passionné par les arts et la littérature. Étudiant à Harvard (Université de Cambridge, Massachusetts), il se spécialise alors dans les lettres classiques. À vingt-trois ans, il obtient son diplôme et épouse une journaliste de deux ans son aînée, Eileen Avery Hugues. Le couple s’installe à New York 56, Irvin Place. Ils voyagent en Europe, Grèce et Turquie puis Varian Fry poursuit des études en relations internationales et journalisme à l'Université de Columbia (New York). Il s'intéresse déjà à la politique, devient membre du Parti Libéral de New York.

Varian Fry entre dans le journalisme en prenant la direction de Scholastic Magazine, puis il se spécialise dans les affaires internationales en dirigeant le mensuel The Living Age à partir de 1935. De mai à juillet 1935 il séjourne en Allemagne pour faire un reportage sur le régime nazi. Le 15 juillet, il assiste à un pogrom, une expérience traumatisante qui expliquera sans doute son engagement futur. Il fut l'un des premiers Américains à comprendre la place centrale de l'antisémitisme dans le régime nazi. Il publie un article violemment critique dans le New York Post illustré d’une photo de Goebbels (16 juillet 1935). La F.P.A. (Foreign Policy Association) lui confie alors la direction d’une collection de vulgarisation en sciences politiques : Headline Books. Après le coup d'état franquiste contre la République espagnole, il adhère au Spanish Aid Committee (qu'il quitte rapidement) et milite bientôt dans les American Friends of German Freedom, où il rencontre Karl Frank (alias Paul Hagen) qui va jouer un rôle déterminant dans son action humanitaire. Il fait dans ses articles et ses conférences un parallèle entre l'expansionnisme japonais et l'expansionnisme nazi et prévoit déjà "une deuxième grande guerre". Il prend position contre les accords de Munich dans un essai politique, The Peace that failed: How Europe sowed the seeds of war in F.P.A. Publication 1939.

Répondant à la demande de l'E.R.C. (Emergency Rescue Commit- tee) Varian Fry se porte volontaire pour une mission en France, destinée à organiser le secours aux réfugiés de la zone sud, victime du fascisme et du nazisme. Il expliquera lui-même plus tard: "Je ne sais pas pourquoi je l'ai fait... Je crois que j'ai offert mes services par impatience devant le temps perdu à essayer de trouver un autre agent..." Varian Fry est chargé de protéger les opposants politiques allemands, notamment les intellectuels et les artistes, menacés par l'application de l'article 19 de la convention d'armistice de juin 1940, dans lequel le gouvernement français s'engage à "livrer sur demande tous les ressortissants désignés par le gouvernement du Reich." Choqué par le traitement des réfugiés antifascistes en France (internement dans des camps français), il fera réaliser par Daniel Bénédite, son bras droit dans le Comité, une enquête très rigoureuse sur les conditions de vie des internés. Varian Fry arrive à Marseille en août 1940, avec une liste de 200 noms d'artistes, d'écrivains et d'universitaires, principalement allemands, mais aussi français et étrangers, menacés en raison de leurs opinons antinazies ou parce qu'ils sont juifs. En septembre 1940, Fry récupère les listes de Frank Bohn, le délégué de l'American Federation of Labor (A.F.L.) la puissante organisation syndicale américaine active dans l'aide aux militants antinazis. Fry et Bohn ont reçus une sommation de quitter l'Europe de la part du Département d’Etat américain ; Seul Bohn a obtempéré. Sa liste compte surtout des hommes politiques, comme Breits- cheidet Hilferding (députés au Reichstag, qui seront livrés par Vichy au titre de l’article 19) des militants ouvriers ou socialistes, surtout des Italiens (Emilio Lussu), des Espagnols (Largo Caballero) et des Allemands (Walter Benninghaus).

Dès 1940, Varian Fry crée le Centre Américain de Secours (C.A.S.), une association officielle d'aide aux réfugiés, reconnue par le régime de Vichy (à l'Hôtel Splendide, puis 60 rue Grignan et 18 boulevard Garibaldi). L'action de Varian Fry au sein du CAS, est une action de solidarité internationale qui représente la "Résistance avant la résistance" (selon le mot de Victor Serge), Il s'agit pour le Comité de proposer un abri pour les réfugiés, parfois un travail, notamment à la coopérative dite des Croquefruits, dirigée par Sylvain Itkine, et de leur permettre de quitter la France, dans un nouvel exil, notamment aux États-Unis.
Très vite Varian Fry ne s'en tient plus à ses listes et entraîne le Centre Amé- ricain de Secours à glisser progressivement des activités officielles à la clandestinité. Pour un historien comme Jean-Marie Guillon, il s’agit là d’une autre forme de résistance que la résistance armée: celle que l'on peut appeler "la résistance humanitaire". À Marseille, pour le Comité Fry, les activités clandestines côtoient le travail officiel. Les faux papiers, les passeports maquillés sont fabriqués par un caricaturiste viennois Wilhelm Spira (alias Bill Freier), plus tard arrêté et déporté à Auschwitz puis à Buchenwald, les nazis vidant les camps de l'est (par "les marches de la mort") devant l'avancée des Russes. Il survivra grâce à la libération des camps. Les rapports secrets sont découpés en lamelles, dissimulés au fond des tubes dentifrices et transportés par les réfugiés en partance pour l’exil. Marseille est en zone non occupée jusqu'en 1942, mais la police de Vichy surveille de près le Centre Américain de Secours ; des enquêtes et des perquisitions sont effectuées dans les bureaux de Fry et à la villa Air Bel, la grande bâtisse louée par le C.A.S. dans le quartier de la Pomme où se côtoient artistes et militants politiques. C'est Gaston Defferre, jeune avocat à l'époque, qui devient le défenseur des intérêts du C.A.S., intervenant notamment au moment de l’arrestation de Daniel Bénédite (administrateur du Comité Fry) en mai 1941.

Fry est expulsé de France en août 1941 et reste quelque temps au Portugal (où il a des contacts avec l'Unitarian Service Committee , dirigé par Charles Joy) avant de regagner New York en novembre. Daniel Bénédite, qui lui succède à la direction du C.A.S. recense 2006 noms correspondant aux « clients » du Centre Américain de Secours. Les noms des personnes "sauvées" montrent que l'action de Fry ne rentre pas dans la catégorie de l'activité humanitaire ou partisane classique : de André Breton, chef des surréalistes jusqu'aux militants antifascis- tes italiens et espagnols voire aux trotskistes anti-staliniens comme Victor Serge, la liste s'étend à toute sorte de persécutés. Le premier dé- compte de l’opération de sauvetage est arrêté au mois d’octobre 1941 (retour de Fry aux Etats-Unis) : 1500 civils «sauvés » ainsi que 300 soldats et officiers britanniques, soit un total de 1800 personnes. Par la suite, selon les rapports de Daniel Bénédite, en juin 1942, date de fermeture par Vichy du Centre Américain de Secours, on peut estimer à 2 549 personnes le nombre de « clients » du Comité Fry sur un total de plus de 20 000 personnes reçues dans les bureaux du C.A.S. Il reste difficile de comptabiliser avec certitude les départs. Si Varian Fry n'a pas pu sauver tout le monde ce n'est pas faute d'avoir essayé d'aider le plus grand nombre. Terre d'asile, l'Amérique depuis la loi des quotas de 1924 n'accordait plus aussi facilement ces "visas spéciaux" (emergency visas) dont le C.A.S avait besoin. Les autres pays sollicités furent tout aussi "prudents" dans leur politique d'accueil des réfugiés, à l'exception du Mexique, représenté à Marseille par le Consul Gilberto Bosques, avec lequel Fry a travaillé à ce moment-là.

Convoqué le 15 juillet 1941 par l’intendant de Police de Marseille, Rodellec du Porzic, Varian Fry est expulsé le 29 août pour avoir, lui dit-on, protégé « trop de juifs et d’anti-nazis ». À partir de novembre 1941, il est à New York où il publie notamment un article retentissant intitulé "Le massacre des Juifs" dans The New Republic. Il fait des conférences pour sensibiliser l'opinion publique américaine et mobiliser aussi les français de New York, en faveur de Jean Gemähling, qui lui a brièvement succédé au C.A.S. et qui est emprisonné au fort Saint Jean à Marseille. Ses prises de posi- tions courageuses et à contre-courant le font désavouer par le gouvernement américain et par ses anciens mandataires de l'Emergency Rescue Committee. Il perd son emploi au Foreign Policy Association et sera même inquiété en 1950 par la commission des activités anti- américaines (Mac Carthy) alors qu'il s'était opposé dés 1936 à la politique des communistes staliniens dans la guerre d'Espagne. Veuf, il se remarie en 1950 avec Annette Riley, dont il a eu trois enfants. Il reçoit une reconnaissance tardi- ve quelques mois avant sa mort, le 13 septembre 1967, en étant fait, au Consulat français de New York, Chevalier de la légion d'honneur. Il est honoré après sa mort du titre de "Juste parmi les Nations" et un arbre méditerranéen a été planté à sa mémoire dans le cimetière de Yad Vashem, à Jérusalem en 1995.


Centre Edmond Fleg
Lun-jeu 9h-17h30
Entrée libre
http://www.centrefleg.com/
4 impasse Dragon
13006 Marseille
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