Le Grand Domaine

Planches du roman graphique Chroniques du Grand Domaine de Lili Sohn, archives, extraits sonores, dessins... En écho au festival Oh les beaux jours !

Lili Sohn, autrice de BD, raconte une histoire de Marseille à travers le récit d’un immeuble, le sien. Au Grand Domaine , sur le boulevard des Dames, on retrouve Marseille à tous les étages.

Dans le sillage de la sortie d’un roman graphique (éditions Delcourt) et d’un podcast (13 PRODS), le Musée d’Histoire de Marseille s’associe, à travers cette exposition, à une histoire qui s’écrit par et pour ses habitants. Cet immeuble, véritable mémoire vivante de Marseille, nous guide dans son héritage riche et contrasté à travers des témoignages. De l’Arménie à l’Algérie, des artisans du cuir à la movida culturelle, de 0 à 86 ans, des riches aux pauvres.

Des planches choisies du roman graphique, des archives personnelles des voisins, des extraits sonores, des dessins et croquis de Lili Sohn, nous immergent dans un patrimoine marseillais en partage. 

Musée d'Histoire de Marseille
Du 25/05 au 9/06 - Mar-dim 9h-18h
Entrée libre
https://musee-histoire.marseille.fr/
Square Belsunce
2 rue Henri Barbusse
13001 Marseille
04 91 90 42 22

Article paru le mercredi 15 mai 2024 dans Ventilo n° 497

Chroniques du Grand Domaine de Lili Sohn

Toi toi mon toit

 

Dans sa neuvième BD qui sort le 22 mai aux éditions Delcourt, Lili Sohn donne la voix aux habitants du Grand Domaine, son immeuble, révélant en creux l’histoire protéiforme de la cité phocéenne. L’aboutissement de deux ans de travail pour l’autrice, dont le récit fait également l’objet d’un podcast et d’une exposition au Musée d’Histoire.

  À Marseille, tout le monde connaît la Cité Radieuse, l’unité d’habitation conçue par Le Corbusier. Inaugurée en 1952, la « maison du fada » ne recèle aucun secret pour les Marseillais, qu’ils y aient déjà mis les pieds ou pas. Tout l’inverse du Grand Domaine, situé dans le deuxième arrondissement, que Lili Sohn et son compagnon découvrent en 2017. Séduits par le bâtiment qui ressemble aux anciennes manufactures de Montréal, où ils ont résidé avant de s’installer dans la cité phocéenne, ils font l’acquisition d’un loft où tout est à refaire. Le bel espace décrépi n’est pas seulement un lieu où tout est à inventer et à construire, il contient en germe la promesse de jours meilleurs où chacun pourra se réinventer, se reconstruire ou se déconstruire, dans une version augmentée de soi-même.
Lorsqu’en 2015, Lili Sohn, alors âgée de 29 ans, est diagnostiquée d’un cancer du sein, elle décide d’ouvrir un blog pour raconter sans fard mais avec une bonne dose humour le quotidien de sa maladie. Pour la première fois, elle ose dévoiler son travail de dessinatrice ; le buzz est immédiat. Un éditeur québecois lui propose alors de publier sa BD. Ainsi naît La Guerre des Tétons. S’ensuivront deux tomes publiés en France chez Michel Lafon. Le cancer et ses questionnements sans réponse l’incitent à creuser le sillon de l’autofiction. Désormais passée chez Casterman, elle explore l’anatomie féminine dans Vagin Tonic, un guide détaillé de la foufoune qui cartonne en librairie, puis enchaîne les publications sur la déconstruction de l’instinct maternel (Mamas) ou les chemins de Compostelle (Partir). Une commande d’éditeur qui tombe pile-poil au moment où elle ressent le besoin de se détacher de son histoire personnelle. Mais pas complètement, hein, Lili Sohn reste Lili Sohn, une autrice dont le matériau de prédilection repose sur l’intime. Graphiquement, alors qu’elle avait l’impression de stagner, elle s’épanouit et s’éloigne du seul dessin. La néo Marseillaise a déjà noué des liens forts avec ses voisins, mais c’est pendant le confinement, qui vient mettre à mal nos existences de citoyens modernes, qu’elle prend conscience de son appartenance à une communauté dans laquelle règnent solidarité et entraide. De nature curieuse, celle qui n’aime rien tant que raconter des histoires comprend qu’elle tient avec le Grand Domaine son prochain sujet. Ni historienne, ni journaliste, mais avec la liberté que procure le format du roman graphique, elle mène l’enquête sur le 26 boulevard des Dames, partageant avec le lecteur ses interrogations et ses tâtonnements sur la méthodologie à utiliser. Elle écume archives et bibliothèques et glane quelques infos : l’immeuble fut autrefois un entrepôt dans lequel on stockait les pains de sucre de la raffinerie voisine. Elle fait aussi le lien avec la famille de Martin, son compagnon, dont l’ancêtre, Paul Daher, fut propriétaire de l’immeuble, le siège de l’entreprise familiale de transport maritime se trouvant quelques numéros plus bas. Rien en revanche sur la date de construction ou l’entrepreneur en charge des travaux. Sa rencontre avec l’architecte Thierry Durousseau agit comme un déclic ; elle change de focale pour se recentrer sur les habitants, dont les parcours de vie révèlent en creux l’histoire migratoire de la ville : diaspora arménienne, immigration algérienne... Ce village vertical, plus qu’un simple lieu d’habitation, s’envisage dès lors comme un concentré d’une histoire marseillaise protéiforme. Les planches consacrées à ses voisins et voisines ouvrent un pan sur ces grands mouvements historiques, autant qu’ils sont le réceptacle d’anecdotes et d’historiettes sur le vivre-ensemble. Ainsi, l’édifice a hébergé artisans, associations, locaux de répétitions, et fut même un temps un véritable laboratoire de luttes sociales (la Cimade, entre autres, y avait son local). Dans les années 80 et 90, les ateliers d’artistes investissent les espaces vacants, les fêtes se multiplient, le lieu est à l’image de l’époque, un brin décadent mais résolument festif. Dès les prémices du projet, la jeune femme a envisagé en complément du livre, un podcast dont elle a confié la réalisation à Théo Boulenger qui a plusieurs documentaires sonores à son actif, dont le brillant Shame on You consacré à l’affaire DSK. Davantage qu’un simple copier-coller de l’ouvrage, puisque le réalisateur s’est totalement immergé dans le quotidien du bâtiment et de ses habitants afin d’en extraire la substantifique moelle. Deux rencontres sont prévues avec l’autrice et le documentariste sonore, la première au Grand Domaine le 24 mai en partenariat avec la librairie Pantagruel, la deuxième augmentée d’une séance d’écoute du podcast, à découvrir le 26 mai dans le cadre du festival Oh les beaux jours ! En parallèle, une exposition au Musée d’Histoire viendra apposer la touche finale au tableau de ce Grand Domaine. Dans cet immeuble joyeusement foutraque, l’équilibre repose autant sur la multiplicité des lieux de vie que sur la diversité de ses occupants. Ces marqueurs qui en font sa singularité permet à ce désir commun, de vivre, non pas à côté mais avec l’autre, d’éclore. En ce sens, c’est bel et bien un bijou. Résistera-il à la matrice de la gentrification, en cours au Grand Domaine comme dans le reste de la ville ? La question reste en suspens...

Emma Zucchi

 

À lire : Lili Sohn – Chroniques du Grand Domaine (Delcourt/Encrages)

Rendez-vous :

  • Rencontre avec Lili Sohn et Théo Boulenger le 24/05 à l’Atelier Le Grand Domaine (26 boulevard des Dames, 2e). Rens. : facebook.com/librairiepantagruel/

  • Exposition Le Grand Domaine, du 25/05 au 9/06 au Musée d’Histoire de Marseille (2 rue Henri Barbusse, 1er). Rens. : https://musee-histoire.marseille.fr/

  • Rencontre et sieste sonore autour du podcast le 26/05 au Musée d’Histoire de Marseille, dans le cadre du festival Oh les beaux jours !. Rens. : http://ohlesbeauxjours.fr/