Hamish Fulton - A Walking Artist

Photographies, textes, photos-textes, dessins, peintures murales, livres d’artiste... Dans le cadre de la Biennale de la Joliette

Le Frac ouvre son quarantième anniversaire avec une exposition consacrée à un artiste majeur de la scène artistique internationale. Hamish Fulton, artiste marcheur, développe depuis près de cinquante ans une œuvre engagée en prise avec les grands enjeux et défis environnementaux que nos sociétés doivent relever aujourd’hui.

 

Depuis le début des années 1970, cet artiste britannique, parcourt le monde à pied. Il a réalisé plusieurs centaines de marches sur des milliers de kilomètres, qui constituent à elles seules l’ensemble de son œuvre. Ces expériences artistiques solitaires intègrent une diversité de pratiques qui « tentent » de traduire l’expérience de ces marches : photographies, textes, photos-textes, dessins, peintures murales, livres d’artiste, lectures publiques… Son travail est présent dans de nombreuses collections privées et publiques et présenté sur la scène internationale depuis plus de quarante ans.

Hamish Fulton ne cherche pas à transformer la nature mais à montrer que c’est la nature qui vous transforme : marcher est pour lui un acte militant, politique. Dans une démarche humaniste, sa pratique engagée qui s’est élargie à des pratiques de marches collectives, nous interpelle sur nos liens d’interdépendance avec la nature et sur notre modèle de société productiviste.

Il ne se revendique ni comme artiste du Land Art, ni comme performer ou poète, « Souvent, on me considère comme un sculpteur ou comme un artiste du Land Art. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis un artiste qui marche. Je ne travaille pas avec un matériau particulier. Travailler avec un seul élément me paraît douteux. Je n’en privilégie aucun, je suis libre d’associer les médiums qui me plaisent, que ce soit du verre, du bois, de la photo, de la vidéo ».

Pour son projet au Frac qui constitue la première grande exposition consacrée à cet artiste depuis plus de 10 ans, Hamish Fulton a réalisé une marche de 21 jours, du 1er au 21 juin 2022 dans le parc national du Mercantour situé à l’Est de Digne-les-Bains en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, au départ de Barcelonnette.

Les œuvres résultant de cette marche – dessins et photographies notamment – entrent en résonance avec un ensemble de peintures murales de grands formats produites in situ, de photos-textes encadrées, de pièces en bois avec textes manuscrits… L’ensemble se déploie dans l’espace monumental du plateau explorations en jouant des rapports d’échelle, offrant ainsi au spectateur, au gré de ses déplacements, une expérience physique et mentale inédite – qu’il pénètre le paysage, suive la ligne d’horizon, ou soit face à des paysages miniatures stylisés par des éléments en bois recouverts de textes manuscrits.

Cette mise en relation des marches effectuées dessine une traversée des cours d’eau, des côtes qu’il a longées, des routes et des sentiers parcourus et des massifs franchis de 1971 à 2022, à travers le monde.

Elle se prolonge à 140 km de là, à Digne-les-Bains, où le Cairn Centre d’art présente un ensemble d’œuvres dont plusieurs évoquent la situation politique du Tibet, non loin de la résidence-musée de l’écrivaine et exploratrice Alexandra David Néel, qui fut la première femme européenne à pénétrer au Tibet.


FRAC Sud - Cité de l'art contemporain
Jusqu'au 29/10 - Mer-sam 12h-19h + dim 14h-18h
2,50/5 € (gratuit le dimanche)
http://www.fracpaca.org/
20 boulevard de Dunkerque
13002 Marseille
04 91 91 27 55

Article paru le mercredi 29 mars 2023 dans Ventilo n° 479

The Third Garden de Liv Jourdan & Mathis Pettenati et Hamish Fulton, A Walking Artist au Frac Sud

Nature peintures

 

Pour marquer le coup de ses quarante ans, le Frac ouvre ses portes en grand avec trois nouvelles expositions — et un petit changement de patronyme en prime. The Third Garden de Liv Jourdan et Mathis Pettenati prolifère en tous sens, olfactifs, visuels et sonores ; tandis qu’Hamish Fulton, A Walking Artist, expose les artéfacts de ses cheminements, en lieu et place de ses œuvres monumentales de plusieurs milliers de kilomètres de long.

    Hamish Fulton a marché parmi beaucoup des plus imposants espaces encore sauvages. Ce qu’il en restitue sur le plateau « explorations », ce sont des grandes peintures murales, des vinyles aux murs, des photos de paysages barrées de typographies très succinctes et des pièces en bois. Depuis plus de cinquante ans, le marcheur aux soixante-dix printemps bien tassés foule le monde, laissant derrière lui le moins de traces possibles, excepté peut-être — un paradoxe qu’il pointe lui-même — celles des impressions vinyles pas durables pour un clou collées au sol et aux murs du Frac. Mais de toute façon, c’est derrière ces œuvres minimales que pointe son véritable art, à cheval entre le conceptuel et la performance : la marche. Il a parcouru le monde sans lever le pied même après ses plus hauts sommets, il a respiré l’air de zones réputées impénétrables. Mais ici, aucune trace de ses prouesses sportives, de ses citations les plus inspirées devant les panoramas les plus époustouflants. Par exemple, on sait seulement que l’une de ses marches parmi les plus insolites a nécessité d’être très lente. Pour éviter de déranger les lignes que tracent les énigmatiques et millénaires géoglyphes de Nazca, dans le désert péruvien, il a pu marcher, mais très précautionneusement, sur ces étonnants chemins-contours qui forment les figures identifiables seulement depuis les airs, avant que leur accès soit totalement interdit (c’est un crime de s’y rendre, désormais). Pour toute restitution de l’aventure quasi mystique, une simple affiche au fond couleur sable qui annonce en lettres capitales : « Walking slowly on the condor’s utline Nazca desert Peru 1972 ». L’expérience de son passage, dont l’incidence a été la plus minime possible, synthétise tout autant la représentation qu’il nous en donne. Jouant sur le contraste entre son minimalisme et les clichés attendus des souvenirs de voyage et des anecdotes qui toujours les accompagnent, son œuvre porte un engagement politique incisif. Dans ses artéfacts, il y a bien des références, contre, par exemple, la prise de contrôle chinoise sur le Tibet, ou sur le réchauffement climatique ostensible, sobrement mis en constat par un graphisme qui évoque l’absence de neige en 2022 dans le Mercantour, alors qu’elle était bien présente lors d’une marche à l’itinéraire identique en 2011. Mais évidemment, le walking art, c’est surtout une forme de militantisme, l’application d’une philosophie, et pour Hamish, un manifeste d’écosophie. La marche trouve ses bénéfices parce qu’elle permet de remettre en question la prévalence humaine sur ce qui l’environne, en recréant des interactions, des connexions ; « Walking encourage thinking and facilitates talking », illustre-t-il. Une marche peut être solitaire, collective, extérieure, intérieure, silencieuse ou bruyante, contestataire ou tranquille... et autant de modalités pour autant de portées, ça s’exprime mieux par l’expérience. Pour Hamish Fulton, il s’agit non seulement de voyager, de se « déconditionner de la vie en intérieur », de décentrer son attention, mais en particulier de considérer enfin ce qu’on pensait « insignificant ». Comme si un « simple » insecte avait tout à coup taille humaine, par exemple. Quelques étages plus hauts, plateau « expérimentations », Liv Jourdan et Mathis Pettenati étudient et reproduisent les lois et les interrelations du vivant qui s’expriment les quelques fois où certaines zones d’activité se trouvent libérées des interventions humaines. S’attachant elle aussi à apprendre de l’environnement au-delà de l’anthropocentrisme, leur exposition présente des peintures sur châssis de Mathis Pettenati, ou l’un de ses collages faits de tickets de caisse et reçus divers en fameux papier thermique, connu pour affadir ses inscriptions une fois un peu trop exposé à la lumière. Chauffés par endroits, les tickets mis en rangs figurent un palmier, voué lui aussi à s’effacer avec le temps et l’exposition, l’état primaire reprenant petit à petit ses droits. Les papiers sont carrément brûlés par d’autres endroits : derrière les listes de produits Carrefour, Zeeman ou Française des Jeux apparaissent des petits morceaux de paysages, certains « naturels », d’autres « industriels ». À côté de ses innombrables sommes de ces encore plus incalculables produits de l’usinage humain ironiquement mis en forme du symbole végétal par excellence (l’arbre), il y a une grande installation de Liv Jourdan, avec drapés teintés de pigments naturels, « socle » de terre et petites céramiques cuites, parterre de feuilles en train de faner, et peintures murales faites d’encres végétales et d’argiles. Abstraction et motifs figuratifs se lient, jaunes curcuma, gris argileux et roses doux s’entrelacent. L’ensemble, un réseau avec composition olfactive à dénicher et nappe sonore aux harmonies bien pensées, fait mouche. Leur inspiration vient des zones d’activités humaines désertées mais qui se retrouvent loin d’être inhabitées de faunes et flores. Au contraire, elles en arrivent archi-riches ; c’est ce que le paysagiste-écrivain Gilles Clément appelle un « tiers paysage » (clin d’œil au nom de l’expo). À voir leurs œuvres, ce phénomène est éloquent et gagnerait bien à se répandre encore : il y fait meilleur vivre.  

Margot Dewavrin

 
  • The Third Garden de Liv Jourdan & Mathis Pettenati : jusqu’au 11/06, plateau expérimentations du Frac Sud – Cité de l’art contemporain (20 boulevard de Dunkerque, Marseille 2e).

  • Hamish Fulton, A Walking Artist : jusqu’au 29/10, plateau explorations.

Rens. : 04 91 91 27 55 / www.fracsud.org