Alexandrie : futurs antérieur

200 œuvres et objets issus des plus importantes collections muséales européennes, entre recherche archéologique et art contemporain

L’exposition Alexandrie : futurs antérieurs revisite l’histoire et le présent de la ville égyptienne, loin des mythes et des stéréotypes qui lui sont traditonnellement associés. Conjuguant deux approches – la recherche archéologique et l’art contemporain –, elle nous invite à considérer Alexandrie sous un angle inédit.

L’exposition présente des artefacts couvrant une période de plus de sept siècles, entre la fondation de la ville par Alexandre le Grand (331 av. J.-C.) et l’avènement du christianisme (381 apr. J.-C.). Elle propose également des incursions dans des vestiges datant des temps byzantins, arabo-islamiques et modernes.
À travers cette sélection de quelque 200 œuvres et objets issus des plus importantes collections muséales européennes, l’exposition met en lumière le patrimoine et l’héritage d’Alexandrie en abordant son organisation urbanistique, politique et religieuse, mais aussi la vie quotidienne de ses habitants ainsi que le rayonnement scientifique et philosophique de ce haut lieu civilisationnel du monde antique.

L’exposition s’intéresse aussi à l’Alexandrie contemporaine. Une ville marquée par une constante érosion écologique, sociale et politique, déterminée par son passé colonial et les tumultes de la mondialisation. Au fil du parcours de l’exposition, seize artistes contemporains élargissent notre regard avec des œuvres qui explorent la ville d’aujourd’hui, sa complexité et le paradoxe de ses représentations marquées par de constants allers-retours entre temps historique, temps actuel et temps imaginaire. On découvre ainsi une sélection inédite d’œuvres d’art contemporain (peintures, photographies, sculptures, installations audiovisuelles) dont trois spécialement conçues pour l’exposition par les artistes Wael Shawky, Jasmina Metwaly et Mona Marzouk.

 

Commissariat :

Volet antique
Arnaud Quertinmont, conservateur des antiquités égyptiennes et proche-orientales au Musée royal de Mariemont
Nicolas Amoroso, conservateur des antiquités grecques et romaines au Musée royal de Mariemont

Volet contemporain
Edwin Nasr, écrivain, commissaire indépendant et chercheur
Sarah Rifky, conseillère curatoriale, commissaire à l’Institute for Contemporary Art de l’Université Virginia Commonwealth et doctorante

Scénographie : Asli Çiçek, assistée de Maxime Descheemaecker

Co-production : exposition organisée par le Musée royal de Mariemont, Bozar - Palais des Beaux-Arts, Bruxelles (30 sept. 2022—8 janv. 2023) et le Mucem, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille.


Mucem
Jusqu'au 8/05 - Tlj (sf mar) 10h-18h (10h-19h à partir du 3/05)
7,50/11 € (billet famille : 18 €). Gratuit le 1er dimanche de chaque mois
http://www.mucem.org
7 promenade Robert Laffont - Esplanade du J4
13002 Marseille
04 84 35 13 13

Article paru le mercredi 1 mars 2023 dans Ventilo n° 477

Alexandrie : futurs antérieurs au Mucem

Embarque sur le Nil

 

Au Mucem, l’exposition Alexandrie : futurs antérieurs revisite l’histoire de la ville égyptienne en associant la recherche archéologique et l’art contemporain. En tournant résolument le dos aux mythes qui lui sont traditionnellement associés, cette exposition permet une approche différente de cette ville du Proche-Orient.

    Déjà en 2022, l’exposition Pharaons Superstars s’interrogeait sur la persistance de la mémoire et s’attelait à déconstruire certains mythes, dont celui de la reine Cléopâtre VII, dont le nom est à jamais associé à la capitale du royaume lagide. De Cléopâtre, il sera à nouveau brièvement question dans Alexandrie : futurs antérieurs, puisque son règne vient clore la dynastie ptolémaïque, mais c’est par une statue équestre du fondateur de la ville que s’ouvre le parcours de visite. Alexandrie est, en effet, un rêve devenu ville, celui d’Alexandre le Grand, couronné pharaon à son arrivée en Égypte en 331 avant JC.  Dès le départ, il décide de fonder une ville cosmopolite ex nihilo pour contrôler le trafic commercial en Méditerranée orientale. Pour cela, son choix se porte sur une langue de sable coincée entre les eaux profondes de la  Méditerranée et un lac salé sans eau douce qu’il faut faire venir du Nil par des canalisations et conserver dans des citernes, reproduites dans l’exposition — l’accès à l’eau est d’ailleurs toujours l’un des enjeux fondamentaux de la ville, comme en témoigne l’installation Water-Arm Series de l’artiste palestinienne Jumana Manna. À sa mort, Ptolémée, l’un de ses généraux, s’empare de la dépouille du roi macédonien et la fait inhumer à Alexandrie. Le mythe d’Alexandre est né, héros national revendiqué à la fois par la Grèce et la Macédoine du Nord comme le montre la sculpture contemporaine Gordian Knot, représentant le visage disloqué du souverain hellénistique. Les Romains ne sont pas en reste, bien qu’acteurs de la défaite de l’Égypte. Jules César et plus tard Auguste, vainqueur de Cléopâtre VII et de Marc-Antoine à la bataille d’Actium, visitent son tombeau, dont l’emplacement demeure encore aujourd’hui un mystère. Contrairement à Rome, il reste aujourd’hui peu de vestiges de l’Alexandrie antique. Ravagée par un tsunami au quatrième siècle de notre ère, les matériaux de ses bâtiments furent sans cesse réemployés dans de nouvelles constructions. L’exemple le plus frappant est celui du célèbre phare sur l’île de Pharos, l’une des sept merveilles du monde antique, resté debout pendant près de seize siècles avant de succomber à un ultime tremblement de terre au XIVe siècle. Ses pierres furent réutilisées pour la construction du fort mamelouk de Qaitbay, toujours en place. Pour faire revivre la cité aux yeux du visiteur, l’exposition dévoile stèles, bijoux, statuettes et pièces de monnaie collectés dans les temples et les nécropoles restées intactes. Les somptueuses aquarelles de Jean-Claude Golvin permettent également  au spectateur de s’imprégner de la réalité de ce que fut la ville. Les rois et reines de la dynastie des Ptolémées ont eu l’intelligence politique de reprendre à leur compte la culture égyptienne séculaire. Ainsi, si leurs noms, Ptolémée, Arsinoé, Bérénice ou Cléopâtre, restent grecs, ils et elles adoptent une apparence tantôt pharaonique, tantôt hellène et perpétuent le statut divin du souverain ou de la souveraine. L’union royale entre frère et sœur, héritée de l’Égypte pharaonique, reste de mise. Le grec devient la langue administrative, les hiéroglyphes la langue religieuse, les temples sont entretenus voire restaurés. Alexandrie offre l’image d’une ville multiple, teintée d’influences égyptiennes, grecques ou proche-orientales. La cité se veut également lieu de rassemblement des savoirs : en témoigne le Mouseion, fondé au IVe siècle avant JC. Dédié aux Muses grecques, il traduit la volonté des Ptolémées de réunir en un même lieu l’ensemble des connaissances du monde, liant étroitement pouvoir et savoir. La société multiculturelle voulue par les souverains lagides va de pair avec l’apparition d’un nouveau paysage religieux. Le dieu Sarapis (Osiris-Apis) devient dieu tutélaire d’Alexandrie. La trinité religieuse se compose désormais de Sarapis, de son épouse Isis et de leur fils Harpocrate. Isis prend une importance considérable en devenant déesse de la mer. L’iconographie se modifie également, en intégrant des éléments gréco-romains comme en témoigne une curieuse statuette de bronze représentant le pharaon sous les traits d’Horus et paré d’une cuirasse impériale romaine. À l’ère chrétienne, on transfère un symbole d’une religion à l’autre en inscrivant la croix du Christ dans la croix ânkh, symbole de vie.  En regard, l’exposition présente une œuvre de l’artiste alexandrine Mona Marzouk, commandée spécialement pour l’exposition. Conçue comme un musée dans le musée, cette peinture murale, Apparatus and Form, imite le langage utilisé dans la présentation muséologique de l’exposition. Comme dit plus haut, il reste très peu de traces de la vie quotidienne des Alexandrins. En effet, les différentes occupations qui se sont succédé ont effacé les traces des habitations domestiques. Les rares vestiges émanent de riches maisons décorées de mosaïques, à l’instar d’un bracelet d’or serpentiforme datant de l’époque ptolémaïque. La Necropolis ou ville des morts, redécouverte en 1997, démontre l’assimilation des pratiques funéraires égyptiennes par les populations grecques et romaines. En miroir de cette partie de l’exposition est projeté le film Bahari du réalisateur égyptien Ahmed Ghoneimy, qui témoigne de l’échec de l’artiste à filmer la vie quotidienne dans un quartier pauvre de la capitale. La dernière partie de l’exposition est consacrée au rayonnement de la cité au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie. Bien que conquérants, les Romains succombent bien vite à l’égyptomanie, qui colonise les ornements des villas patriciennes. Prêtée exceptionnellement par le musée de Naples, une fresque provenant du temple d’Isis à Pompéi, inspirée d’un modèle produit à Alexandrie, présente la nymphe Io accueillie par Isis à Canope et illustre parfaitement la fusion des cultes. Les œuvres contemporaines de cette section interrogent l’influence d’Alexandrie sur d’autres zones géographiques, comme White Gold de Céline Condorelli, né d’une recherche menée par l’artiste sur l’histoire de l’industrie cotonnière égyptienne. En guise d’épilogue, dans un petit film de l’artiste égyptien Wael Shawky, Isles of the Blessed (Oops! I forgot Europe), une marionnette de terre cuite vient raconter en arabe l’histoire des îles des Bienheureux tirée de la mythologie grecque avec pour héros Cadmos et sa sœur Europe, enlevée par Zeus et laissée en Crète. Auréolée de mythes et de légendes, Alexandrie occupe dans nos imaginaires une place importante. En revenant aux fondements archéologiques, loin de toute forme de romantisme, Alexandrie : futurs antérieurs permet de rectifier le regard du spectateur et de mieux appréhender la diversité culturelle de cette métropole de Méditerranée, à la fois lointaine et proche.  

Isabelle Rainaldi

 

Alexandrie : futurs antérieurs : jusqu’au 8/05 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).

Rens. : www.mucem.org