Emeka Ogboh - Stirring the Pot

Installations, vidéo, parfums, sons et goûts. Scénographie : Clémence Farrell. Dans le cadre de Here Comes Africa

L’artiste nigérian Emeka Ogboh investit les espaces multiples de la Friche pour une proposition au long cours associant installations, vidéo, parfums, sons et goûts, tissant des liens sensibles entre Marseille et différents ports de l’Afrique de l’Ouest.

Artiste de renommée internationale, Emeka Ogboh s’intéresse aux questions de migrations et aux liens que tissent les femmes et les hommes avec leurs lieux de vie, de mémoire ou de passage. Pour sa première exposition personnelle dans une institution française, l’artiste investit le 4e étage de la Tour et le Panorama, mais aussi le toit-terrasse où il y développera un projet artistique tout au long de l’été : dîners conviant différent·e·s chef·fe·s africain·e·s, conception d’une bière, Dj Sets et sessions radiophoniques, publication d’un recueil de recettes… de multiples propositions dans le cadre de la Saison Africa2020.

Pour Marseille, Emeka Ogboh tisse des liens sensibles entre la métropole du sud et différents ports de l’Afrique de l’Ouest par le biais d’une relecture de relations anciennes sous le prisme de l’ici et maintenant. Au sein du Panorama, architecture phare de la Friche, l’artiste propose une œuvre inédite, un environnement composite, où images en mouvement, récit olfactif et installation sonore se répondent, offrant une expérience multi sensorielle d’un voyage retour. Les espaces d’exposition de la Tour, scénographiés pour l’occasion par Clémence Farrell, accueillent une variation d’une installation existante, intitulée Ámà : The Gathering Place, réalisée en 2019. L’artiste propose d’investir l’espace muséal pour en faire un lieu de vie, de rencontre, de détente. Il questionne ainsi le rôle social de l’espace d’exposition pour y créer les conditions favorables de l’échange, du dialogue et de la réflexion. L’installation s’inspire de l’ethnie Igbo au Nigeria, d’où les textiles traditionnels proviennent et d’un environnement sonore composé à partir de leurs musiques sacrées. Le toit-terrasse de la Friche est envisagé par Emeka Ogboh comme une plateforme des possibles, investi dans la continuité de l’exposition autour d’une extension de formes artistiques et de temps culturels : invitations à des chef·fe·s venu·e·s du Nigéria, du Bénin ou du Cameroun, installation, programmation musicale, etc. Ces différents temps et invitations au public sont pensés spécifiquement pour le lieu et composent une proposition globale où prime l’hospitalité.

Emeka Ogboh travaille différents médiums, tels que le son et la vidéo tout comme les denrées alimentaires qui indistinctement deviennent des instruments de lecture et de compréhension des villes en tant qu’espaces cosmopolites, migratoires et globalisés. Il procède par prélèvements et agencements, brouillant volontiers les frontières entre les disciplines artistiques au même titre que les barrières mentales et géographiques, pour mieux faire apparaitre les hyperliens sensoriels entre les différents territoires traversés et convoqués, sans cesse bousculés par la puissance du présent et l’interprétation de l’histoire. Les lieux, les personnages et les panoramas surgissent comme des apparitions furtives de mémoires lointaines faisant coexister le temps suspendu de l’œuvre à la frénésie contemporaine.

Emeka Ogboh est né en 1977 à Enugu, Nigéria, il vit et travaille à Berlin et Lagos. Il a participé à de nombreuses expositions internationales, dont la 56e Biennale de Venise, (2015) ; La Documenta 14 à Athènes et Cassel (2017), le Skulptur Projekte Münster (2017), le Tate Modern à Londres (2018), la Fiac Paris (2019). 


Tour-Panorama / Friche La Belle de Mai
Jusqu'au 24/10 - Mer-ven 14h-19h + sam-dim 13h-19h
0/3/5 €
www.lafriche.org
41 rue Jobin
Friche La Belle de Mai
13003 Marseille
04 95 04 95 04

Article paru le jeudi 1 juillet 2021 dans Ventilo n° 449

Emeka Ogboh – Stirring the Pot à la Friche La Belle de Mai

Fragments d’une chronologie

 

À la Friche, Fraeme nous invite à l’exposition Stirring the Pot sur plusieurs espaces et plusieurs temps autour de l’œuvre d’Emeka Ogboh, artiste nigérian transdisciplinaire et citoyen du monde.

    Comment évoquer la douceur d’un coucher de soleil sur la place d’un village ? Là où les chants accompagnent une communauté dans le déroulé d’une journée. Comment retranscrire le parcours d’une caisse de fruits entre un port autonome du continent africain et le marché de Noailles ? Emeka Ogboh construit des synopsis dont il ne resterait que l’écorce, le contour, ce qui nous permet de rentrer dans la douceur d’une lumière et de suivre le dessin d’un jeu de mains qui cuisinent, la vapeur d’un bouillon dans le contre-jour. Deux étages plus bas, des êtres s’allongent dans le moelleux d’une assise en tissu akwété, à l’écoute de chants Igbo (Amà 2.0, 2021). Et puis, celui qui se lève s’approche des enceintes, une à une, et découvre une voix de femme, puis celle d’un homme, passant du général au particulier dans un rapproché du corps et de la voix. Celle qui est très loin nous chuchote à l’oreille dans une langue rassurante et clairvoyante, parce que le timbre et le répertoire nous accompagnent dans un inconnu suave et feutré. Emeka Ogboh rapproche les communautés et les récits. Il filme la traversée de la mer pour nous apporter des nouvelles au-delà de notre horizon (Migratory Notes, 2021). Il rassemble des odeurs et des goûts d’ici et de là-bas, recréant une convivialité apaisée. Mais en avançant plus intensément dans le parcours qui nous est proposé, nous voyons poindre aussi la question de l’identité et des migrations. Nous pensons aussi, devant l’éclat de la lumière et les senteurs de la mer, à la violence du monde, aux propos outranciers du politique, à la vulgarité de la télé et aux clichés sur le réfugié. Parce que ce parcours initiatique n’a rien d’innocent, il installe une ville dans la ville. En concevant une marque de bière éphémère (Uda et Uziza), il développe une économie et s’approprie des espaces, éloignant les frontières de la guerre par les plaisirs partagés. Enveloppé d’expériences sensorielles, le visiteur s’habille d’une aura et d’une plénitude qui lui ouvrent les yeux sur un monde qui est aussi le sien, parce que nous sommes le monde. Emeka Ogboh s’adresse aux femmes et aux hommes libres, mais aussi à celles et ceux qui sont privés de leurs droits. Nous regardons chaque jour Marseille dans sa diversité, mais tout va trop vite, tout se dilue dans la dureté du quotidien, des rapports de classes et de l’entre-soi. Le politique dénonce le communautarisme qu’il a lui même créé dans l’absurdité de vastes plans d’urbanisme qui ne profitent qu’à ceux qui vivent ailleurs. Ce qui point dans le travail d’Emeka Ogboh, c’est l’horizontalité des valeurs et des échanges. L’odeur de la terre, le rapport au voyage et au chuchotement, tout ce qui crée un espace transcendant, une proximité bienveillante.  

Karim Grandi-Baupain

   

Emeka Ogboh – Stirring the Pot : Jusqu’au 24/10 à la Tour-Panorama de la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.lafriche.org