Zao Wou-Ki - Il ne fait jamais nuit

Huiles sur toile, aquarelles et encres de Chine sur papier. Commissariat : Erik Verhagen et Yann Hendgen

L’exposition regroupe près de 80 œuvres de 1935 à 2009 (huiles sur toile, aquarelles et encres de Chine sur papier) provenant de collections publiques et privées. Cet ensemble a pour ambition de mettre au jour un des grands thèmes de création de l’artiste : inventer de nouveaux espaces picturaux construits à partir de son travail sur la couleur et la représentation de la lumière. Lumière et espace sont en effet indissociables dans son œuvre et permettent de comprendre son objectif récurrent de « donner à voir » ce qui ne se voit pas et qui l’habite, « l’espace du dedans ».

Dans la période qui suit son installation à Paris en 1948, Zao Wou-Ki explore le thème de la lumière diurne ou nocturne dans une série d’œuvres poétiques intégrant simplement la représentation des astres lunaire et solaire.

La pratique de l’encre de Chine, grâce à Henri Michaux à partir de 1970, lui permet de faire évoluer la tradition chinoise. Il entame alors un travail sur le vide, associé au blanc ou à la réserve, et le plein, associé au noir de l’encre. Cette recherche se prolonge dans sa peinture et lui fait découvrir de nouveaux espaces.

Les œuvres des années 1970 et 1980 renvoient à une face plus sombre, correspondant à des périodes de souffrances et de deuil. Ces va-et-vient entre lumière et part d’ombre puisent leur inspiration dans la longue histoire de la peinture chinoise qui recherche l’équilibre des contraires.

Guidé à ses débuts et jusqu’à la fin de sa vie par le génie de Paul Cézanne (Paysage Hangzhou, 1946 ; Hommage à Cézanne, 2005), Zao Wou-Ki a lui aussi été sensible à la lumière spécifique du soleil du midi de la France. Après avoir loué entre 1958 et 1972 un atelier dans le Var où il retrouvait nombre d’amis, l’architecte Josep Lluís Sert lui construit un atelier à Ibiza en 1973, qui sera un nouveau lieu de création.

À partir de 2004, Zao Wou-Ki séjourne à plusieurs reprises en été dans la propriété du Luberon du couturier Emanuel Ungaro, très attaché par ailleurs à sa ville natale d’Aix-en-Provence. Zao Wou-Ki y travaille « sur le motif », fait nouveau pour lui, et peint une série d’aquarelles qui seront présentées pour la première fois à l’Hôtel de Caumont. Elles rendent compte de la luminosité et des couleurs tantôt flamboyantes tantôt assourdies des paysages du Luberon. Ces œuvres expriment à l’ultime moment de sa vie son bonheur de peindre l’immuable.

Commissariat 
Erik Verhagen est Professeur en histoire de l’art contemporain à l’Université Polytechnique Hauts-de-France de Valenciennes.
Yann Hendgen est historien de l’art diplômé du second cycle de Muséologie de l’École du Louvre et titulaire d’un Master en Histoire de l’Art et Archéologie. Il a été l’assistant personnel de Zao Wou-Ki à partir de 2002. Depuis 2012, il est le Directeur artistique de la Fondation Zao Wou-Ki, créée du vivant de l’artiste.

Hôtel de Caumont - Centre d'Art
Jusqu'au 10/10 - Tlj 10h-19h
0/10/14,50 €
www.caumont-centredart.com
3 rue Joseph Cabassol
13100 Aix-en-Provence

Article paru le jeudi 3 juin 2021 dans Ventilo n° 447

Zao Wou-Ki – Il ne fait jamais nuit à l’Hôtel de Caumont-Centre d’Art

Le goût du jour

 

Il ne fait jamais nuit est l’intitulé du sublime grand diptyque coloré de 2005 qui ouvre la nouvelle exposition de l’Hôtel de Caumont consacrée à Zao Wou-Ki (1920-2013). Nous pourrions rajouter : avec l’art, Il ne fait jamais nuit comme sous-titre implicite à la réouverture du musée après cette si longue fermeture des lieux culturels. Une façon également d’illustrer le travail sur la lumière de l’artiste, clef de voûte de son œuvre.

    Le choix de Caumont pour le peintre franco-chinois Zao Wou Ki semble coïncider avec notre envie fulgurante de sérénité, de calme après l’année si singulière et tourmentée que nous venons de passer. En effet, il se dégage de la plupart de ses tableaux une grâce assortie de quiétude — loin des tourments qui peuplèrent sa vie —, portée par d’incessants va-et-vient entre l’ombre des moments de deuils et la lumière qu’il ne cessera de vouloir capter au plus près de ses coups de pinceaux et sur laquelle repose tout son travail. L’essentiel de ses créations artistiques est empreint du rapport entre son œuvre et les événements personnels, notamment sentimentaux, qui ont marqué sa vie. Le tableau La ville engloutie est par exemple une métaphore de son couple détruit lorsqu’il se sépare de sa première femme. En 1972, période très tourmentée qui voit le décès de sa deuxième épouse, il se met à l’encre de Chine sous les encouragements de Henri Michaux. Une technique qu’il n’avait jamais utilisée jusqu’alors, mais à laquelle il fut initié dans sa prime enfance en Chine. Une jonction entre l’écriture, la calligraphie et la poésie. Au cours de son troisième mariage, Zao Wou Ki retourne en Chine ; sa peinture se pare alors de félicité, ses tableaux regorgent de formes célestes. Selon les périodes de son existence, Zao Wou-Ki s’enferme dans son atelier et peint ses états intérieurs ou rend visite à ses amis en Italie, Espagne ou dans le Sud de la France, traquant encore et encore cette lumière qui l’envoûte avant d’exploser dans ses tableaux. Quatre-vingt-dix œuvres de 1935 à 2009, huiles sur toile, aquarelles et encres de Chine sur papier provenant de collections publiques et privées, retracent l’itinéraire du jeune peintre chinois, arrivé en France en 1948 puis naturalisé, qui marquera l’abstraction française de la deuxième moitié du XXe siècle. Ce basculement dans l’abstraction, sous l’influence de Klee, marqué par l’utilisation des signes dans ses toiles, sera tardif. Car son maitre incontesté restera, de ses débuts jusqu’à la fin de sa vie, Paul Cézanne (Paysage Hangzhou, 1946 ; Hommage à Cézanne, 2005). De fait, Zao Wou-Ki se montrera très sensible à la lumière spécifique du soleil du midi de la France ; ses différents séjours dans son atelier du Var, lieu de création entre amis artistes, ou chez Emmanuel Ungaro dans le Luberon, lui feront expérimenter différentes approches de la couleur. L’idée du commissaire était de montrer des œuvres réalisées dans notre région et notamment à la Cavalerie chez Ungaro. Une série d’aquarelles auréolées de roses et de verts lumineux travaillant « sur le motif » sont présentées pour la première fois à l’Hôtel de Caumont. La derniere salle est un hommage à Cézanne et ferme la boucle commencée par l’œuvre de jeunesse figurative présentée à l’entrée de l’exposition. Une façon flagrante d’admirer le parcours artistique de Zao Wou-Ki. Il ne fait jamais nuit, que l’on traverse dans la joie d’assister à une belle découverte artistique, se double de trouble face à toutes ces toiles sublimes, des mini mondes intérieurs qui boostent notre imaginaire tout en donnant à voir ce qui ne se voit pas.  

Marie Anezin

    Zao Wou-Ki – Il ne fait jamais nuit : jusqu’au 10/10 à l’Hôtel de Caumont-Centre d’Art (Aix-en-Provence). Rens. : www.caumont-centredart.com