L'histoire de l'art pour tous

Colloque d'histoire de l'art proposé par l’association Art, Culture et Connaissance

Si les grandes expositions font courir les foules et l’art passionne — ou intrigue, au moins —tout le monde, l’accès à sa connaissance demeure difficile dans notre pays.
Malgré les efforts réalisés depuis quelques années par l’Education nationale avec la bonne volonté d’enseignants qui ont d’ailleurs eux-mêmes été formés à d’autres disciplines, les repères élémentaires manquent à nos jeunes concitoyens et leurs aînés pour circuler par le regard et la pensée dans l’univers riche de plaisirs et d’apports personnels de l’art.
Dans le pays qui a vu naître Nicolas Poussin et Marcel Duchamp, il y a fort à parier que bien peu de nos jeunes bacheliers pourraient dire qui ils sont ou pourraient citer seulement le nom d’un artiste par siècle depuis la Renaissance.
Au-delà des noms et des dates, c’est de tout un pan de la culture et de chances d’intégration meilleures dans le monde dont ils se trouvent ainsi privés.
L'idée de ce colloque est le fruit d'une longue expérience pédagogique auprès du grand public depuis près de 30 ans et de la rencontre que je fis d'un grand Monsieur, l'historien de l'art Edouard Pommier, inspecteur général des musées de France, dont un des derniers ouvrages, "Comment l'art, avec un petit a, devint l'Art avec un grand A dans l'Italie de la Renaissance", touche de près à notre propos d'aujourd'hui. De quoi parlons-nous en effet lorsque nous parlons d'art ? et d’histoire de l’art : des arts que les Grecs nommaient "techné", autrement dit de savoir-faire techniques propres à différentes formes de création, ou de ce que Léonard de Vinci qualifia de "cosa mentale" c'est-à-dire d'expression de la pensée.
Sous le titre "L'histoire de l'art en question(s)" qui devint le titre générique de tous les
colloques que j'organisai par la suite, dont celui-ci est le XIXème, nous organisâmes en 2005 un premier colloque, dans cette même salle où nous sommes, auquel participèrent d'éminents historiens de l'art dont deux d'entre eux m'ont fait le plaisir et l'amitié d'être là de nouveau aujourd'hui : Madame Nadeije Laneyrie-Dagen et Monsieur Alain Jaubert.
À Nadeije Laneyrie-Dagen, avec sa permission, j'ai emprunté le titre d'un ouvrage qu'elle a publié en 2011, magnifiquement réédité depuis, L'histoire de l'art pour tous, qui dit assez bien l'esprit de générosité et de partage d'une culture, malheureusement trop ignorée, dans lequel s'inscrivent tous les participants de ce colloque. D'Alain Jaubert on se rappelle les magnifiques émissions télévisées Palettes qui firent découvrir à la France entière, avant de se répandre bien au-delà, qu'on n'entre pas dans le jeu et la passion de l'art d'un regard et d'un jugement furtifs mais en pénétrant dans son histoire pour tenter de toucher au plus près son intention créatrice.
Quelqu'un manque à notre rencontre et je le regrette profondément, c'est Olivier Bonfait. Ancien responsable de l'histoire de l'art à la Villa Médicis puis professeur à l'université de Provence et maintenant à l'université de Dijon, il était invité cet été dans une université américaine et ne pouvait reporter ce rendez-vous. C'est depuis longtemps un des militants les plus engagés pour faire que l'histoire de l'art, au même titre que la littérature, l'histoire, la philosophie ou les mathématiques, soit admise dans nos enseignements comme élément essentiel de notre culture générale, porteur d'ouverture sur le monde et d'épanouissement personnel pour les jeunes générations. Avec lui nous avions parlé depuis longtemps du projet de cette rencontre et sa pensée nous accompagne.

Offrir gracieusement à un public la possibilité de se retrouver régulièrement autour d'un sujet et tenter de lui faire partager une passion, fût-elle celle de l’art, ne se fait pas sans l'aide de soutiens aussi rares que précieux.
Eugène Caselli, directeur de l'espace culturel de la Caisse d'Epargne en 1995, m'a permis pendant dix-sept ans de fidéliser un public autour des trois rendez-vous mensuels d’histoire de l’art de l’Espace Ecureuil.
Le commissaire-priseur Damien Leclère, pendant douze ans, m'a permis de recevoir dans sa salle de ventes quelques-uns des trois cents auteurs, chercheurs et conférenciers que j'ai pu inviter à Marseille en vingt-cinq ans. Un pareil mécénat au service de la connaissance est une chose extrêmement rare et mérite d’être salué. La maison de Baecque, dont Jean-
Baptiste Renart dirige maintenant l'antenne marseillaise, a repris sa suite avec le même entrain.
Matthieu Rochelle, directeur de la bibliothèque départementale des Bouches-du Rhône, a longtemps accueilli avec une extrême gentillesse dans son établissement les colloques que je lui proposai.
Christian Laget, alors directeur des bibliothèques de Marseille m’a offert pendant près de trois ans, à raison de deux fois par mois, la possibilité de poursuivre des conférences d'initiation et des rencontres d'histoire de l'art pour le grand public dans cette belle salle de l'Alcazar.
Robert Fouchet, qui vient de nous quitter, m’ouvrit un grand amphi de la Faculté de Droit pour mettre en place, avec Jean-Robert Cain, les conférences de culture générale de l'Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille que nous proposions dans le cadre des Dimanches de la Canebière.
Pour le présent colloque, je remercie Monsieur Pierre Chagny, directeur des bibliothèques de Marseille, de son accueil chaleureux et autour de lui des personnes qui m'ont apporté, cette année encore, leur aide et leur soutien et grâce à qui cette rencontre s’ouvre avec un caractère convivial comme on peut l'espérer quand on rêve d'une "histoire de l'art pour tous" : ce sont Thierry Conti, responsable des fonds patrimoniaux de l’Alcazar, Laurence Lévy, Nathalie Brochier, Emmanuelle Debrenne Sers et Denis Laffont.
Je n'oublierai pas non plus les personnes grâce à et avec qui j’ai pu publier déjà huit des colloques que nous avons organisés. Toute ma gratitude va enfin aux membres de
l’association A.C.C (Art, Culture et Connaissance) dont la longue fidélité est un puissant motif pour continuer de partager avec eux le bonheur que nous offrent l'art et son histoire.

— Jean-Noël Bret
Président de l’association A.C.C

 

 

Jeudi 15 septembre 2022

 

- 14h Ouverture Jean-Marc COPPOLA, adjoint à la Culture de la Ville de Marseille (sous réserve)
Pierre CHAGNY, directeur des bibliothèques de Marseille
Introduction Jean-Noël BRET, président de l’association A.C.C

- 14h 45 Léa Saint-Raymond historienne de l’art et économiste. Ecole Normale Supérieure
Est-il possible d’enseigner l’histoire « globale » de l’art ?

- 15h 30 Nadeije Laneyrie-Dagen historienne de l’art, professeur à l’Ecole Normale Supérieure
Une histoire de l'art... pour tous et pour un temps

- 16h 15 Pause

- 16h 30 Fabien Oppermann, inspecteur général chargé de l’histoire des arts au Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse
L’histoire des arts à l’école : état des lieux

- 17h 15 Emilie Beck Saiello historienne de l’art, Université Sorbonne Paris Nord
Les étudiants : un public éloigné de la culture ?

- 18h Discussion


Vendredi 16 septembre 2022

- 9h 30 Pierre-Henry Frangne philosophe, professeur à l’Université de Rennes 2
Enseigner, éditer et penser l’histoire de l’art : quelles modalités et quels enjeux pour aujourd’hui ?

 - 10h 15 Natacha Pernac historienne de l’art, Université de Paris-Nanterre
Nouvelles médiations de l’histoire de l’art : enjeux et perspectives

- 11h Myriame Morel-Deledalle conservateur en chef au Musée des civilisations de l’Eyrope et de la Méditerranée (Mucem)
Les musées, passeurs d’art et d’histoire

- 11h 45 Alain Jaubert écrivain, réalisateur des émissions télévisées Palettes
« Palettes », une aventure dans le monde de la peinture

- 12h 30 Pause Déjeuner

- 14h 30 Jean-Noël Bret historien de l’art, président de l’association Art, Culture et Connaissance
L’iconographie pour tous : un jeu d’enfants, pour adultes aussi

- 15h 15 François-René Martin historien de l’art, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, École du Louvre
L'historien de l'art devant une caméra

- 16h Alain Quemin sociologue et critique d’art, professeur à l’Institut d’études européennes de
l’Université Paris 8
Histoire de l'art et sociologie de l'art, un dialogue fructueux

- 16h 45 Discussion. Conclusion

Bibliothèque L'Alcazar
Les 15 et 16 sept. : jeu 14h-18h30 - ven 9h30-12h30 et 14h30-17h30
Entrée libre
https://www.bmvr.marseille.fr/
58 cours Belsunce
13001 Marseille
04 91 55 90 00

Article paru le mercredi 14 septembre 2022 dans Ventilo n° 468

Colloque « L’histoire de l’art pour tous » à Marseille

Ars longa, vita brevis

 

En collaboration avec la Bibliothèque de Marseille à Vocation Régionale, le colloque national consacré à « L’histoire de l’art pour tous » dressera les perspectives d’une discipline spécifique et multiple dont le partage en direction de la jeunesse constitue un enjeu de la vie civique dans le dessein de former « des hommes et des femmes amoureux de leur culture, ouverts à celles des autres, [...] sans amnésie, sans nostalgie. ((Histoire de l’art pour tous, Nadeije Laneyrie-Dagen (éditions Hazan))) »

    Loin d’être un partisan des théories déclinistes, Jean-Noël Bret, directeur scientifique du colloque, constate pourtant que « dans le pays qui a vu naître Nicolas Poussin et Marcel Duchamp, bien peu de nos bacheliers pourraient dire qui ils sont. [...] Les repères leur manquent pour circuler par le regard et la pensée dans l’univers de l’art. » Au risque d’être livrés en consommateurs aveugles dans un marché des loisirs, invités à zapper entre les surenchères tapageuses d’un consumérisme artistique occupant l’espace et désertant le temps. Lorsque nous aurons soufflé une à une les bougies de cette leçon de Ténèbres généralisée, verrons-nous un jour nos érudits, nos chercheurs, sortir trop tard d’une splendide autarcie et divaguer dans la cité indifférente comme le rabbin fameux parcourait son village en criant « J’ai une réponse, posez-moi une question ! », obstinés à donner quelque chose à un monde qui n’en veut plus ? Miserere. Comment atténuer ce phénomène d’asynchronisation entre l’assouvissement d’un divertissement hédoniste que l’on voudrait sans médiation et la jouissance sublimée que promet le temps long de la connaissance ? Pour conjurer ces mauvais augures, Jean-Noël Bret a voué sa tâche quotidienne depuis trois décennies à une promotion culturelle collective fondée sur l’histoire des arts où peinture, sculpture et architecture, cordes tendues côte à côte à sa lyre, entrent en diapason et s’accordent par le haut. Inlassable abeille de l’association Arts, Culture et Connaissance qu’il crée en 1994, il multiplie les actions de sensibilisation : conférences et présentations d’ouvrages liées à l’actualité de l’édition artistique, organisation de colloques, cours hebdomadaires d’histoire de l’art et voyages de découverte des grands sites culturels européens.   Rien n’est perdu... L’intitulé de ce colloque reprend le titre d’un ouvrage de Nadeije Laneyrie-Dagen. L’historienne de l’art mettra en évidence l’impossible fixation d’un champ d’étude en perpétuelle régénération depuis, référence originelle, la publication des Vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architetti de Giorgio Vasari en 1550... Elle témoignera de sa volonté d’inscrire sa réflexion dans les débats méthodologiques et sociétaux actuels. Léa Saint-Raymond, historienne de l’art et économiste, examinera les conditions de possibilité d’une histoire « globale » de l’art connectée au reste du monde, dégagée d’un européocentrisme naguère souverain pour rendre compte de la pluralité des transferts culturels et du continuum de leurs modalités de diffusion depuis le couple domination/résistance (arts premiers...) jusqu’aux influences équilibrées de rencontres et d’échanges réciproques souvent idéalisés (Al-Andalus...). Parce que la contiguïté des phénomènes n’est pas le plus sûr indice de leur corrélation, l’histoire de l’art ne progresse pas sur une ligne orientée mais occupe une sphère aux multiples entrées. Pénétrer par l’une met en communication avec toutes les parties et, comme dans un kaléidoscope, les correspondances varient à chaque secousse de l’appareil. Le sociologue Alain Quemin et le philosophe Pierre-Henry Frangne substitueront aux approches classiques (chronologies, artistes, œuvres, styles...) d’autres instruments pour penser l’art et en faire miroiter les enjeux dans le moment où les paradigmes contemporains depuis Marcel Duchamp bousculent la notion essentialiste d’objet d’art et que le concept même de Beauté cher à Nicolas Poussin est devenu disqualifiant !   [caption id="attachment_38236" align="aligncenter" width="955"] La Cité Idéale ou panneau d'Urbino[/caption]   ... pourvu que nous sachions vouloir ((De Gaulle, Mémoire de guerre, 1959)) Depuis l’ère malrucienne, les investissements publics affectés à la valorisation patrimoniale ou à la création artistique se justifient in fine par leur capacité à concerner un large public, impératif correcteur des inégalités culturelles porté par le même élan que celui fixé aux domaines de la santé ou de l’éducation au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Envers de la médaille : la culture s’est placée sous l’imperium d’une médiatisation pour laquelle l’audience devient la principale mesure de légitimité. Cependant, des entreprises de haute exigence sont parvenues à percer telle l’émission Palette sur la chaîne Arte. « La série a été diffusée dans le monde entier en une trentaine de langues et a connu un succès qui m’a stupéfié », confie Alain Jaubert, son réalisateur. Il nous racontera les péripéties de décryptages au contact rapproché des plus grands chefs-d’œuvre. De nouvelles technologies ont pris le relais de la télévision pour se faire « passeur d’images ». À partir de quelques cas concrets, Natacha Pernac s’interrogera « sur les dispositifs de médiation tirant le meilleur parti des immenses opportunités offertes » sachant l’impact de ces évolutions sur les jeunes générations. L’archéologue Myriame Morel-Deledalle a dirigé le Musée d’Histoire de Marseille jusqu’en 2007. Elle évoquera la création de cet établissement, en 1983, dans un contexte « compliqué » de projet urbain « puissamment orienté » par la municipalité. L’occasion de revenir sur une passionnante et périlleuse relation entre des élus désireux de construire l’argumentaire de leur politique culturelle et des acteurs de terrain soucieux de le décrypter, de se positionner et d’être à la hauteur des enjeux. Jean-Noël Bret nous rappellera que l’accessibilité d’œuvres éloignées dans le temps n’est pas complexe en soi mais soumise à des systèmes référentiels dont les clefs peuvent s’acquérir « avec la facilité d’un jeu d’enfants ». Qui a vu Saint Étienne se promener, dans les tableaux de la Renaissance, avec un caillou en équilibre sur la tête, aura une idée du genre d’énigme à résoudre ! L’enseignement de l’histoire des arts dans les établissements scolaires, en parallèle à celui des pratiques artistiques, est évidemment crucial dans l’objectif d’une démocratisation de l’accès à la culture malgré les difficultés de sa mise en place concernant les horaires spécifiques, la formation des enseignants, le contenu des programmes... Fabien Oppermann, Inspecteur Général chargé de l’histoire des arts au ministère de l’Éducation Nationale, présentera un inventaire des réalisations et des problématiques. Pour les intervenants à l’Alcazar, la « culture pour tous » n’est pas un simple élément de langage, ni une posture drapée dans les plis conventionnels de l’étendard républicain, mais un acte de foi dans l’éducation. En approfondissant, auprès de leurs auditeurs, la compréhension des arts visuels, ils souhaitent faire de notre écoute, de nos lectures, de notre regard, davantage que des rencontres fortuites. Ils nous invitent, par le secours d’un art de la conversation avec les œuvres, à entrer en compagnie durable avec elles en ne se contentant plus du premier terme de nos impressions afin de laisser émerger d’un écosystème de connaissances ce « je ne sais quoi » du plaisir ou de la fascination produite par l’image créée qui, depuis Lascaux, pourrait être une des finalités supérieures de notre communauté de destins ou, à tout le moins, un axe selon lequel chacun, dès le plus jeune âge, peut apprendre à déployer sa sensibilité naturelle.  

Roland Yvanez

 

Colloque « L’histoire de l’art pour tous » : les 15 & 16/09 à l’Alcazar (58 cours Belsunce, 1er).

Rens. : www.bmvr.marseille.fr