Gangsta Gangsta – Rap, crime, et show-business aux États-Unis + 11 septembre, la musique face à la terreur

Deux conférences par Pierre Evil (journaliste musical) et Jean-Marie Pottier (journaliste indépendant et essayiste)

Gangsta Gangsta – Rap, crime, et show-business aux États-Unis

Le 26 août 2017, le rappeur Tay-K, 17 ans, faisait son entrée à la 70e place du classement des chansons les plus populaires des États-Unis avec son premier single, The Race (« La cavale »). Il s’était fait arrêter deux mois plus tôt, le 30 juin 2017, alors qu’il était en cavale et recherché pour meurtre. Deux heures après son arrestation, le clip de The Race était mis en ligne sur Youtube. Entièrement tourné alors que le rappeur était en fuite, sa première image montrait une affiche « WANTED » illustrée de son visage.
The Race a été certifié le 12 janvier 2018 disque de platine (1 million d’exemplaires vendus). Tay-K a été condamné le 23 juillet 2019 à 55 ans de prison. The Race faisait partie des preuves présentées contre lui par le Parquet. Long de deux minutes à peine, ce morceau semble ainsi résumer toutes les contradictions du Rap américains : la violence réelle et sa représentation, le succès de scandale et la punition finale, la créativité et la négativité d’une jeunesse perdue.
De fait, depuis l’apparition du Gangsta Rap, popularisé à la fin des années 1980 par le groupe californien NWA, le rap américain semble inextricablement lié avec le crime : ses plus grands succès parlent de meurtres, de drogue ou de prostitution (comme It’s Hard Out There For A Pimp, des Three 6 Mafia, premier groupe de rap à remporter l’Oscar de la meilleure chanson originale, en 2006).
Ses plus grandes stars ont été des criminels, dealer comme Jay-Z, membre de gang comme Snoop Dogg, condamnés pour agression à l’encontre d’une femme (et morts tous les deux de mort violente) comme 2Pac et XXXTentacion. Depuis quarante ans, la chronique du rap américain semble ainsi se faire autant dans les pages Faits divers que dans les pages Culture
Et pourtant, cette image – largement fabriquée par le rap lui-même – masque une autre réalité : celle d’une culture qui est née dans une société dont l’imaginaire est dominée par la violence et l’injustice depuis des siècles ; et celle d’une scène musicale dont l’extraordinaire vitalité n’est pas due aux exploits criminels de ses figures scandaleuses, mais à leur talent d’auteurs et d’artistes : dans le rap, au bout du compte, seule la rime paie. Du bluesman Leadbelly à Tay-K, de Stagger Lee l’assassin devenu héros folklorique à Rick Ross le dealer devenu héros du rap, Pierre Evil remonte le fil des rapports entre la musique et l’imaginaire du crime aux États-Unis.

11 septembre, la musique face à la terreur

"Telle sera notre réponse à la violence : jouer de la musique avec encore plus d’intensité, plus de beauté et plus de dévouement qu’auparavant", déclara le compositeur et chef d'orchestre américain Leonard Bernstein en novembre 1963, quelques jours après l'assassinat de John F. Kennedy à Dallas. Ces dernières années, le monde de la musique, de l'attentat du Bataclan en novembre 2015 à celui de la Manchester Arena en 2017, en passant par la fusillade du Route 91 Harvest Festival de Las Vegas, a lui-même à plusieurs reprises été l'objet d'attaques meurtrières. À chaque fois, la musique s'est relevée, a ressurgi pour accompagner le temps du deuil et des questionnements, tant elle constitue une réponse essentielle à la violence et la terreur. Pas seulement, même si cela peut être le cas, une réponse au sens d'une réaction tripale ou d'une recherche, parfois simpliste, des causes ; une réponse au sens de l'intégration d'un événement exceptionnel et brutal à un récit, tout aussi bien intime ou national qu'universel. Récit qui nous accompagne, individuellement et collectivement, tout au long des étapes du deuil.
Plus grave attaque terroriste de l'histoire, les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont illustré à la perfection ce pouvoir symbolique de la musique. D'abord stupéfaits et silencieux, voire censurés, face à l'irruption de l'événement, les musiciens se le sont appropriés, dans tous les genres (rock, country, hip-hop, musiques expérimentales, classique...) et sur tout les registres, tour à tour intime, militant, pieux, rebelle ou documentaire. De Bob Dylan à Steve Reich et de Jay-Z à Radiohead, d'un mardi de l'automne 2001 à une soirée du printemps 2011 où le monde a appris la mort d'Oussama ben Laden, Jean-Marie Pottier nous raconte une décennie d'histoire contemporaine par sa musique. Et, à travers elles, comment l'art, aujourd'hui encore, nous aide à tenter de faire sens de ce qui nous paraît insensé

La Maison Hantée
Le vendredi 1 novembre 2019 à 19h30
Entrée libre
www.semainedelapopphilosophie.fr
10 rue Vian
13006 Marseille
04 91 92 09 20

Article paru le mercredi 16 octobre 2019 dans Ventilo n° 435

Semaine de la Pop Philosophie 2019

CriminoLogique

 

De la folie d’un meurtrier à la beauté de la terreur chez Hitchcock, en passant par l’image du gangsta américain, le crime renvoie à différents imaginaires. Comment analyser tout qu’il incarne et ce à quoi il renvoie ? C’est ce que les Rencontres Place Publique se proposent de faire pour la onzième édition de la Semaine de la Pop Philosophie, placée sous le signe de « la philosophie, la sociologie et l’esthétique du crime ». Un joli clin d’œil à une ville connue pour ses règlements de compte…

  Qu’il s’agisse de l’image de la cité phocéenne (« Pourquoi il n’y a pas de mafia à Marseille? », avec le sociologue Cesare Mattina, le 28 à la Criée) ou celle du psychopathe (« La figure de l’assassin : le criminel est-il différent de nous ? », avec le procureur Jacques Dallest, le 26 au Mucem), la Semaine de la Pop Philosophie se propose de dresser un portrait du crime en considérant la place qu’il occupe aujourd’hui dans notre culture. Les rencontres et débat remettent ici la question au goût du jour en lui apportant des éclaircissements et en forgeant de nouveaux concepts philosophiques issus de la pop culture. Le crime fait-il figure d’art ? L’évènement nous plongera au cœur des musées via une exploration des chefs d’œuvre mondiaux qui le mettent en scène (« Scènes de crime au Musée » avec le criminologue Christos Markogiannakis, le 2 novembre au FRAC). Le cinéma ne sera bien sûr pas en reste, entre projections (Justin de Marseille de Maurice Tourneur, le 1er novembre aux Variétés) et débats autour de La Corde d’Hitchcock, Scarface et Don Corleone, ou encore de l’emblème du gangster américain. De Marseille aux États-Unis, le criminel fascine. Sa réputation parcourt le monde, tantôt répudié, tantôt admiré et érigé comme un monument historique. Alors, comment réagir à la violence qu’il peut infliger à notre quotidien ? C’est ce que se chargera de traiter la rencontre avec le journaliste et essayiste Jean-Marie Pottier sur le thème « 11 septembre, la musique face à la terreur » (le 1er à la Maison Hantée). Nous naviguerons ainsi à travers les notions philosophiques en faisant escale sur le fantasme universel, l’adulation générale et le vécu particulier. Pas besoin, donc, d’être philosophe pour prendre la parole. Pas besoin non plus d’être un criminel. C’est tout l’esprit de la Semaine de la Pop Philosophique qui s’esquisse en arrière-plan : faire de la philosophie une discipline accessible, actuelle et concrète — ou du moins plus que ce qu’elle n’est envisagée. Alors, à qui profite le crime ? À la philosophie, bien sûr.  

Nina Cornée

 

Semaine de la Pop Philosophie : du 26/10 au 2/11 à Marseille.

Rens. : 04 91 90 08 55 / www.semainedelapopphilosophie.fr

Le programme complet de la Semaine de la Pop Philosophie ici