Actoral #19

L’Interview
Hubert Colas

 

Malgré une baisse des financements institutionnels, Actoral maintient ses ambitions pour une dix-neuvième édition sous le signe, une fois de plus, de la transversalité artistique. « Osons encore cette pensée que les artistes d’aujourd’hui guident nos regards, nos intuitions, nos compréhensions et nos plaisirs pour un mieux vivre ensemble », nous suggère Hubert Colas, le directeur du festival et de Montévidéo, qui nous a accordé un entretien pour l’occasion.

 

Le festival a dix-neuf ans, c’est presque une génération et la transversalité est devenue la norme dans le théâtre contemporain…

Oui, cette durée dessine un chemin et pour la nouvelle génération d’artistes, il est clair que la problématique de la transversalité n’est plus une thématique mais un fait que tous les nouveaux médias mettent en place. Les artistes s’y sont adaptés. L’univers artistique est très polymorphe. Même dans la littérature : cette année, Théo Casciani présente ici une forme plastique de la littérature. Actoral est parti des nouvelles écritures, de la poésie sonore. Il y a dix-neuf ans, ce mouvement se régénérait, allait vers le théâtre, la danse pour interroger ces formes ; à présent il les a contaminées. Quand on a créé ce festival, on était en plein dans la non-danse et aujourd’hui, j’oserais dire qu’Actoral est une représentation du « no-théâtre » dans le sens où tout peut être du théâtre à partir du moment où il y a du vivant dedans. Finalement, ce que nous présentons, ce sont des formes très hybrides qui cherchent des cadres et des expositions.

 

Il y avait aussi beaucoup d’autofiction…

Oui, il y avait un renouveau autour, par exemple, de Christine Angot, qui était aux premières éditions du festival, mais la question de l’autofiction ne se pose plus de la même façon. Il est plus difficile en littérature aujourd’hui de se poser comme un corps unique, avec ses petites histoires, son quotidien ; le monde force le regard de l’écrivain à être multiple, à donner au cadre son importance.

Au théâtre, l’émergence des collectifs (comme TG Stan par exemple) a laissé entendre que tout était possible pour tout le monde. On pouvait être metteur en scène, acteur ou scénographe. Aujourd’hui, l’écriture de plateau revient avec plus de légèreté en tenant compte de l’économie, de l’écologie et de la notion de partage. On dit qu’il y a moins d’argent, ce qui est faux. En réalité, il y a plus d’argent qu’avant, mais moins d’argent partagé.

 

Il y plus d’argent pour le divertissement et moins pour l’art ?

On pourrait presque dire que ce qui était qualifié de divertissement il y a dix ans s’est rapproché de l’art ; et le divertissement d’aujourd’hui, c’est le populisme, quelque chose qui n’est plus de l’ordre de l’art ou de la culture mais purement de l’ordre de la distraction des populations. Laisser croire que la culture est à cet endroit-là est, de mon point de vue, un danger.

Sans un art fort, sans une culture politique forte et un renoncement à une pensée politicienne de la culture, il n’y a pas d’art. L’art est en danger et ce danger se bâtit dans la peur qui est à plein d’endroits. Peur de la répression mais aussi peur de l’inculture, peur de ne pas comprendre, de ne pas être en capacité d’analyser immédiatement ce que l’on est en train de voir. On devient bête en cherchant à éviter d’être bête ; c’est important d’être bête pour comprendre.

 

L’art contemporain est toujours autant critiqué…

Rencontrer l’art nouveau, pour ne pas dire contemporain, est une appréhension du sensible, c’est écouter ce qui se passe en nous au moment de la rencontre de l’autre ou de l’objet artistique. Cette sensation qui existe chez chacun d’entre nous est colmatée par le phénomène de la consommation, de l’immédiateté de la réalisation du désir, des images qui nous identifient ; c’est ça qui se joue aujourd’hui. Avec Actoral, depuis le début, je milite pour le désir de la curiosité, de la découverte, d’oser prendre un risque, d’où la multiplicité des propositions, à des tarifs peu élevés, permettant de préférer ceci à cela. Il nous faut constamment réapprendre ce que nous pouvons désirer car la société, le politique et l’économique cherchent à nous téléguider. Voir une forme nouvelle est de l’ordre de l’expérience de la vie, on ne peut pas le comparer tout de suite avec ce que la culture nous a permis d’analyser dans un art du passé. L’art contemporain ne correspond pas aux cadres qu’on a appris, laissons le venir dans notre esprit avec son temps, voyons ce qu’il en restera, c’est le mouvement d’une population qui crée son futur au moment où il le vit. L’art n’est fait que pour nous animer positivement ou négativement.

 

Qu’est-ce qui a changé depuis les années 80 ?

Avant les années 80, l’idée d’un plus grand nombre d’artistes n’existait pas : on donnait peu de place à l’expression féminine qui, en prenant de l’importance, a développé une altérité du regard et nous a permis d’appréhender l’art autrement. Jack Lang a favorisé l’idée que l’on pouvait tous plus ou moins être artiste ou du moins en mesure de pouvoir regarder l’art. L’art ne vit, n’existe que parce qu’il y a un regard. Cela est repris maintenant sur un versant négatif, celui du libéralisme, de la consommation, du dressage de la pensée et un versant positif, celui d’une écoute, d’une vision des œuvres avec un regard plus planétaire, une passation de l’intelligence. L’idée que nos nations représentent un fantasme de liberté, alors qu’elles sont un fantasme de régression autoritaire, nous laisse encore une marge de manœuvre. Le challenge de la modernité est de sauver l’esprit humaniste. C’est peut-être une utopie, mais je me refuse à dire que c’était mieux avant, parce que je l’entendais déjà quand j’étais jeune. De toute façon, nous n’avons pas d’autres choix, on peut décélérer le monde sur le plan économique, c’est fondamental, mais pas sur le plan de la modernité, elle est ce que nous devrons partager. Il peut y avoir de la répression, une élite cherchant à assujettir la masse, mais il y a malgré tout des résistances profondes et une vigilance populaire qui se fait entendre. C’est bien pourquoi le pouvoir a peur.

 

Que penses-tu des problèmes de subventions que tu as rencontrés cette année et dont tu fais mention dans ton édito ?

J’ai été inquiet toute l’année, j’ai passé vraiment du mauvais temps et du mauvais sang depuis quelques mois. Au bout de dix-neuf ans, vivre cela est une douleur que je ne souhaite à personne. Que l’institution ne bouge pas plus par rapport à ce que l’on met en place est également difficile pour les gens qui travaillent avec moi, même si on pourrait dire que c’est un apprentissage pour ce qui est de défendre l’art contemporain. Tenir une ligne avec deux fois moins de moyens, c’est compliqué. La France a un problème de riches, pas de pauvres : un problème de redistribution des richesses et non un problème de pauvres qui veulent piquer du fric aux riches. L’argent tourne dans des endroits de renommée, de capitalisation ou de patrimoine, mais il y a une frilosité globale. Nous dire « On ne comprend pas ce que vous faites, expliquez-nous », c’est comme dire à un peintre devant sa toile « Expliquez-moi ce que vous allez faire ». C’est ridicule, c’est une question d’ignorant.

 

D’autant plus que le résultat est là pour Actoral en termes de public, de notoriété…

Oui, mais le regard du politique est différent aujourd’hui. On en parlait tout à l’heure, la notion de divertissement est descendue de quelques étages, pour devenir de la soupe. On peut fêter des tas de choses, la ville, la pêche, la nourriture, mais pas le qualifier d’art ou de culture. Les politiques utilisent cette confusion dans une optique électoraliste devenue indécemment claire, puis nous qualifient d’élitistes. Le monde du capital ne peut être, au bout du compte, que populiste, même si il ne l’est pas dans son discours. Pour faire de l’argent, il faut toucher le plus grand nombre de gens possible, or l’on pense que l’art contemporain s’adresse au plus petit nombre, ce qui est faux bien entendu. L’art a le temps pour lui, il restera toujours, pas les politiques et ils le savent, c’est pour cela qu’ils en ont si peur.

 

Propos recueillis par Olivier Puech

 

Actoral #19 : du 20/09 au 12/10 à Marseille.

Rens. : www.actoral.org

Le programme complet du festival Actoral ici

 

 

 

Les immanquables du festival

 

Alexander Vantournhout – Screws

© Bart Grietens

Alexander Vantournhout est l’un des chouchous du festival, auquel il réserve souvent ses dernières créations. Avec Screws, l’inclassable circassien, danseur et performeur belge s’interroge sur le rapport entre les objets, les contraintes qu’ils imposent au-delà de leur part usuelle et les capacités du corps humain à s’y adapter. À sa singularité d’approche habituelle, il ajoute ici une déambulation à laquelle il convie le public afin d’en multiplier ses points de vue. Screws est un ovni palpitant et insaisissable où boules de bowling et chaussures à crampons s’offrent de nouvelles vies. Le Mucem servira de décor atypique à ces micro-performances réalisées par six danseurs-acrobates d’exception, baignées d’humour et de la musique de Nils Frahm.

Marie Anezin

> les 20 & 21/09 au Mucem (Esplanade du J4, 2e)

 

 

Davy Pieters – How Did I Die

© Anna Van Kooij

La metteuse en scène néerlandaise Davy Pieters s’intéresse aux faits divers, à la violence scénarisée, ce qui se cache derrière tout un chacun. La mort est omniprésente ; elle est le fil conducteur d’une théâtralisation du réel, où le spectateur ne décroche jamais. Les médias enregistrent en continu une saison qui ne s’arrêtera pas. Alors que se passerait-t-il si l’on décidait d’une fin qui nous permette de remonter le fil de l’histoire ? Là où tout a commencé…

KGB

> les 27 & 28/09 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er)

Pour en (sa)voir plus : http://davypieters.com/work/how-did-i-die/

 

 

Théo Mercier et François Chaignaud – RVP Rituel motomachique

© Erwan Fichou

L’archétype du motard est complexe. Tantôt bandit de chemin, tantôt assoiffé de vitesse dans un monde qui se meurt, voire légèrement sexiste. Le cuir du costume est un objet de désir. L’absence du regard multiplie l’incertitude et le désir d’aventure. RVP Rituel motomachique appuie sur l’essentiel pour reconduire les clichés d’une situation dans une atmosphère postmoderne. Pas très loin du merveilleux Crash de David Cronenberg où se rejouaient les fantasmes de l’accident de James Dean. Il existe une forme d’accomplissement dans une théâtralité poussée à l’outrance.

KGB

> les 27 & 28/09 aux Terrasses du Port – Parking Indigo (9 quai du Lazaret, 2e)

 

 

Volmir Cordeiro – Trottoir

© A. Crestani

Volmir Cordeiro aime remonter l’histoire de son vaste pays qu’est le Brésil, nation multiraciale côtoyant la forêt et ses autochtones. La complexité du Brésil nous fascine et nous rappelle avec vigueur aujourd’hui combien on en dépend. La danse de Cordeiro embrasse cette flamboyance, elle emmène le corps dans une amplitude qui libère les énergies et facilite les rencontres. A l’écart des stéréotypes et dans une quête permanente d’identité, Trottoir aborde les dissonances du groupe et les trajectoires d’une vie insensée.

KGB

> les 27 & 28/09 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er)

Pour en (sa)voir plus : http://volmircordeiro.com/project/trottoir/

 

Rodrigo Garcia – PS/WAM

© Rodrigo Garcia

Rodrigo Garcia tente une approche d’un théâtre qui démolit les frontières de la représentation et de la bienséance. Le corps véhicule tous les maux de la Terre pour mieux les retourner dans un élan et une énergie sans égale. Le théâtre contient la puissance de la démesure et de tous les possibles. Avec trois fois rien, tout peut devenir intensément fragile. Une manière de bousculer l’ordre établit et de remuer les certitudes pour découvrir de nouvelles émotions.

KGB

> les 28 & 29/09 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e)

 

Erwan Ha Kyoon Larcher – Ruine

© Jacob Khrist

Ruine se situe dans le sillage de Grande de Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel , ses acolytes du collectif de cirque Ivan Mosjoukine (De nos jours). L’objet, mis en situation ou installation, raconte, teste le corps, provoque la mémoire, révèle l’intime en lorgnant du côté du fait de société. Artiste performeur, circassien, musicien, acteur pour Christophe Honoré ou Philippe Quesne (La Nuit des Taupes), Erwan Ha Kyoon Larcher prouve ici qu’il a plus d’une corde à son arc, au sens propre comme au figuré. Seul face à ses frustrations, obstacles, choix, colères, il laisse le bénéfice du doute à la construction de soi et nous embarque dans le joyeux, grave et déjanté kaléidoscope de ses micro-mondes.

Marie Anezin

> le 3/10 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er)

 

 

Miet Warlop – Big Bears Cry Too

© Reinout Hiel

Dans un spectacle visuel qui n’en finit plus de se réinventer, Miet Warlop prolonge le désir de peinture en façonnant la scène à la manière d’un atelier pour enfant. Tout est susceptible de se transformer dans une magie permanente. La couleur jaillit de nulle part et l’acteur devient le régisseur d’une scénographie qui se démultiplie. Big bears cry too est un conte éveillé, une parenthèse enchanté à l’heure où la nuit tombe.

KGB

> les 3 & 4/10 au TNM La Criée (30 Quai de Rive Neuve, 7e)

Pour en (sa)voir plus : https://www.mietwarlop.com/portfolios/big-bears-cry-too

 

 

Arnaud Saury – Dans ma chambre – Épisodes 1 et 2

© Cyrille Weiner

Quoi de plus intrigant et théâtral qu’une chambre ? La chambre, objet de désirs, de création solitaire, espace délimité qui impose des contraintes et libère les rêves… Un lieu de travail, faute de mieux, pour le jeune danseur marocain Faissal El Assia, qui y danse et se raconte en mouvements et paroles (darija et français).
D’autres, comme le circassien Edouard Peurichard, en font un stand de lancer de couteaux sur cible humaine, en l’occurrence Arnaud Saury himself. Est-ce que leur projet loufoque de l’implantation d’un club de cette discipline à Marseille verra le jour ? Seule certitude, celle de l’indéfectible dérision, de la fantaisie, de l’humour et de la prise de risque incalculable qui régnera Dans ma chambre.

Marie Anezin

> les 8 & 9/10 à Montévidéo (3 impasse Montévidéo, 6e)

Pour en (sa)voir plus : https://mathieumafillefoundation.org/

 

Davide Enia & Alexandra Tobelaim – Les Abysses

© Olivier Thomas

Plusieurs lectures performées ponctueront le festival avec des textes d’auteurs contemporains : Olivia Rosenthal (Éloges des bâtards), Valère Novarina, Capucine et Simon Johannin, Jody Pou, Liliane Giraudon… Et Davide Enia. Auteur et comédien reconnu en Italie, Enia s’est fait remarquer en France avec sa pièce-récit Italie-Brésil 3 à 2, solo de Solal Bouloudnine mis en scène par Alexandra Tobelaim et révélation Avignon 2013. Un coup de poing émotionnel ! Adaptation théâtrale du roman La Loi de la mer, la nouvelle création de la compagnie Tandaim réunit à nouveau ce trio de choc. Solal Bouloudnine offrira en primeur une lecture performée de ce texte poignant où deuil, vie, force et courage baignent les eaux troubles d’une Méditerranée devenue sans rivages. Avec puissance et simplicité, l’auteur sicilien aborde la question des migrants à Lampedusa dans un parallèle avec le proche décès de son oncle. Comment raconter le temps présent au moment même de la crise ?

À noter qu’Actoral et la SACD présentent aussi « L’Objet des mots », un cycle de rencontres autour de la violence au Théâtre Joliette.

Marie Anezin

> le 11/10 à Montévidéo (3 impasse Montévidéo, 6e)

Pour en (sa)voir plus : https://www.tandaim.com/