Acte par la Cie La Souricière au Théâtre de Lenche

L’Interview
Vincent Franchi (Cie La Souricière)

 

Réflexion sur la place de l’histoire et le poids du passé, Acte de Lars Norèn nous plonge dans un univers oppressant dans lequel s’affrontent Elle et Lui, deux personnages dont les réalités s’opposent. Le jeune metteur en scène Vincent Franchi réussit le pari de nous mettre face à ce véritable miroir de nos erreurs passées tout en respectant la réflexion individuelle. Rencontre.

 

De quelle manière sont construits ces deux personnages principaux ?
Ce sont des opposés. D’un côté, on a une prisonnière politique, inspirée d’Ulrike Meinhof (1), qui place son devoir de mémoire au cœur de ses actions ; et de l’autre, un médecin qui est l’image même de la bourgeoisie. Il croit dans les valeurs de la famille, au système en place. Il veut oublier le passé et avancer. Ils croient chacun en leurs vérités et les confrontent, s’arqueboutent dessus. Ils sont aussi l’emblème d’une époque, d’un XXe siècle qui s’achève et les porte vers un nouveau monde incompréhensible à leurs yeux. Je suis parti d’une citation du communiste italien Antonio Gramsci : « Quand l’ancien monde se meurt, quand le nouveau monde n’est pas encore né, c’est dans ce clair obscur que surgissent les monstres. » La question se pose de savoir si ces personnages — et nous-mêmes — ne seraient pas ces monstres. Entre un passé lourd à porter et un avenir qui ne les comprend pas, Elle et Lui sont coincés dans une sorte d’errance. Ils finissent par s’apercevoir que leurs vérités ne sont plus valables, qu’elles n’ont plus aucun poids. Ils sont tous les deux dans un état d’échec.

Au cœur de la pièce, il y a la question de l’héritage du passé…
Norèn montre que le système dans lequel nous sommes ne vient pas de nulle part. D’une certaine manière, les fantômes de ce violent XXe siècle continuent de nous hanter dans notre propre situation, dans notre époque. Par exemple, le comportement du médecin face à la patiente fait immédiatement penser aux techniques employées durant la Shoah. Il ne faut pas oublier que beaucoup de tortures utilisées aujourd’hui viennent directement de cette période. L’histoire se répète, l’idéologie change, mais on fait les mêmes erreurs. Elle et Lui ont chacun leur avis sur la question : l’un est pour oublier et avancer, l’autre veut conserver cet héritage, l’inclure dans sa réflexion.

Norèn trouve-t-il là une place à l’histoire ?
Norèn ne donne pas de leçon ni de réponse, il ne fait que poser des questions. Est-il bon de revenir sur le passé et, dans ce cas, de quelle manière en parler ? C’est extrêmement complexe. Le problème se pose encore aujourd’hui. Et le fait que plus on avance dans le temps, moins il y a de témoin, n’arrange pas les choses. Comment s’empare-t-on de l’histoire et de la mémoire ? Personnellement, je pense que l’on ne peut pas avancer sans comprendre le passé, qu’il y a tout à repenser…

Norèn pose également la question de savoir si la fin justifie les moyens…
Non seulement il met en avant cette question, mais il montre aussi les contradictions que cela entraîne. La prisonnière est enfermée pour acte de terrorisme : elle combat un système qu’elle juge violent avec encore plus de violence. C’est en contradiction totale avec les valeurs de justices sociales qu’elle défend. Du côté du médecin et donc de l’Etat, l’examen médical va à l’encontre des droits et de la dignité humaine. La question se pose de savoir si l’Etat a le droit de traiter les terroristes sans humanité sous prétexte de protéger ses citoyens. Est-ce vraiment une bonne chose d’utiliser la torture en guise d’exemple et d’avertissement envers les ennemis de la démocratie ? Camus disait que l’on ne peut pas traiter les prisonniers ainsi, non seulement parce que ça va a l’encontre des droits fondamentaux, mais aussi parce que ça engendre plus de violence…

Est-ce un choix délibéré de l’auteur de prendre comme toile de fond la Seconde Guerre mondiale et le nazisme ?
Je crois en effet que ce n’est pas au hasard s’il a choisi la Shoah. Parce que d’une certaine manière, il y a eu un avant et un après. On sait que d’autres périodes de l’histoire ont été bien plus mortelles, mais cet événement-là a eu une portée symbolique à cause de cette mécanisation de l’épuration. Les sciences et les technologies se sont retrouvées mises au service d’un massacre. Cette forme de spectacularisation du génocide, de déshumanisation radicale d’une race, a hanté les esprits. Surtout après la Première Guerre mondiale, où l’on pensait que les hommes avaient compris.

Bien qu’écrite il y a dix ans, Acte est une pièce très actuelle…
La pièce résonne de manière très radicale aujourd’hui car le nazisme est passé en pleine crise économique. Les sentiments d’humiliation des populations et de déclassement sont de nouveau présents. Acte prend en compte ce désenchantement que les personnages et nous-mêmes pouvons ressentir face à la politique.

Comment mettre en scène une telle pièce ?
On a suivi Norèn, en respectant le fait qu’il n’y a pas d’éléments permettant de déterminer un endroit et une époque précis dans le texte. C’est assez déroutant. On a donc créé un décor abstrait, pas vraiment identifiable, mais qui retraduit  la psyché des personnages. L’espace, les sons, les lumières ont un rôle capital, ils accompagnent les fluctuations mentales des personnages. On joue aussi entre cet univers trouble à la David Lynch et le jeu des acteurs, très concret.

Peut-on décrire la pièce comme militante ?
Non, c’est plus une alerte. La pièce n’a pas de message, c’est plus un miroir du malaise dans lequel nous sommes. Je ne veux pas que le spectateur sorte déprimé, mais plutôt réveillé. Je ne suis pas là pour faire la leçon, les gens font ce qu’ils veulent. Mais j’espère que les spectateurs seront troublés et s’interrogeront au sortir de la pièce, qu’ils auront un sursaut, une envie de changer les choses.

Propos recueillis par Aileen Orain

 

Acte par la Cie La Souricière : jusqu’au 27/04 au Théâtre de Lenche  (4 place de Lenche, 2e).
Rens. 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info

Pour en savoir plus : compagnie-souriciere.fr

Notes
  1. Cerveau de la bande à Baader, emprisonnée dans une cellule d’isolement qui l’a rendu folle et où on l’a retrouvée pendue.[]