Vincent Beaume et Claire Ruffin - L’Insomnante

Vincent Beaume et Claire Ruffin – L’Insomnante

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Pas de lit sans cieux…

Claire Ruffin et Vincent Beaume présentent une partie de leur travail photographique à La Baleine qui dit « Vagues », qui vient de rouvrir. L’Insomnante se niche dans des environnements incongrus et donne lieu à de superbes clichés, réalisés sans trucage. Plus qu’un simple vagabondage horizontal, cette démarche au plumard somnambule réveille en nous une multitude d’échos.

Promis, nous ne parlerons pas de cette flemmasse de Belle au bois dormant. Si ce n’est pour rappeler que Perrault en avait fait un portrait féminin débordant de passivité et de soumission, aux antipodes des considérations des deux jeunes artistes. Le binôme fonctionne plutôt comme un trio : un lit de fer néanmoins douillet, une comédienne lutine, Claire Ruffin, et un faiseur d’images en chambre noire, Vincent Beaume. « L’Insomnante est un projet à deux visages, une femme à deux faces. La nuit, elle poursuit son sommeil en vain, le jour, elle le traîne partout », écrit l’actrice, également auteur d’un spectacle qui partage l’errance d’une épuisée (1) sous une voûte d’oreillers…
On suit ici le parcours d’un modèle de dormeuse (qui parfois ne garde pas sa literie, pour la prêter à d’autres, en toute confiance) ; elle glisse à nos yeux un « Mate-là !», entre nos draps mentaux une pile de rêveries, de craintes et de références. On aimerait se plonger dans des tirages au format géant.
Le livre de tissu à disposition, cousu de commentaires, mentionne un choix d’œuvres de chevet et propose un florilège de citations moins soporifiques les unes que les autres — dont la mise en garde de Mark Twain, « N’allez pas au lit, tant de gens y meurent ». Un ajout à conseiller : Anthony Burgess. Ayant (a)bordé cette thématique dans un ouvrage rare richement illustré (2), il conclue ainsi : « Se pencher sur le sommeil a de quoi émerveiller. Se pencher sur les lits a de quoi vous faire peur. »
La vulnérabilité de la narcoleptique à tous vents nous émeut. Qu’elle soit happée par la neige, couvertes de bogues, au bord de la falaise ou dans le lit de la rivière, elle reste sous sa couette comme si ni les variations climatiques ni les emplacements à coucher dehors ne l’atteignaient. Les mondes qui traversent son sommeil seraient plus précieux encore. S’isoler dans son repos la sort-elle de sa solitude ? Elle est l’occupante impassible des « lit-mythes ». A ces pérégrinations diurnes au cœur de décors naturels ou urbains participent aussi Alice Boitel (peintre et aide pour la mise en scène) et le photographe assistant de production, Antoine Combier. Comme le font de manière renversante le plasticien Philippe Ramette et son compère Marc Domage, l’équipe s’atèle à des vues irrationnelles. Le paddock à une place (qui se transporte en brouette pour voir du paysage) est en fait un vrai dortoir qui cache une commode à secrets. En actionnant ses tiroirs, on se prêterait volontiers à plusieurs exercices : élaborer une liste de créations artistiques contemporaines qui ont refait le lit (The Lover’s bed de Rebecca Horn et Rebirth d’Eri Kurimura, par exemple, évoquent des couches désertées par l’homme mais pleines de promesses), trouver des jeux de mots à l’infini (une mention spéciale à Florence Guillot à qui l’on doit « lit-mythe »)… Et, surtout, passer commande à nos instigateurs de lit baladeur… Dites, on peut venir pioncer avec vous ?

Marika Nanquette-Querette

Vincent Beaume et Claire Ruffin – L’Insomnante : jusqu’au 8/04 à La Baleine qui dit « Vagues » (59 cours Julien, 6e). Vernissage jeudi 3/03 à 18h30.
Rens. 04 91 48 95 60 / labaleinequiditvagues.org

Notes
  1. L’Epuisée ne se laisse pas coucher : création en cours (de et avec Claire Ruffin, Oreste Lustucru et Catherine Exbrayat) dont la première présentation aura lieu le 22/04 au Vélo Théâtre d’Apt.[]
  2. Sur le lit (traduit de l’anglais par Jean Bonnefoy), Denoël, 1982.[]