Victor ou les enfants au pouvoir © Maëlle Charpin

Victor ou les enfants au pouvoir par la Cie Les Travailleurs de la Nuit au Théâtre de La Criée

Les enfants terribles

 

Presque centenaire, la verve insoumise de Victor ou les Enfants au Pouvoir, drame surréaliste de Roger Vitrac et piquante critique sociale, retentit une nouvelle fois à la Criée. Une mise en scène qui dénude les mécanismes théâtraux, signée Frédéric Poinceau.

 

Les surréalistes, avant-gardistes de la première après-guerre, sont loin d’être has been. Leur irrévérence jouasse et leur poésie anarchique font encore mouche. Comment et pourquoi remettre en scène Victor aujourd’hui ? En tirant le fil de ce questionnement, Frédéric Poinceau et sa troupe déploient à vue leur version de la fable. Tels les arrière-petits-enfants terribles du Théâtre Alfred Jarry et d’Antonin Artaud (metteur en scène originel de Victor), ils interrogent l’acte théâtral en le posant « de but en blanc ». Les rouages sont affichés : un décor pauvre (hormis quelques fantaisies ubuesques, le reste étant signalisé à même le plateau, à l’instar du Dogville de Lars Van Trier) ; un auteur-metteur en scène hybride (Antonin Vitrac en la personne de Poinceau), présent sur scène, annonçant au micro les actes, scènes et didascalies, arrêtant même les acteurs, comme en répétition ; les trois coups qui résonnent au cœur d’une scène ; une adresse au public revendiquée…
Un dispositif didactique, soulignant justement les ressorts dramatiques de la pièce, dans lequel les comédiens semblent beaucoup s’amuser, mais qui évince un peu de la noirceur immanente à l’œuvre. Car, malgré ses faux airs de vaudeville, il s’agit d’un drame, sur la fin de l’innocence et le refus d’abdiquer face à l’hypocrisie d’une société étriquée par ses conventions, quitte à en mourir. Victor, neuf ans, maillon défectueux de la chaîne, met un grand coup de pied dans la fourmilière de sa vie bourgeoise. Les autres personnages, tous — à un fou, une pétomane et une enfant près — englués dans leur propre mensonge, assistent impuissants à l’implosion de leur monde, déclenchée par la prise de conscience de ce garçon trop grand pour son âge, trop honnête pour être grand. Bourreau ou victime, damné ou sacré, aux spectateurs de trancher et de se confronter à la venue du noir à leur propre conscience : faut-il ou non résister à l’engourdissement de sa veine déraisonnable ?

Barbara Chossis

 

Victor ou les enfants au pouvoir par la Cie Les Travailleurs de la Nuit était présenté au Théâtre de La Criée du 11 au 18/03 et au Théâtre Antoine Vitez (Aix-en-Provence) le 24/03