Deca Dance par la Batsheva Dance Company © Gadi Dagon

Le Festival de Marseille au Silo

L’alchimie du physique

Retour sur trois des petits bijoux proposés cette année au Festival de Marseille.

 

• Sadeh21 par la Batsheva Dance Company (le 2/07 au Silo)

Un plateau nu éclairé de chaque côté par plusieurs rampes de projecteurs. Une danseuse ou un danseur arrive en marchant, effectue un solo particulièrement physique et repart comme elle/il est venu. Et ainsi de suite. Puis des intersections se créent entre certains soli et le plateau se peuple davantage, jusqu’à contenir près d’une vingtaine de personnes, parfois toutes en mouvement ou, au contraire, presque toutes immobiles.
Si un solo peut conduire le corps à enchaîner les positions les plus variées, donner l’impression qu’il sort de lui-même et possède le don d’ubiquité, les moments de réunion sont parfois l’occasion de revisiter de manière dépouillée et bouleversante une forme de danse première telle que la ronde. Ainsi, ici, le corps peut tout : exploser, s’effacer, s’écraser, se faire géant comme minuscule, éliminer la frontière du genre — hommes en robes, corps (parce qu’aperçus de loin ?) dont on ne peut dire le sexe ­—, évoquer un animal (araignée, grenouille, serpent…).
Au fil de ces une heure quinze de spectacle, il est difficile de ne pas en avoir plein les yeux ­(peut-être au risque d’en voir trop ?), d’ouvrir grand ces derniers, de rester bouche bée ou de s’exclamer. Jusqu’au final, littéralement renversant.

BH

© Gadi Dagon

• Deca Dance par la Batsheva Dance Company (le 3/07 au Silo)

Succession d’extraits de différentes chorégraphies d’Ohad Naharin pour la Batsheva Dance Company, Deca Dance propose des pièces assez différentes les unes des autres, là où Sadeh21 offre une progression — de laquelle découle en partie sa grande force. Ce côté décousu peut parfois gêner. Mais il n’empêche pas, une nouvelle fois, d’être estomaqué par la présence de ces corps, par ce qu’ils parviennent à faire et par ce qu’ils provoquent chez le spectateur. Il en va ainsi de la pièce durant laquelle danseurs et danseuses, tous vêtus de la même manière, vont chercher des spectateurs dans la salle pour les amener à danser devant eux et avec eux sur scène. Ce qui sidère alors, c’est la manière dont la chorégraphie intègre les non danseurs, ne les utilisant pas comme faire-valoir, mais comme de véritables interprètes, et ce jusqu’à la chute finale.
Ainsi, au fil de Deca Dance comme de Sadeh21, il est difficile de ne pas être fasciné par ce que génère la technique des danseurs lorsqu’elle est maîtrisée au point de s’effacer et de ne rendre compte que des possibles du corps, cet outil magique qui véhicule et fait éclater la poésie.

BH

• Körper par Sasha Waltz & Guests (le 6/07 au Silo)

Entassés dans un espace réduit, les corps se gênent, s’épaulent, passent les uns sur les autres et sont contraints de bouger au minimum. Saisis par des bouts de peau, ils sont déplacés. Ils sont une surface sur laquelle on dessine leurs transformations à venir et où l’on appose un prix, des éléments à vendre, les fruits d’un marché. Alignés et se déplaçant à l’unisson, ils paraissent être l’aiguille d’une montre. Exposés au danger (un élément massif du décor tombe à proximité), ils restent allongés, impassibles. Comme si la vie les avait quittés, ils sont empilés. Mais ces corps bien souvent malmenés s’agitent, affirment leur singularité (descendre un pan vertical à ski, danser avec des dreadlocks attachés à des bâtons…) et crient leur soif de vie.
Abordant la manière dont le corps est traité au sein de nos sociétés, Körper est un spectacle sombre et lumineux, terrifiant et réjouissant, cérébral et hyper physique, tragique et comique. Ses effets, certainement profonds, se révèlent donc multiples, le premier directement perceptible étant l’intense sensation de s’être frotté à une œuvre magistrale.

BH