Marseille Jazz des Cinq Continents

Longs champs de jazz

 

Rester fidèle à sa charte originelle n’est jamais aisé à l’heure d’une marchandisation poussée des festivals musicaux. Pourtant, l’équipe du Marseille Jazz des Cinq Continents fait le choix d’une programmation embrassant les horizons du globe tout en conjuguant exigence artistique et ancrage populaire. En s’intégrant dans les contradictions sociales de la ville, ce festival méritait bien une approche psycho-géographique…

 

On sait la propension rhizomique du festival phocéen, proposant des résurgences en périphérie métropolitaine, entre trios somptueux (Dexter Goldberg et Paul Lay, futurs du jazz, ou Yonathan Avishai, dont les gammes complètes mandingues nous rendent fou) et tropismes tropicaux (la diva capverdienne Lucibela, Mino Cinelu…). Le jazz fleurira ainsi, dans le cadre de Musiques aux Jardins, dans la fraîcheur estivale des parcs des quartiers Sud, et résonnera jusqu’à Châteauneuf-Les-Martigues (puissent les parfums alizéens faire oublier la puanteur de la raffinerie de la Mède, sans « r »), et même au Nord de la Sainte-Victoire, avec la terrible trompettiste britannique originaire de Bahreïn, au nom prédestiné de Yazz Ahmed, éminente représentante de cette nouvelle vague d’un jazz londonien parfaitement universel. Or, ce n’est qu’un prélude aux rassemblements proposés au cœur de la cité : quelle ouverture du festival proprement dit sur le parvis de ABD ! Le néo-blues du trio Delgrès, qui marche sur les épaules des géants de la créolisation antillaise, le collectif free de Rouen Papanosh avec l’incroyable poète saxophoniste Roy Nathanson et le rappeur résolument conscient Napoleon Maddox et son projet Home, construisant l’architecture sonore la plus émancipatrice qui soit ! Quittons le quartier de la skyline phocéenne, dont on espère que les fondations capitalistiques seront un tantinet ébranlées par les sons de cette soirée d’ouverture, pour l’écrin du Théâtre Silvain. Puisse la création confiée par les organisateurs au suprême accordéoniste Vincent Peirani se diffuser dans les habitants des villas de la bourgeoisie locale alentours : les effluves de piano à bretelles mélangées à la kora de Ballaké Sissoko, passées au crible du violoncelle déjanté de Vincent Ségal et poétisées par le pianiste Harold Lopez-Nussa (entre autres), seront tellement chargées en métissage que leur endogamie de classe risque d’en être fortement perturbée. Il conviendra bien entendu de passer par le Mucem : on y retrouvera notamment la sublime chanteuse d’origine albanaise Elina Duni, vue à Vitrolles il y a une paire d’années, accompagnée du guitariste londonien Rob Luft, ainsi que Sammy Thiébault, héraut d’un jazz antillais salué par Madame Taubira elle-même.

On se languit d’écouter les fleurs de jazz s’épanouir dans le haut du jardin de Longchamp. En subjectivité parfaitement assumée, nous nous réjouissons de la présence de José James pour son hommage à Bill Whiters, auteur entre autres d’un hymne du mouvement des droits civiques (Lean on me), de l’invitation lancée au bluesman troubadour Eric Bibb par la Compagnie Nine Spirit (toujours dirigée à la manière d’une « chefferie sans pouvoir » par Raphaël Imbert), et, par-dessus tout, de la présence du bassiste punk suprême, Paul Simonon qui, après The Clash, entretint la flamme de la quatre cordes dans diverses formations, tout en continuant une carrière de plasticien et en cuisinant sur les bateaux de Greenpeace (respect). Désormais embarqué dans The Good, The Bad & The Queen, il officiera à la rythmique aux côtés de Tony Allen qui fut, tout le monde le sait, batteur de Fela. Fela + The Clash = Jazz ! La confrérie des bassistes sera également dignement représentée par Marcus Miller, et même par le jeune maître phocéen exilé à Paris Damien Varaillon-Laborie (aux côtés de la divine violoniste Fiona Monbet).

N’oublions pas l’évènement associé Alcajazz à la BMVR, bouquet d’éducation populaire et de jazz porté par des documentalistes militants. Et puis il y aura tout de même quelques incursions extra-festivalières à entreprendre, comme l’apéro-jazz organisé au Couvent Levat : le collectif de jazz artisanal La Jam du CourS, qui fait bouléguer le marché de Gardanne depuis 2016, y délivrera quelque set de standards en toute spontanéité. Car dans la psychogéographie du FJ5C, il ne faudra pas avoir peur de s’éloigner des sentiers battus !

 

Laurent Dussutour

 

Marseille Jazz des Cinq Continents : du 17 au 27/7 à Marseille.

Rens. : 04 95 09 32 57 / http://www.marseillejazz.com

Le programme complet du Marseille Jazz ici