Sandrine Bonnaire dans L'odeur des planches © Jean-Louis Fernandez

L’Interview : Sandrine Bonnaire

L’Interview
Sandrine Bonnaire

On ne la présente plus… Connue aussi pour ses prises de risques (concerts avec Higelin, réalisation, danse), Sandrine Bonnaire s’attaque cette fois au périlleux exercice du spectacle-lecture. Au Théâtre du Jeu de Paume à Aix, elle donne vie au poignant roman de Samira Sedira, L’Odeur des planches, dans lequel cette fille d’immigrés algériens raconte sa déchéance sociale et son retour aux racines, au plus près de sa mère, entre Oran et La Seyne-sur-Mer.

 

L’Odeur des planches vous a ramenée au théâtre après vingt-quatre ans d’absence. Est-ce qu’une lecture était la forme la plus appropriée pour ce texte ou une manière de conjurer le trac ?
Une lecture paraissait plus rassurante certes, car le texte est là. Mais on ne peut pas dire que ce soit « confortable », je me suis aperçue que ce n’était pas si facile… Lors de la création à la Comédie de Valence, nous nous sommes très vite rendu compte qu’il nous fallait l’interpréter. Désormais, si ça reste une mise en espace, les déplacements d’un passage à un autre sont aussi interprétés. Mais plus encore, ce qui m’a fait vraiment revenir, c’est la force du texte. Il est très percutant, saisissant, avec plein de mélancolie, mais aussi de choses très douces quand elle raconte l’enfance, les femmes entre elles…

 

L’Odeur des planches est un spectacle miroir dans un univers de femmes : la narratrice et sa mère, la comédienne et l’auteure, qui est elle-même comédienne… Comment construit-on son jeu sur cette mise en abîme ?
C’est vrai que c’est compliqué d’interpréter quelqu’un qui existe et qui est en face de vous (Samira était présente pendant les premières répétitions). Je ne suis pas du tout intervenue dans l’adaptation du texte, que Samira a faite avec Richard Brunel, le metteur en scène. Elle a la délicatesse de ne pas se mêler du jeu et de la mise en scène. Sa présence entraine de la distance ; en aucun cas j’essaye de l’imiter. On décale un peu les choses. Pour les passages durs, nous essayons de ne pas tomber dans un misérabilisme… c’est très important par rapport à ce qui est écrit.

 

La mère de Samira Sedira vit toujours à La Seyne-sur-Mer, où se passe une partie de l’histoire. C’est au Théâtre du Gymnase que ses parents l’ont vue pour la première fois sur les planches… Vous allez donc jouer au milieu des symboles…
Cela va être fort, surtout pour Samira, mais ça l’a déjà été lors de la création à Valence, quand sa mère est venue. Elle a découvert le livre sur scène, puisqu’elle ne sait pas lire, à travers ma voix. Ce fut très touchant.

 

Il y a un miroir de pudeur entre Samira et vous…
Oui, car il y a beaucoup de dignité dans ce livre, dans ce que sont les personnages.

 

Comment avez-vous rencontré Richard Brunel, le metteur en scène ?
Par Jean-Michel Ribes, que j’avais sollicité pour programmer Le Miroir de Jade. Il m’a présenté Richard Brunel pour le produire. La création s’est faite à la Comédie de Valence qu’il dirige et du coup, il m’a proposé cette lecture. C’est drôle d’ailleurs, il y a un parallèle intéressant entre ces deux spectacles. Ici, c’est une femme qui a été dans la lumière et qui se retrouve dans l’ombre. Le Miroir parle de quelqu’un qui commence dans l’ombre (elle est dans le coma) et qui finit dans la lumière. Idem pour la question du corps. Ici, il y a une espèce de laisser-aller du corps, qui n’existe plus. Samira dit d’ailleurs : « Je ne sens plus mon corps. Le ménage, ça use. Je ne m’habille plus. » Et dans Le Miroir, on commence avec un corps abandonné qui va peu à peu se ressaisir.

 

Le livre est une analyse fine et sociologique de la question de l’immigration des années 60 /70. S’y mêlent aussi l’appartenance, la chute, le poids du regard des autres… Ne sont-ils pas également les thèmes de prédilection de vos projets personnels, comme votre documentaire sur votre sœur autiste, Elle s’appelle Sabine, ou la fiction que vous avez réalisée, J’enrage de son absence ?
Oui c’est vrai. En tout cas, j’ai l’impression d’être poursuivie par les sujets sur l’identité. A partir du moment où elle a été enfermée à l’hôpital, Sabine n’avait plus d’identité. J’enrage… parle d’un apatride qui, lorsqu’il perd son enfant, n’a plus d’identité du tout. Dans Le Miroir de Jade, il est question de retrouver son identité. Dans L’Odeur, il s’agit de la perte du pays et de son identité de comédienne par Samira.
Il y a un point commun aussi avec le film que je vais faire avec la comédienne belge Isabelle De Hertogh (Hasta la vista), avec qui j’ai joué dans Salaud on t’aime de Claude Lelouch. C’est l’histoire de quelqu’un qui n’arrive pas à vivre, à qui il manque quelque chose. Sa fille se retrouve enceinte, vit un déni de grossesse avant de se demander si elle doit abandonner son enfant. Nous en sommes au stade du synopsis. Ce qui est beau dans ce projet, c’est la rencontre entre deux histoires… Celle qu’a imaginée Isabelle et celle que je m’apprêtais à faire avant de la connaitre. Deux histoires qui se font écho.

 

Le thème de l’enfermement est aussi présent…
Oui, mais ce n’est pas quelque chose que je réalisais avant d’avoir fait J’enrage… Ce film m’a ouvert les yeux. Elle s’appelle Sabine était pour moi un acte politique, afin de dénoncer les maltraitances. Dans Le Miroir, c’est le corps et le mental qui sont enfermés. Encore un écho…

 

En fait, vous êtes une fille d’échos…
(Grand rire) Je pense que la vie n’est faite que de cela. C’est aussi ce que l’on met en œuvre artistiquement. J’ai l’impression que chaque artiste va puiser dans ce qu’il connait ou dans ce qui le touche des choses de la vie, que ce soit de près ou de loin, dans le documentaire ou la fiction. L’écho.

 

Comment choisissez-vous vos rôles ?
J’essaye de trouver le moins pire dans ce que l’on me propose. (Rire)

 

On peut proposer des choses horribles à Sandrine Bonnaire ?
Aujourd’hui, il y a un peu de tout. Il n’y a pas beaucoup de relève dans le cinéma. Mais j’ai été finalement très chanceuse : j’ai commencé dans les bonnes années, quand il y avait encore plein de metteurs en scène qui avaient des choses à dire. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, on est plus dans un cinéma d’image…

 

Est-ce que l’odeur des planches va avec l’odeur du trac ?
Oui. L’odeur du trac ne passe jamais. Et c’est bien comme cela. Il ne faut pas que ce soit un trac paralysant, car c’est la tuile, mais il est nécessaire. Il impose une forme de concentration et de vitalité indispensables. Hier, pendant la répétition, il y avait déjà ce trac, mais il n’est pas là tous les soirs. C’est lié à une énergie plus qu’à la salle, bien que des salles plus petites soient plus intimidantes, dans la proximité qu’elles donnent avec le public. On sent le regard des gens.

 

Pensez-vous que, à l’instar de Samira, nous vivons dans une société de fin de droits ?
Oui, clairement. Samira parle des immigrés à qui on a fait miroiter, dans les années 70, une ouverture de travail, d’intégration, qui finalement ne s’est pas faite. A l’arrivée, ils se sont retrouvés le bec dans l’eau.
C’est valable pour elle qui est comédienne, mais plein de gens perdent leur boulot, dans tous les secteurs… Avec toutes ces baisses de subventions, les intermittents sont particulièrement touchés. Et il faut faire très attention, car l’art fait partie de la politique. On peut faire entendre plein de choses à travers l’art. Il ne faut pas s’en passer, il rassemble. J’avais plusieurs films en projet qui ne se sont pas faits pour des raisons économiques. Tous les jours, j’ai des amis dont les projets sont annulés ou délocalisés, c’est vraiment compliqué… Je l’ai aussi vu avec J’enrage…, sans le Luxembourg, il ne se serait pas fait.

 

Samira déclare dans le texte : « J’étais devenue lumière, je me sentais riche, enfin, et cette richesse me servirait tout au long de ma vie. J’avais le pouvoir. » Avez-vous aussi ressenti cela la première fois que vous vous êtes retrouvée devant la caméra ?
Voilà encore une question d’identité. A chaque fois que l’on me dit que le métier de comédienne doit être dur, je réponds non. On porte un regard sur vous, il y a une considération. Je n’ai jamais été aussi bien dans ma vie que depuis que je suis comédienne. En plus, je viens d’une famille nombreuse, dans laquelle j’étais considérée comme faisant partie d’un groupe et où on ne nous appelait jamais vraiment par notre prénom. Et je suis sortie du lot, j’ai été regardée. J’ai senti ça très clairement devant la caméra de Pialat la première fois et je le sens tout le temps. J’ai une vraie identité, encore plus maintenant puisque ça fait trente ans que je suis regardée, écoutée et aimée par certains. Quand on est dans la lumière, on a une identité forte que l’on vous a donnée. Etre dans la lumière, c’est être un peu le phare, en tout cas dans l’instant.
Les parents de Samira ne mesurent pas sa fonction. Si elle ne se montre pas particulièrement fière, sa mère est contente qu’elle fasse autre chose que des ménages, en tout cas dans un premier temps…
Pour Samira, être femme de ménage, c’est un rôle à jouer. Ce qui est fort dans le livre, c’est qu’il démontre que ce n’est pas la fonction qui pose problème, mais le regard que l’on pose sur la fonction.
Ramasser la merde des autres n’est pas un souci ; ce sont les individus qui posent problème dans le sens où, sous prétexte que l’on ramasse leur merde, ils en laissent plus qu’il ne devrait y en avoir.

 

Nous pourrions vous qualifier d’aventurière, tant vos projets sont disparates. Qu’est-ce qui vous pousse à vous mettre toujours davantage en danger ?
Je pense que c’est l’expérience et peut-être aussi l’âge.
Je n’ai pas envie de ronronner, d’être une fonctionnaire du métier d’actrice… J’ai envie d’être portée par des rôles, d’être surprise, de chahuter les codes. Je pense que le temps donne plus d’assurance, une maturité aussi, et puis j’ai envie d apporter d’autres couleurs à ma vie d’artiste. Je n’ai pas envie d’être dans des choses que j’ai déjà faites, c’est débile, ce métier n’est pas fait pour ça.

 

C’est courageux d’agir ainsi en ce moment…
Ce n’est pas courageux, ça me paraît logique. Ce que je trouve courageux, c’est de faire tous les jours la même chose, j’en suis incapable. Courageux évidement dans le sens négatif du terme.

 

« L’odeur des planches lui renversait le cœur »… Avez-vous des projets qui vous renversent ?
Oui, ce projet de film que je vais faire avec les deux Isabelle, De Hertogh et Willems. Il m’inspire beaucoup. Je suis contente de revenir à la réalisation avec cette magnifique histoire intergénérationnelle de femmes et de secret.
Mais j’ai d’autres projets comme comédienne : un film avec Gaël Morel, qu’on va tourner en octobre au Maroc, la sortie en novembre du film de Pascale Pouzadoux, La Dernière Leçon. Je vais faire une petite pause avec le théâtre, sauf si possible reprendre Le Miroir de Jade en tournée à l’étranger, en Europe. C est un superbe projet qui peut passer partout, car il est universel.

 

Propos recueillis par Maryline Laurin

 

L’Odeur des planches de Samira Sedira : du 23 au 25/04 au Théâtre du Jeu de Paume (17/21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence).
Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net

Et aussi le 29/05 au Théâtre d’Arles (Boulevard Georges Clémenceau).
Rens. : 04 90 52 51 51 / www.theatre-arles.com

Texte paru aux Editions du Rouergue