Vincent Ganivet

Vincent Ganivet + Pascal Navarro – Dessins néguentropiques à la Galerie Gourvennec Ogor

Matière en suspens

 

Très belle exposition de rentrée à la Galerie Gouvernnec Ogor, où les arches à l’équilibre précaire de Vincent Ganivet, solides et fragiles à la fois, se fondent dans l’architecture du white cube. En project room, les dessins néguentropiques de Pascal Navarro font écho à cette force simulée, tirant parti de matériaux instables qui découvrent, sous nos yeux, comment éviter leur propre finitude…

 

« La sculpture, c’est ce sur quoi l’on bute lorsqu’on se recule pour regarder la peinture. » Ad Reinhardt

C.3.1.3 Marseille, dont les arches sont réalisées avec des blocs de polystyrène, se déploie dans l’espace de la galerie dans des dimensions monumentales (400 x 700 x 600 cm). La sculpture et l’espace s’harmonisent, à tel point que le regardeur finit par les confondre. Les blocs de polystyrène empilés dessinent deux courbes parfaites qu’un faux mouvement ferait s’écrouler. Comme un jeu de construction pour enfants, les blocs ne sont pas scellés, juste posés. Seules des petites cales donnent aux cubes l’inclinaison nécessaire pour dessiner cette ligne digne des plus beaux arcs des églises romanes.
Le geste sculptural de Vincent Ganivet empreinte aux savoir-faire de l’architecture des cathédrales et autres constructions grandiloquentes. Il joue des affinités entre sculpture et architecture, deux disciplines qui manipulent l’espace, et puise dans le répertoire des formes de l’architecture un vocabulaire aussi symbolique que fonctionnel. Pour ses arches, il a recourt à la technique dite du cosinus hyperbolique, connue en ingénierie des ponts suspendus et utilisée par Gaudi dans la crypte de la Colonia Güell et la Sagrada Família. A l’origine, une chainette pendante, qui trouve elle-même sa stabilité grâce à la pesanteur. Ce dessin réalisé sans support et sans crayon sera reproduit en miroir, dans des dimensions conséquentes… Vincent Ganivet est incontestablement sculpteur. Dans son rapport aux matériaux d’abord (parpaings, briques, polystyrène), mais également dans les techniques de mises en œuvre qui mettent le corps à rude épreuve. Sculpteur et constructeur, il procède par assemblage d’un élément préfabriqué, répétitif et constitutif d’un tout, qu’il maintient en équilibre par des éléments identifiables par le regardeur. Il n’y pas d’autre mystère sous ses arches que celui des lois de la physique. Et si les matériaux sont pérennes, ses sculptures sont éphémères et ne taisent jamais la menace d’un éboulement. Si Ganivet ne joue pas sur l’effet baroque d’un centre de gravité déplacé comme chez Barnett Newman (Broken Obelisk), il mise sur l’ambivalence de la force et de la fragilité ressentie par le regardeur. « La pesanteur unit la sculpture et le spectateur dans une dépendance commune de la résistance à l’attraction de la terre». (William Tucker)
Sous C.3.1.3 Marseille, on pense à Sanson sous les colonnes du temple qui s’écroule, et peut-être même à Sisyphe… Ici, la sculpture est loin d’être ennuyeuse comme le prétendait Baudelaire, elle revêt même un caractère ludique.
Quand Ganivet quitte le gros œuvre, c’est pour donner à ses formes la possibilité de se déplacer, à l’instar de la maquette présentée sous cloche, réplique de C.3.1.3 Marseille, elle-même réplique de l’œuvre présentée dans la cour de la Collection Lambert à Avignon. Ou bien pour mettre en forme les traces qui précèdent la construction. Les séries Martyrs et Nesting sont comme le souvenir des gestes et des outils qui auront servi à la réalisation des sculptures. La première porte le nom de l’établi de l’artiste et du bricoleur, surface de bois qui encaisse les coups de scie, de marteau et autres outils du sculpteur. L’établi sert de planche que Vincent Ganivet encre et utilise pour réaliser les gravures témoins des coups portés… Il en résulte sur la feuille une suite de lignes à la composition abstraite, œuvres tautologiques qui racontent les gestes des premiers moments de la réalisation de la sculpture.
20 secondes de détresse est, comme le dit l’artiste, une peinture de sculpteur fragile et éphémère, à l’image de ses arches. Réalisée avec un fumigène de détresse, l’œuvre laisse apprécier au regardeur toute la profondeur d’un pigment déposé et non fixé sur la toile, qui ne résistera pas au démontage de l’exposition…
On retrouve cette même idée de finitude avec les deux séries de dessins néguentropiques de Pascal Navarro, qui procèdent d’une étude de résistance au temps mais surtout à la lumière de l’outil du dessinateur : l’encre et son corollaire, ici le feutre. Il déjoue les affres de l’obsolescence d’une encre bon marché qui à terme entrainerait la disparition de l’œuvre. Déclinés en un camaïeu de bleus, les dessins ont presque tous été préservés des altérations causées par leur exposition à la lumière naturelle ou artificielle, à l’exception d’un seul qui commence à laisser apparaitre une architecture. Mais les dessins de Pascal Navarro se réservent pour l’heure de révéler l’image qui s’est dissimulée dans la multitude de points réalisés au compte-gouttes par l’artiste. Au fur et à mesure, certains points s’éclairciront pour laisser apparaitre une image dont les sujets sont suggérés à demi-mots par les titres — partie intégrante de l’œuvre chez Pascal Navarro. L’artiste contrarie ici toutes les méthodes de conservation du dessin en cabinet sombre et instaure une implacable donnée, celle qui place en la « dégradation » du dessin la seule chance de sa révélation. Etonnante contradiction qui consiste à laisser disparaitre le dessin pour qu’il puisse enfin apparaitre. Le temps, que l’on retrouve souvent dans le travail de l’artiste, devient ainsi son médium. Ainsi, Pascal Navarro renverse des inquiétudes que nous partageons tous, celles inhérentes au temps qui passe, à la disparition, à la préservation, offrant à ses œuvres le moyen d’échapper à leur propre nature marcescible…

Céline Ghisleri

 

Vincent Ganivet + Pascal Navarro – Dessins néguentropiques : jusqu’au 17/10 à la Galerie Gourvennec Ogor (7 rue Duverger, 2e).
Rens. 09 81 45 23 80 / 06 68 11 48 06 / www.galeriego.com