Thomas Azuélos : portrait

Thomas Azuélos : portrait

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Hors case

Dessinateur et auteur engagé, Thomas Azuélos tient une place à part dans le petit milieu de la BD marseillaise. Rencontre avec un artiste touche-à-tout, qui explore depuis presque vingt ans la cité phocéenne par la bande (dessinée).

Quand il évoque sa « carrière » dans le dessin, Thomas commence étonnamment par parler de son expérience dans la presse écrite. Peut-être parce que, de son propre aveu, sa conscience politique, déjà très prégnante, s’est « radicalisée » avec les années.
Notre homme peut pourtant se targuer de trente ans dans la bande dessinée.
« Je ne sais pas si c’est parce que je lisais de la BD que j’en faisais ou l’inverse. » Toujours est-il qu’à huit ans, le petit Thomas réalise déjà de vraies pages, construites, avec des cadres précis. « J’ai très vite pris ça au sérieux. Dès que j’ai vu Caza et P’tit Luc à l’œuvre dans un atelier auquel je participais, j’ai su que je voulais être comme eux. » Une passion à laquelle son père, qui a toujours dessiné et peint « sans vraiment pousser le truc », n’est certainement pas étranger.
Quatre albums édités par Carabas plus tard, Thomas fait partie de ces rares chanceux qui ont réalisé leur rêve. Il débarque à Marseille en 1995, direction Taktik (l’ancêtre de Ventilo) pour y faire son objection de conscience et concrétiser une autre de ses envies : intégrer une rédaction. Démarre alors une longue histoire d’amour avec la presse écrite, pendant laquelle, non content de se lancer dans le dessin de presse, il goûte aussi au journalisme. « Il y a beaucoup de questionnements communs aux deux pratiques : il s’agit de se demander comment parler de la vie des gens, d’endosser une certaine responsabilité. » D’autant que cette expérience coïncide avec l’arrivée du FN à Vitrolles et que les sujets de société ne manquent pas.
Au début des années 2000, tout en continuant la bande dessinée, Thomas navigue d’un canard à l’autre (Marseille L’Hebdo, Ventilo…), conjuguant toutes ses passions sans jamais faire de concession. Mais la débâcle de sa maison d’édition va se révéler un obstacle difficile à surmonter : « Je ne suis pas allé voir ailleurs, j’ai un peu raté le coche à une époque où les portes des éditeurs étaient encore ouvertes. Maintenant, il y a une crise due à la surproduction. » D’où une certaine frustration ressentie par le jeune homme qui, s’il fourmille encore de projets, n’a pas produit de BD depuis presque trois ans. « C’est devenu très difficile… On m’a clairement dit que mon dernier projet, réalisé avec Guillaume Guéraud (NDLR : auteur de Je mourrai pas gibier, dont l’adaptation en bande dessinée par Alfred a connu un relatif succès en librairies), ne rentrait dans aucune case et que dans ces conditions, il avait peu de chance de trouver un éditeur. C’est dommage, ce livre me tient vraiment à cœur. »
Parallèlement à ses nouvelles activités dans l’animation — il a notamment réalisé les dessins du « palmé » Chienne d’histoire de Serge Avedikian et travaille actuellement à une série documentaire pour Arte —, Thomas continue donc la bande dessinée « pour le plaisir » via Le Ventre de Marseille. D’abord éditée en ligne par Rue89 et désormais publiée mensuellement dans CQFD, cette chronique dessinée « sans l’accent », inspirée du Livre des Merveilles de Marco Polo, se veut « une exploration d’un monde entre la réalité et l’imaginaire. Il s’agit de s’approprier tout ce que je vois, pas seulement avec le souci de le retranscrire, mais aussi et surtout dans l’idée de le décaler. »
Dans le petit milieu marseillais de la BD, Thomas fait donc figure d’électron libre, malgré des affinités certaines, avec Kamel Khelif notamment : « Son œuvre est somptueuse, ultra cohérente. Il devrait déjà être riche et célèbre, alors qu’il travaille dans une certaine solitude. » Thomas s’est quant à lui installé dans un atelier d’artistes, pour éviter une certaine « ghettoïsation BD », considérant que sa pratique doit se nourrir d’autres disciplines artistiques comme la peinture, la littérature, le cinéma. Pour autant, si la création artistique continue de le toucher, la chose culturelle l’intéresse de moins en moins, et il ne mâche pas ses mots quant à la future capitale européenne : « On vit dans une telle violence sociale que la culture officielle me laisse de marbre. Marseille Provence 2013 ne sert que de pommade, d’enjoliveur, à la question d’Euroméditerranée. C’est fait pour attirer les croisiéristes et les Parisiens, et ça permet d’oublier les expulsions de la rue de la République ou le centre de rétention du Canet. Une manifestation constituée uniquement d’événements énormes et vulgaires, réunissant 25 000 personnes consommant en masse, ça me fait horreur ! Pour moi, la vraie culture, c’est Manu Théron et Hakim Hamadouche qui se regroupent pour mélanger musiques arabe et occitane. C’est ça, Marseille. »

CC

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