Carnaval © Bouli de Mars

Rififi au Carnaval de la Plaine-Noailles

Carnaval qui rit, carnaval qui pleure

 

Dimanche 16 mars, quinzième édition du Carnaval de la Plaine-Noailles. Déambulation, bataille de farine, vin, percussions, procès puis farandole et tarentelle autour du bûcher. Mais en France, tout ce qui n’est pas expressément autorisé par l’Etat est automatiquement interdit. Le Préfet spécial de Valls s’est chargé de nous le rappeler…

 

Depuis son arrivée voilà deux ans, la soldatesque nous met la pression. L’an dernier, nous avions réussi à éviter le pire de justesse. Cette année, ils étaient décidés à nous punir. Tolérance zéro, à Marseille comme ailleurs.
C’est un pur procès politique que les autorités intentent au Carnaval de la Plaine-Noailles. Il a commencé dimanche 16 avec l’intervention des CRS et de la BAC contre la farandole finale, s’est amplifié avec l’article de La Provence le lendemain, et a culminé dans l’épilogue judiciaire de mardi, avec ses réquisitions et ses condamnations ubuesques contre les personnes arrêtées — dont quatre finissent aux Baumettes, un pour avoir lancé un œuf qui a éclaboussé un flic en civil…
Procès politique donc, puisque l’enjeu est la polis. Voulons-nous vivre dans une cité réelle, avec sa part laissée au désordre et à l’improvisation, ou dans une cité idéale, parfaitement gardiennée et vidéo-surveillée, réduite à un casting permanent ?
L’idéalisme du pouvoir ne supporte pas que la réalité reprenne ses droits et que Carnaval ressurgisse tout d’un coup, tel qu’en lui-même, insolent et irrévérencieux, bravant les règlements… La police, la justice, les médias sont alors convoqués. Inutile d’espérer alors un droit de réponse dans la presse locale : la Préfecture de police dicte, la Prose Rance relaye, circulez, il n’y a plus de carnaval !
Mardi 25, l’équipe du MuCEM a inauguré une exposition sur les carnavals méditerranéens — dont le nôtre ! Cette coïncidence en dit long sur l’esprit d’une époque : si ON ne nous autorise plus de véritables déambulations carnavalesques, ON nous invite en contrepartie à assister aux performances de quelques compagnies de théâtre de rue lors de l’inauguration…
Je n’insinue pas que les documents présentés dans cette expo sont inintéressants, loin de là. Mais l’ethnographie ne peut donner des idées à qui n’en a pas. Elle prétend nous montrer le monde dans son infinie variété chatoyante mais, telle la lumière de lointaines planètes, ce monde est déjà mort quand il arrive sous nos yeux de spectateurs.
A l’inverse, les coups de matraques, les gaz lacrymogènes et les grenades assourdissantes nous ont signifié avec une brutalité crue combien il est devenu inadmissible pour le pouvoir que des gens veuillent encore habiter un monde, s’y exprimer selon leurs propres rites. L’expo du MuCEM, inaugurée dix jours après le procès politique contre les carnavaliers de la Plaine-Noailles, nous délivre la conclusion de cette histoire : il n’est plus temps de s’exprimer, mais seulement de suivre le guide.

Alèssi Dell’Umbria

 

Le Monde à l’envers, carnavals et mascarades d’Europe et de Méditerranée : jusqu’au 25/08 au MuCEM (Esplanade du J4, Quai du Port, 2e).
Rens. www.mucem.org