Jan Goossens © Danny Willems

Portrait | Jan Goossens

Marseille à l’Anvers

Jan Goossens est le nouveau directeur du Festival de Marseille. Après quinze ans passés au KVS (le Théâtre de la Ville bruxellois), il arrive à Marseille avec l’envie de la découverte et le respect du territoire.

D’une enfance à Anvers où se côtoyaient dans la salle à manger familiale les grandes figures de la politique et de la culture belge, Jan Goossens a gardé le goût de la diversité et du partage. Une mère qui l’emmène au théâtre dès ses cinq ans et un père journaliste politique qui a fondé le prestigieux journal flamand De Morgen l’amènent à faire des études de lettres et de philosophie à Anvers, Louvain et Londres. Il souhaite ainsi se constituer un « bagage », car il sait déjà qu’il a envie de travailler dans le monde de la culture et des arts de la scène, laissant le journalisme à son frère. Quant à la politique, il se limite à cette position : « Je n’ai pas l’impression que je fais de la politique, mais je suis un citoyen engagé et j’ai toujours été plus inspiré et impressionné par les artistes que par les hommes ou les femmes politiques. Mais plus par des artistes qui ont clairement l’envie et l’ambition de contribuer à la société et à la ville de demain. Grandir dans cette famille m’a appris que l’art était très important, et finalement, l’art pour l’art ne m’a jamais trop intéressé, de même que la politique politicienne. Ce qui me plaît, c’est le vivre ensemble, à l’instar d’une ville comme Bruxelles ou Marseille, et de chercher comment construire un avenir commun dans ces villes où les gens ne partagent pas un passé. Je crois que là-dedans, les artistes, des projets culturels, une maison comme le KVS ou le Festival de Marseille ont un rôle clé à jouer. » Est-ce que les artistes vont donc changer le monde ? Il répond modestement qu’il ne sait pas, lui qui a pourtant reçu deux prix prestigieux en Belgique. Le Prix de la Citoyenneté, en 2013, attribué par la Fondation P&V en raison de sa participation « de manière exemplaire à la construction d’une société ouverte, démocratique, tolérante et solidaire. » Et le prix Courage politique du groupe BPlus en 2015, avec Jean-Louis Colinet, directeur du Théâtre National de Bruxelles, pour avoir mis en place pendant dix ans un programme commun dans leurs deux institutions culturelles respectives, l’une francophone, l’autre flamande, abolissant le clivage des publics respectifs. Ce désir de décloisonnement a donné lieu par la suite à des coproductions ou des créations communes entre les deux lieux, et autour de grands artistes flamands ou francophones, que ce soit Joss de Pauw, Bruno Vanden Broecke (l’acteur de Mission), Fabrice Murgia (nouveau directeur du National) ou le Raoul Collectif. Des artistes passés depuis par la case du In d’Avignon…
Comme si les paroles ne sont rien sans les actes posés, Jan Goossens finit par avouer : « Le monde ne changera pas sans les artistes. » En tout cas, le sien a été transformé par eux et sa rencontre déterminante avec Gérard Mortier, ancien directeur du Théâtre Royal de la Monnaie (opéra de Bruxelles), lors d’un stage d’été en dramaturgie et communication. Il apprendra beaucoup de lui, mais se nourrira également du lieu : « Nous étions au début des années 1990, l’époque où Patrice Chéreau, Peter Sellars (dont il deviendra assistant à la mise en scène sur plusieurs de ses opéras) se produisaient à la Monnaie, je me débrouillais donc pour passer beaucoup de temps dans les répétitions. »
Ouvrir cette édition du Festival de Marseille en tant que directeur avec Flexn de Peter Sellars et Reggie Gray ressemble étrangement à un hommage à ses pairs, un salut aux origines. Tout en faisant un pont avec une jeune génération de danseurs. Encore un symbole fort de transversalité.
Goossens a voulu cette première édition comme une carte de visite. Avec, en partie, des projets et des artistes phares de son passé récent au KVS : Platel avec Coup Fatal, Fabrizio Cassol, Badke de Hildegard De Vuyst, la dramaturge de Platel qui rejoint l’équipe du Festival… Du haut niveau, tout en affichant un goût pour le métissage et l’échange. Et également la présentation de jeunes artistes comme Taoufiq Izeddiou dans des formes plus petites qu’il n’avait jamais pu programmer au KVS.
Bien qu’auteur de jolis textes comme celui offert à ses amis et public pour son départ du KVS, Jan Goossens n’a pas de velléités artistiques propres ; il est un découvreur de talents.
Porteur d’un véritable projet d’envergure internationale pour le festival et pour sa nouvelle ville d’adoption, Marseille, il affiche clairement dans sa programmation et ses actions annexes le désir de développer un sentiment de copropriété autour du festival, tant pour les partenaires que pour les Marseillais. « Je voudrais rassembler un maximum de partenaires et de structures culturelles, à l’instar des plus grandes comme le MuCEM, la Criée ou le BNM, qui sont quand même incontournables, proches du festival au niveau artistique, mais aussi au niveau infrastructurel, car ils ont les salles dont on a besoin pour les grands formats. Mais en même temps, il y a de tout petits événements comme Africa Fête qui m’intéressent, ou des structures plus petites que la Criée, mais absolument vitales pour le paysage culturel de cette ville, surtout au niveau de la danse comme l’est Klap. »
Et, contrairement à Jan Fabre lors de son expérience express de directeur du Festival d’Athènes, Goossens ne désire pas faire des focus belges ou africains chaque année, mais explorer d’autres territoires tel que le Moyen-Orient, l’Asie, l’Amérique latine, et développer au maximum une politique de création et d’accueil.
« J’ai voulu que cette première fois soit un voyage d’une grande qualité artistique, mais avec plein de découvertes, et festif en même temps, accessible, généreux, et même populaire. Il n’y a rien de fermé et d’élitiste, même si ce sont de grands artistes. Il faut faire l’effort de venir une première fois, faire connaissance. Cela fait partie d’une transition, et cela peut prendre un peu de temps. On ne construit pas forcément un public en un an. »
Jan Goossens croit fortement au pouvoir des lieux, et à leur effet de rassemblement. Ne pouvant encore bénéficier d’un lieu qui soit propre au festival, le Théâtre Joliette-Minoterie servira de QG et d’endroit festif à la manifestation. On se met à rêver d’un lieu en plein air, qui lui serait octroyé, quel qu’il soit, et qui lui permettrait de renouer avec les années magiques du début du Festival de Marseille dans la cour de la Vieille Charité, qui a vu les artistes compagnons de route de Goossens débuter…
Point de prétention dans les propos de cet homme étonnant, seulement une expérience validée par les professionnels qui lui font confiance, au-delà du sempiternel capital « sympathie belge », mais surtout en raison de ses résultats au KVS, dont il a fait un acteur majeur de la création en Belgique et sur la scène internationale. Sa farouche volonté d’associer, échanger, partager, discuter, fédérer, sa personnalité charismatique assortie d’un sens du dialogue pourraient bousculer favorablement la physionomie du paysage culturel régional. Un festival porté par tous, entre excellence artistique et ouverture au monde, ne pourrait qu’être un argument touristique décisif pour Marseille, et un challenge excitant à relever pour ses structures culturelles.

Marie Anezin