Le Mois de Marie

Retour sur Le Mois de Marie et L’Imitateur par L’Autre Compagnie au Théâtre des Halles (Avignon Off)

Marie pleine de grâce

 

Très présent à Avignon cette année (dans le In et le Off), Thomas Bernhard, dont les textes résonnent singulièrement avec l’actualité, était particulièrement à l’honneur au Théâtre des Halles, où Frédéric Garbe (L’Autre Compagnie) présentait deux petites formes autonomes susceptibles d’être jouées en tout lieu : L’Imitateur, sa dernière création, et Le Mois de Marie.

 

L’Imitateur (écrit en 1981) donne à voir une soirée diapositives où se mêlent les souvenirs anodins et inconséquents de vacances, étrangement entrecoupés de photos de cimetières. Photos qui ramènent à chaque fois à une chronique judiciaire concernant des affaires sordides ou extravagantes survenues en Bavière à cette époque. En tenue tyrolienne, Pascal Rozand se fait conteur indistinct de plaisirs vacanciers et d’horreurs dans une subtile simplicité, rendant extraordinaire le banal balcon fleuri et ordinaire la vision d’un père de famille trucidant toute sa famille.
De folklore coloré, il en est aussi question dans Le Mois de Marie, extrait des Dramuscules du même Thomas Bernhard. Deux vieilles dames en costume local, tout droit sorties de la vitrine des poupées de collection de nos grands-mères, vont devenir sous nos yeux deux captivantes mégères de village. La mort de M. Geissrathner, fauché par un Turc à vélo, est le point de départ de leurs truculents échanges. La faute du notable, bien établie au début, vacille sous les supputations et généralités inhérentes à la peur ancestrale de l’autre, l’invasion fantasmée de l’étranger. « Ils doivent bien être un peu responsables… »
Campées par Frédéric Garbe lui-même et Gilbert Traïna, ces bigotes aux gestes mécaniques n’ont de cesse de nous surprendre et de nous ravir par leur jeu tout en retenue et sous-entendus. En plaçant dans leurs silences le cynisme et l’effroi de leurs pensées, Garbe signe ici une approche très juste d’un milieu, assortie d’une mise en abime de la clairvoyance de Thomas Bernhardt et des mécanismes repérés de la mise en place d’un fascisme. Très précise (tout est écrit), la mise en scène laisse cependant aux acteurs une grande liberté de jeu et d’exploration dont ne se prive pas un Gilbert Traïna au mieux de sa forme, précieux et incisif. L’homme du mardi de L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie montre une de fois de plus toute la subtilité de son jeu.
Un décor à la Kiss and Cry de Jaco Van Dormael (pas de copie toutefois ; le spectacle a été créé en 2008), comprenant une miniature de village bavarois typique avec petite ambulance qui circule et clocher qui s’illumine, sert de support à une bande son qui nous suggère le reste. Le dispositif ingénieux donne instantanément le ton de la farce et positionne ces dames en immenses gardiennes de ce petit monde. Une sorte de vidéo-surveillance ancestrale des villages, que nous avons tous connue.
Rien ne doit leur échapper ou bouger et Dieu s’occupe du reste. Cependant, le changement finit souvent par tout emporter avec lui…

 

Marie Anezin

Le Mois de Marie et L’Imitateur par L’Autre Compagnie étaient présentés du 6 au 28 juillet au Théâtre des Halles, dans le cadre de Avignon Off.
Pour en (sa)voir plus : www.lautrecompagnie.com/