Massy Inc.

Identité remarquable | Massy Inc.

Massy pour ce moment

 

Pour en savoir plus sur la genèse du disque de chanson (pas comme les autres) de Massy Inc., on a naturellement passé un coup de fil à Stéphane Massy.

 

N’y allons pas par quatre chemins : pour le journaliste, ou le critique musical, il n’est vraiment pas évident de parler de la musique de Massy Inc. Du moins, pour faire court, s’en tenir ici au simple jeu des esthétiques, c’est foncer droit dans le mur. Clairement. Mais il faut sûrement renverser la chose et prendre cela comme une aubaine : il souffle donc un air de liberté, où l’analyste marche sur des œufs… « Je ne m’intéresse pas au second degré en tant que tel. En même temps, ce n’est pas vraiment du premier degré. C’est du premier degré et demi. Et ça fonctionne en s’appuyant sur ce qui existe, mais en faisant en sorte que ça ne devienne pas encombrant. » D’accord, mais de quoi parle-t-on déjà ?

De chanson, oui, de chanson française même. Mais n’allez pas vous en référer aux stéréotypes du genre ou aux supposés « socles communs », vous seriez très loin du compte. D’ailleurs, tout n’est qu’ambiguïté dans Massy Inc. En attestent les douze titres qui composent 3349 (accessoirement le code bancaire de Stéphane, qu’il transmet au public pour ne plus jamais l’oublier)… Après avoir enregistré des musiques traditionnelles brésiliennes (Hortensia du samba), et s’être pris la tête à la recherche d’accords et de constructions harmoniques élaborées, après avoir sorti des disques savamment construits sur le label des Disques Bien via Tante Hortense (notamment), Stéphane Massy s’est enfermé seul chez lui le nez sur un sampleur pour en extirper les structures élémentaires qui forment la trame d’un genre nouveau. Un genre qui cite côte à côte Peaches et Bernard Manset (et l’on pense aussi à Katerine), qui fait de la chanson sans se réclamer de la chanson. Sérieux sans l’être. Sans blague, mais en blaguant. D’aujourd’hui, mais avec une touche seventies qui s’échappe de quelques synthés. Il en ressort au fond une sorte d’électro-pop sans filtres mais avec des guitares, qui se dévoile dans une unité formelle, mais tout en entretenant un grand mystère : de qui, de quoi parle-t-on déjà ? On reprend.

 

Du cul, oui, du QI

Du haut de sa moustache, la quarantaine clinquante, Stéphane Massy écrit ce qui lui passe par la tête. Il dessine les contours de scènes de vie plus ou moins cocasses et déroule derrière un ton faussement naïf, finement nanar, de belles tranches d’humanité. « C’est un exercice de sensualité. Mais dans cette sensualité passent aussi des sentiments plus complexes. » Le disque s’ouvre sur un tube, Le Sexe, qui décrit le cheminement complexe que doit emprunter le protagoniste pour répondre aux exigences, et liste les références qu’il doit accumuler pour comprendre, à tel point qu’il n’a même plus de temps pour une partie de jambes en l’air. La philosophie, la géographie, la macro-économie, la gastronomie, Star Wars, Godard, Proust, Bach, Freud, Serge Lama… S’ensuit Documentaire Animalier, dans laquelle l’auteur avoue qu’il aimerait bien être le sujet d’étude d’un documentaire animalier afin, par exemple, que « des jeunes femmes sur-diplômées me regardent des heures copuler », tout en prenant un malin plaisir à rester « aussi chiant qu’un lion, qu’on filme en train de glander, qu’on filme en train de regarder passer des avions, pendant des heures dans sa savane à la con. » Il est donc ici question de tout ce qui jalonne la vie quotidienne d’un homme, le cul certes, et d’autres pensées plus fugaces. Le banal aussi, et l’amour bien sûr, à l’instar de La Plus mauvaise des manières, sorte de déclaration d’amour ratée dont le réalisme ne se satisfait plus des apparats romantiques classiques. « Et je me sens comme un gland, et le mien devient minuscule, quand tu souris à pleine dent… »

Sorte d’îlot ultra-sensible, Nager sans cœur évoque les conseils qu’un père profère à son fils afin qu’il ne se casse pas les dents sur la vie. « Fils, ne va pas nager avec ton cœur, tu coulerais », alors « qu’il y a des gens dont le cœur est plus étanche », mais moins « étrange ». Et l’on touche là à l’une des pierres angulaires du projet : que faire lorsque l’on ne répond pas aux normes en vigueur ? « Ça dresse un portrait alternatif aux archétypes humains tout faits. C’est juste de la musique qui me ressemble, et je pense que je ne suis pas si singulier que ça. Je pense que cette musique ressemble à beaucoup de gens, mais qui ne correspondent pas aux archétypes. »

 

Plan à trois

Nous en parlions déjà en 2010 afin de marquer, notamment, la sortie du premier album de la chanteuse M-Jo… S’il habite Marseille, Stéphane s’est notamment fait connaître dans tout l’hexagone sous le pseudonyme de Tante Hortense via une structure en forme de coopérative d’artistes : Les Disques Bien. Un collectif joueur qui désacralise la chanson française (entre autres) et permet à ses membres de maîtriser le processus de création des disques, jusqu’à en décider le moindre de leurs atours. Et si, à l’instar de 3349, certaines sorties discographiques peuvent s’avérer mainstream dans la forme, l’ensemble y transpire indéniablement l’indé. Pourtant, pour Massy Inc., Stéphane a voulu voir autre chose (3349 est sorti sur le label 03h50), et s’entourer de deux musiciens (déjà connus des Disques Bien) qui lui sont chers, Eddy Godeberge (cavaco électrique) et Christophe Rodomisto (guitares et synthétiseurs). Si les arrangements sont ainsi produits à la manière d’incartades hip-hop composées dans l’intimité d’une chambre à coucher, ils sont néanmoins appuyés par un apport instrumental qui, s’il demeure somme toute minimaliste, permettent naturellement de faire de Massy Inc. un projet de groupe, sur disque et à la scène. On les voit ainsi, lunettes de soleil et chemises à motif, jouer les rock stars sur les toits ou dans le métro new-yorkais, non sans un certain sens du décalage, mais sans se moquer non plus frontalement de l’imagerie du rock star : il est ici plus question de tendresse. « Quand les gens rient de ce que je suis en train de faire, je le prends bien car je sens que l’on ne rit pas les uns contre les autres, mais que l’on rit avec. C’est très beau, et c’est très important, de pouvoir rire, ensemble, des choses. » Et avec ce pas de côté, des mélodies et autres tournures de phrase qui pourraient vous paraître anodines de prime abord finiront peut-être par ne plus vous quitter. De façon obsessionnelle, sans trop que vous ne sachiez ni comment ni pourquoi. Et c’est précisément là qu’opère toute la magie, sur le fil, du savoir-faire de notre homme.

Jordan Saïsset

 

Pour en (sa)voir plus : www.massyinc.com / www.03h50.com/massy-inc / www.lesdisquesbien.com / www.facebook.com/massyincorporated