Massilia Sound System © Mo Lo Cicero

Massilia Sound System

L’Interview
Tatou

 

Un nouvel album, une tournée internationale et un livre : pour son trentième anniversaire, Massilia Sound System fait les choses en grand. Retour avec Tatou sur trente ans de mobilisation en occitan au service la pluralité culturelle.

 

Dans la chanson Si levà mai la cançon, vous dites : « Ce qu’il nous faut, c’est être ensemble ». Y a-t-il encore un vivre ensemble à Marseille ?
Le vivre ensemble, c’est l’unité, le moteur, le plaisir, la joie d’être ensemble. Et ce qui nous emmerde, c’est tout ce qui met des bâtons dans les roues à cette énergie là : l’enfermement sur soi, le côté individualiste dans lequel nous pousse la situation sociale catastrophique…

 

Justement, malgré votre joie de vivre et votre optimisme naturel, on a l’impression que vous portez un regard assez pessimiste sur l’état actuel de Marseille, voire de la France…
Quand tu écoutes le refrain, il n’est ni pessimiste ni optimiste, il est juste réaliste. On dit : quand tu es à genou, à terre (sorte de description de l’état des lieux social déplorable), dans le pire moment, la musique est là pour te remonter le moral. Les luttes et le progrès fonctionnent en dents de scie ; actuellement, on ressent du découragement. Et l’idée, c’est que même au plus profond de la nuit, il y a des chansons pour te remettre d’aplomb parce que c’est ça aussi, le rôle de la musique.

 

Après trente ans, attachez-vous toujours la même importance à la culture occitane ?
En fait, on vit avec, peut-être que c’était très proclamé au début et que ça l’est moins maintenant. Elle fait tellement partie de notre vie quotidienne que c’est une normalité pour nous. Heureusement qu’au bout de trente ans, on a un peu moins à s’en expliquer ! La culture occitane, c’est aussi ce retour sur nous-mêmes, la vie extraordinaire qu’elle nous a procurée. Le fait d’avoir décidé de vivre de notre passion, de continuellement avancer avec une ambiance amicale et même familiale.

 

Faut-il encore lever le voile sur cette culture ?
Au regard de la vision institutionnelle et structurelle de l’Etat français, rien n’a changé ! On est toujours sous le joug du mépris de l’Etat centraliste. Pour les cultures différentes mais surtout d’essence populaire comme la culture occitane, c’est une sorte de double peine. On est méprisé non seulement parce qu’on représente les classes populaires, mais aussi parce qu’on parle une langue étrangère au français. Les crispations de l’Etat français par rapport aux langues n’ont absolument pas évolué.

 

Cela vous a-t-il porté préjudice à vous ?
En tant qu’humain, ça nous empêche d’avoir une vision complexe et réelle de notre territoire. Pourtant, passer d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, ça te prépare à en accueillir de nouvelles, à voir les choses dans leur complexité. Ça nous a porté préjudice de ne pas porter la culture officielle savante, c’est sûr !
Avant, ils disaient « en province », maintenant ils disent « en région », mais ça veut dire la même chose ! Cela signifie qu’il y a la capitale et le reste, sauf que le reste, il commence au bout du métro. On voit bien, quand on traverse les frontières, que cette problématique centre/périphérie s’écroule. Pour un Anglais, je suis un musicien du monde. En France, on est « sympathique », mais on n’a pas d’importance, notre langue sert au petit niveau local… Pourtant, elle s’adresse au monde.

 

Le centralisme culturel a-t-il évolué depuis vos débuts ?
Pas du tout, il s’est même renforcé à mon avis. Ce qu’ils ont appelé la décentralisation a plutôt été la multiplication du même centre au détriment de la multiplication des capitales. Dans l’histoire immédiate marseillaise, il suffit de se remémorer l’année dernière pour voir que ce que l’on raconte est réel : cette Capitale culturelle… Ceux qui nous expliquent ce qu’il faudrait faire sont ceux qui nous on mis dans la panade. Tu inocules la peste et après tu viens en sauveteur en disant : « j’ai trouvé le remède ! »… Quand Ayrault nous explique en 2012 que nos politiques, nos fonctionnaires sont des incapables, c’est vrai… Sauf qu’il oublie que c’est l’Etat Français qui a installé ce marasme chez nous, cette situation bananière.
C’est une maladie mentale de l’Etat français de ne pas accepter d’autres idées, de penser que l’unité, c’est qu’il n’y ait pas une oreille qui dépasse… Tout le contraire du message marseillais. Plus on est différents, plus on a de raisons de se retrouver ensemble. Cette recherche forcenée d’une identité nationale sans que cela vienne naturellement de la population, ça ne peut pas fonctionner. On est tous capable d’avoir des bonnes idées et d’agir.

 

Identité nationale, identité marseillaise ? Quand vous chantez « Mais ils sont où les Marseillais ? », que doit-on comprendre ?
Il y a une résignation générale par rapport à la situation actuelle. La ville n’est plus un lieu d’agora, de rencontre, de confrontation, ça n’aide pas à avoir une attitude positive, à relever la tête. On aurait pu dire « Mais ils sont où les citoyens ? » quand tu vois le résultat des élections…

 

Tu parles d’un Marseille aseptisé, de la nouvelle campagne de communication des acteurs économiques de Marseille Provence, du projet Euromed…
Ça va avec l’image qu’ils veulent vendre, le Marseille light : le soleil, la mer, deux, trois mecs avec l’accent, mais surtout pas les Marseillais ! Ça fait longtemps que c’est engagé, c’était presque le sujet de notre disque il y a sept ans.

 

Justement, vos anciennes chansons résonnent encore particulièrement aujourd’hui…

Exact. Tu peux réutiliser exactement le même discours que dans Ma ville tremble : ça parle de la montée du Front national ; il suffit de changer le nom des méchants. Mais on n’est pas des Bisounours, et c’est pour ça qu’on dure, on s’est fixé des objectifs durs à tenir : la mobilisation, la prise de position…

 

Vos discours continuent de revendiquer vos objectifs mais autour de vous, le paysage musical a-t-il changé ?
Oui, j’espère ! On a été les premiers à renverser la fatalité : «On n’est pas né au bon endroit… On aurait été mieux à Paris ou à Hollywood. » C’est contre ça qu’on a commencé…
Ici aussi, on a des idées, on peut réaliser un truc intéressant. Ici aussi, on peut rentrer dans le dialogue mondial. Aujourd’hui, la scène est plus décomplexée, avant il fallait partir pour faire quelque chose. Aujourd’hui moins, même si la situation n’est pas idyllique…

 

Quelle est finalement la préoccupation première de Massilia ?
Changer le rapport entre les gens, mettre en place des activités. La musique a toujours été l’illustration de notre propre folklore, celui que nous inventons. Massilia Sound System, c’est un pianiste qui joue au cinéma : le film nous intéresse, on a besoin de choses sur lesquelles poser notre musique.

 

Quelques mots sur le livre qui raconte l’histoire de Massilia ?
Ça tombe au bon moment. Camille Martel est l’un des mieux placés pour l’écrire : il fait partie de la génération qui a grandi avec Massilia, un pied dans le hip-hop et un autre dans l’occitanisme, indispensable pour comprendre ce que l’on fait…
On s’est toujours un peu moqué des mecs qui faisaient leur biographie à cinquante ans, donc on n’aurait jamais eu cette idée-là nous-mêmes… Mais c’est bien finalement parce que ça parle de cosmopolitisme et des répercussions de notre musique, qui ont souvent été passées sous silence. Ça fait bizarre, trente ans de carrière… il y a des trucs qui font tellement partie de ton parcours que tu ne t’en rends plus compte, et puis ça te saute aux yeux. On s’est laissé faire, on a eu chacun plus d’une semaine d’entretien avec lui, on a tout ouvert pour lui, nos archives… On est très content de ce livre.

 

Ton expression marseillaise favorite ?
Y’en a plein mais je vais dire « mon vier ». Je l’utilise tout le temps… Elle est tellement drôle !

 

Et le meilleur souvenir de Massilia ?
J’ai envie de dire tout… Quand on s’est lancé, on s’est dit qu’il fallait faire un truc avec les gens qu’on a sous la main… A aucun moment on est tombé sur un découvreur de talents ou un mécène, donc tout ce qui nous arrive est le fruit de ce qu’on a écrit. On a fait des rencontres extraordinaires, on est toujours là après trente ans de carrière avec un public qui nous suit… c’est ça, le plus beau !

Propos recueillis par Elise Lavigne

 

Massilia Sound System :
– Le 16/10 à la Fiesta des Suds (Dock des Suds, 12 rue urbain V, 2e).
Rens. : 04 91 99 00 00 / www.dock-des-suds.org
– Le 21/10 en showcase à la Fnac Centre Bourse

Dans les bacs :
– Massilia
, nouvel album à paraître le 21/10 chez Manivette Records
– Massilia Sound System, La façon de Marseille
de Camille Martel (Editions Le Mot et le reste, 2014)
Rens. http://lemotetlereste.com/mr/attitudes/massiliasoundsystem

Pour en savoir plus : www.massilia-soundsystem.com