L’Interview : Hervé Boghossian

L’Interview : Hervé Boghossian

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Marseille connaît actuellement un renouveau noise grâce à une poignée de passionnés. Parmi eux, Hervé Boghossian, activiste incontournable, musicien et organisateur d’évènements, fait le point avec nous.

Folk et acoustique sous le pseudo Harvey Digger, performance électronique bruitiste en tant que Laptop Solo, noise rock au sein du duo Harsh… Quel est le point d’accroche entre ces musiques ?
Une recherche de l’intensité et de la densité. Je travaille plus sur le prisme sonore que sur des notes, à partir d’improvisations.

Quelles sont tes principales influences ?
Ça dépend du projet, du morceau. Je cite souvent Otomo Yoshihide, qui a beaucoup compté à mes yeux pour son travail sur le feedback (larsen) de guitare, et qui ne fait aucune différence entre un morceau de guitare acoustique et un autre composé à partir de platines. Il n’y a pas de hiérarchie entre un bruit et une note jouée par un instrument. Sinon, à l’origine, je suis influencé par le rock indé…

Le nom Harsh est un hommage au harsh noise, non ?
Oui, en partie, et à un autre de mes projets de composition, Archi.Texture. Le harsh est le courant le plus radical de la noise. Après, je ne fais pas ça pour casser les oreilles du public, ce qui est le cas de certains musiciens provocateurs, je veux juste exploiter les extrémités, jouer avec les limites des instruments.

Te poses-tu la question de l’écriture de la musique ?
Oui, j’oscille toujours entre composition et improvisation. Je n’ai jamais vraiment choisi entre l’un ou l’autre et je n’en ai pas envie.

Il semblerait que l’on se décomplexe de plus en plus sur le fait d’écouter un tube de synth-pop des 80’s et d’être attiré en même temps par un mur de noise, ou du drone… Un extrême en appelant un autre. Penses-tu que c’est un phénomène général lié à Internet ?
C’est sûrement lié à Internet et au fait que l’on puisse piocher dans tous les styles de musique. Les chapelles sont moins identifiables. De façon générale, j’ai du mal à imaginer quelqu’un qui écoute un seul style de musique, ça m’a toujours paru bizarre. Je pense que le rapport au bruit s’est amélioré, grâce à tout un mouvement et à des groupes comme Sonic Youth qui ont servi de passerelle avec des musiciens noise comme Merzbow ou Wolf Eyes. Ces artistes ont aussi fait en sorte qu’il n’y ait plus de séparation entre la noise et la pop, plus radiophonique.

Deux terminologies que l’on a souvent opposées…
J’ai un problème avec les étiquettes. J’aime bien ma liberté, et ma liberté est dans la diversité. J’ai tout de même l’impression que les choses se sont décloisonnées.

Penses-tu que les années 90 ont été foncièrement différentes des années 2000 en matière musicale ?
Les années 90 sont peut-être les dernières durant lesquelles il y a eu des modes. Je pense à Nirvana, par exemple, car c’est ma génération. Les années 2000 sont beaucoup plus éclatées, beaucoup moins massives. En ce qui concerne Marseille, je n’ai pas l’impression que la dernière décennie ait été très dense en matière de noise. Au contraire, nous étions encore focalisés sur les 90’s ; ça bouge beaucoup plus depuis quelques années.

Internet a-t-il eu un effet salvateur ?
Oui et non, je suis partagé. Ça a un peu confiné l’underground dans l’underground, en créant des niches. D’un autre côté, la diversité de l’underground est désormais vaguement connue par beaucoup de gens.

Qu’est-ce qui est novateur ?
Question complexe. J’ai l’impression que la problématique du rétro était déjà présente dans les années 60, pourtant considérées comme « dorées » musicalement… L’innovation est personnelle ; par exemple, le fait de vouloir se mettre à chanter est une innovation pour moi. Elle peut ensuite être partagée. Dans l’absolu, on ne peut pas arriver avec quelque chose de complètement différent. Mais de là à tomber dans le cynisme et dire que tout a déjà été fait…

L’outil informatique a-t-il changé la donne ?
Sûrement. Le problème avec l’informatique, c’est que l’on peut se perdre dans la technique, mais ça peut aussi être un outil pratique. Le détournement des logiciels, voire de l’objet (comme dans Laptop Solo) m’intéresse beaucoup plus. Ce que je fais s’apparente au terme anglais « live electronics », l’outil électronique me servant à retraiter le son en temps réel.

Les évènements autour de la musique noise se multiplient à Marseille, comme en témoigne la série Noise Meeting que tu organises via la structure informelle Interface. Tu penses que l’on assiste à un renouveau de cette musique au niveau local ?
L’évènement participatif 11.11.11 DIY Noise Fest (le 11 novembre dernier) me semble être le point de départ. Il m’a permis de toucher de nouveaux réseaux de musiciens, qui n’avaient qu’à s’inscrire à l’avance pour jouer à Marseille, mais aussi en streaming du Brésil notamment. Pour avoir vécu à Paris, je trouve les interactions entre les différentes scènes de musiques expérimentales plus faciles et spontanées à Marseille. Donc oui, personnellement, je trouve qu’il y a un renouveau.

Vous invitez d’ailleurs Nate Young, le 19 avril à l’Embobineuse…
Wolf Eyes, qu’il a fondé, est l’un des groupes phares du mouvement harsh noise. Ils ont tourné avec des groupes comme Sonic Youth, collaboré avec Merzbow, Black Dice…

Que penses-tu de Marseille Provence 2013 ?
Peut-être que le Off me concernera, mais ce n’est pas encore sûr, donc il est difficile de parler de ça. C’est un évènement plus économique que culturel. Il y a par exemple une réunion au siège du Medef à Paris sur la manifestation… Mais je pense qu’indirectement, ça peut créer une dynamique, et il y a un gros travail à faire pour enfin arrêter avec les clichés. J’ai récemment entendu la Spéciale Marseille sur France Inter, c’était pathétique…

Propos recueillis par Jordan Saïsset
Photo : Jordan Sai?sset

Noise Meeting #5 avec Harsh & Nate Young (+ Barry Wet – mix) : le 19/04 à l’Embobineuse (11 boulevard Bouès, 3e).
Rens. 04 91 50 66 09 / www.lembobineuse.biz / www.myspace.com/herveboghossian