INSOUPÇONNABLE - De Tanguy Viel (Editions de Minuit)

Le Point de Bascule

Jusqu’au Poing final

 

Lieu atypique mélangeant culture, citoyenneté et créativité, le Point de Bascule est de nouveau menacé de fermeture. Mais l’équipe ne l’entend pas de cette oreille et compte bien se battre jusqu’au bout.

Caché derrière une porte de métal, le Point de Bascule s’organise pour ne pas sombrer, faute de subventions. « Ici, on est tous bénévoles, on n’a jamais demandé à être subventionné régulièrement, on demande juste un coup de main pour surmonter cette mauvaise passe financière », explique François Pecqueur, l’un des responsables. Autogéré, fort de sept mille adhérents et financé par des moyens alternatifs ou sur les propres deniers de François, le Point de Bascule fait partie du paysage marseillais depuis sept ans, remplissant une mission transversale, mêlant projets artistiques et citoyens. « On est un laboratoire de citoyenneté créative. C’est-à-dire que l’on accueille, gratuitement, les artistes et les associations qui sont dans une démarche alternative mais n’ont pas accès, faute de reconnaissance, à des locaux pour travailler, se rencontrer, etc. » Ce lieu atypique et indispensable pour bien des Marseillais avait déjà été menacé de fermeture en 2010 avant d’obtenir une aide du Conseil régional. « Cette année, rebelote. On demande un coup de main et personne ne nous répond. Pour les institutions, on n’existe pas, elles nient notre travail. » Face à une réalité politique qui risque de le condamner, le Point de Bascule, rebaptisé Poing de Bascule pour l’occasion, entend se battre jusqu’au bout. « Personnellement, je ne trouve pas sain qu’un lieu comme le nôtre ferme à l’aube de 2013. Je trouve même tout cela profondément anormal, mais personne ne bouge, cela me donne envie de hurler ! Mais bon, on sait pourquoi personne ne dit rien : tout le milieu culturel est sous perfusion de subventions, le premier qui dit quelque chose risque de tout perdre… » Au-delà d’une aide financière, François Pecqueur ouvre le débat sur la fonction du lieu. « En niant notre boulot, ils nient aussi notre fonction. Plus que l’argent ou le maintien du lieu, c’est aussi la reconnaissance de la fonction sociale que l’on occupe : un lieu de rencontres, d’initiatives et d’émergence. La culture, le social et même l’économie solidaire sont répertoriés par les institutions, alors que les lieux comme le Point de bascule, non… Nous sommes citoyens par nos actions, c’est donc logique de nous aider. Nous sommes dans notre droit et nous ne sommes pas les seuls concernés. Et ça, on va le faire savoir haut et fort, parce que l’on n’a rien à perdre. » Un baroud d’honneur avec une deadline fixée fin mars. En attendant, la résistance s’organise et la question est posée : trouvez-vous normal qu’un lieu culturel ferme en cette année « Capitale » ?

Aileen Orain

 

Le Point de Bascule : 108 rue Breteuil, 6e.
Rens. 06 11 05 87 54 / www.lepointdebascule.fr

 


 

L’interview

François Pécqueur

 

Alors que le Point de bascule, lieu d’accueil culturel et citoyen aux exigences alternatives, est de nouveau menacé de fermeture, François Pécqueur, l’un des tenanciers, revient sur une politique qui met à l’amende des lieux atypiques, et plus largement sur une année « Capitale » qui s’annonce décisive.

 

En 2010, vous aviez déjà été menacé de fermeture, et ça recommence aujourd’hui…
Oui, et  ce n’est pas un hasard. Nous existons depuis sept ans, avec un mode de fonctionnement autonome axé sur le bénévolat, sans subventions. Notre lieu est un laboratoire de citoyenneté créative, et un lieu d’accueil alternatif : nous recevons tous les gens qui sont dans une démarche alternative mais qui n’ont pas accès à des locaux pour travailler. On a déjà accueilli gratuitement un bon millier d’artistes pluridisciplinaires. Imaginez si j’étais pote avec Guérini et qu’il nous ait donné des fonds pour réaliser tout ce boulot, il aurait fallu compter dans les 200 000/300 000 euros. Mais on n’est pas là pour gagner de l’argent, où en faire gagner. Nous faisons fonctionner ce lieu parce que nous sommes sûr de son utilité.

Vous dites que cette situation n’est pas un hasard. Pourquoi ?
Il faut savoir qu’en ce moment, les gros pourvoyeurs de subventions sont aux mains du PS. Ce qui crée un paradoxe : ceux qui flippent le plus à propos des associations se disant citoyennes, c’est aujourd’hui davantage la gauche que la droite. Or ce qui est alternatif est pourtant plutôt de gauche. C’est très étrange comme situation : ils ne soutiennent pas des lieux alternatifs comme le notre alors que l’on propose des actions vraiment citoyennes qui vont donc, logiquement, dans leur sens.

Quel est votre principal problème, aujourd’hui ?
Le loyer, tout simplement. Le propriétaire peut désormais venir n’importe quand nous mettre dehors. C’est pour ça que l’on demande de l’aide aux institutions, mais ils ne nous calculent pas, ils ne nous répondent même pas,… Ils nient carrément notre existence. On ne demande pas à être subventionné de manière permanente, mais juste un coup de main.

Quel est votre point de vue sur MP 2013 ?
Il est un peu particulier. A l’annonce de l’élection, nous y avons réfléchi, j’ai même rencontré Latarjet pour en discuter. Je lui ai expliqué qu’à Marseille, il existe un art émergent, alternatif, underground -appelez le comme vous voulez- et ce serait une grave erreur de ne pas l’inclure dans le projet MP 2013. On en a discuté plusieurs fois, il trouvait ça intéressant. Dans la foulée, j’avais même déposé un dossier, les Arts Ailleurs.

En quoi consistait-il ?
C’était une allégorie sur une peuplade d’artistes qui auraient enfin découvert les chiffres soulignant que seulement moins de 8% de la population serait en contact avec la culture. Ils décident alors de partir à la rencontre des gens. Ils font alors de l’art partout sauf où on leur dit d’en faire : dans la rue, les parkings, les salles d’attentes, etc. Cette proposition était censée créer un OFF, sans en porter le nom, mais qui aurait été un « OFF éthique ». Contrairement, par exemple, à celui d’Avignon. Là bas, tout l’argent va dans le IN. Les troupes de théâtre payent à prix d’or leur place et drainent beaucoup de monde, mais sans profiter des retombées économiques. Ce n’est pas un modèle. Notre idée consistait à monter des événements culturels partout et tous les jours, mais sous une forme éthique : en échange de représentations régulières on ne demandait qu’un pourcent du budget global, c’est à dire pas grand chose.

C’était un pari risqué…
Bien sûr ! Et ça n’a pas été accepté. Mais ça aura eu le mérite de montrer qu’il est hors de question pour les institutions de donner la parole à une contre-culture. Ce qui est marrant, c’est que lors de la sélection des projets du IN, nous avons été contacté par la « Mission 2013 » de la Mairie de Marseille car ils se rendaient compte que le seul IN ne serait pas suffisant. Ils ont souhaité nous rencontrer, le projet les intéressait, mais sur le moment, il ne fallait pas en parler. Ils m’ont convoqué deux fois et puis plus rien. Quelques mois plus tard, le OFF sort, accueilli à bras ouverts par le IN.

Que pensez-vous du OFF alors ?
Ce sont des communicants et des Belges… Je suis Belge et communicant, donc je ne devrais pas dire du mal de ces gens là, je les trouve même plutôt sympa. Mais ils ont fait une erreur. Leur décision de créer un OFF n’était pas réfléchie, ça s’est fait au dernier moment. Ils ont vu que leur site lancé il y a quelques années ne marchaient pas. Ils se sont donc donné deux choix : en rester là, ou monter un OFF. Ils ont alors sauvé la mise au IN, lui-même totalement déconnecté de la réalité. Gaudin, Pfister… tous ces gens ne sont pas des gens de culture.
Résultat, d’un côté, on a un IN qui nie la dimension politique de la culture, et de l’autre, un OFF qui n’en parle pas non plus. Il n’y a pas de réelle réflexion. On peut d’ailleurs faire le lien avec la citoyenneté : dans un cahier des charges d’une Capitale européenne de la culture, le mot « citoyenneté » est partout. C’est un mot à la mode, comme « environnement » ou « durable ». Et à Marseille, il faut voir… On placarde des photos d’inconnus, ça fait « citoyen ». On fait défiler des minots avec leurs parents, ça fait « citoyen ». On organise des clameurs, ça fait « citoyen ». Tout ceci contribue pourtant à nier ce qu’est la citoyenneté, et sa nécessaire finalité : la réappropriation des affaires publiques. 2013 continue de faire passer la citoyenneté comme un simple divertissement avec de l’événementiel.

On vous sent très remonté…
Oui, parce que les trois-quarts des gens suivent le mouvement trouvent ça fantastique. Résultat, les gens comme moi qui râlent, qui gueulent, passent pour des mauvais esprits, d’éternels insatisfaits. Pourtant, on se bouge le cul, on reçoit des artistes. On est des guerriers de la culture ! J’ai envie de hurler. Je ne sais plus comment poser les choses pour que les gens finissent par se dire : « Oui, c’est profondément anormal ». Je vais vous dire, je trouverai ça normal que l’on confie la direction d’une « année Capitale de la culture » à un président de CCI le jour où on confiera le redressement de la Société Marseillaise de Crédit à un poète. Pour moi, l’art et la culture sont les dernières armes de réveil face à un formatage encouragé par les écrans, la télé, etc. Ici à Marseille, depuis que Poitevin est parti, on n’a plus vraiment de « vraie » culture. Elle est désormais totalement dévaluée et utilisée comme outil de densification du territoire, pour faire venir des touristes. La culture sera instrumentalisée comme ça pendant un an, et le pire, c’est que ça va marcher.

Vous n’êtes certainement pas le seul à penser ça. Pourquoi des voix ne se font-elles pas entendre ?
Le milieu culturel étant sous perfusion de subventions, tout le monde ferme sa gueule.

Avez-vous un plan pour enrayer la fermeture de votre lieu ?
On entend bien faire savoir haut et fort que ce problème ne concerne pas que le Point de Bascule. Je ne veux pas l’ériger en symbole. 7000 adhérents nous suivent, ça fait déjà un joli comité de soutien. On va d’ailleurs leur demander des contributions textuelles sur le thème : « Trouvez-vous normal qu’un lieu comme le notre disparaisse en 2013 ? ». On va voir se tourner vers d’autres acteurs culturels, d’autres associations, pour mettre en avant ce que tu tout le monde pense. On s’est fixé jusqu’à fin mars. Passé ce délai, on devra fermer à cause du loyer. Pour l’instant, je m’occupe uniquement de faire revenir une situation complètement anormale à la normale. Tout ce que l’on demande, c’est un coup de main. Nous réagissons pour que ça ne recommence pas. On fera tout ce qu’il faut pour tenir nos positions.

Propos recueillis par Aileen Orain.

 

Le Point de Bascule : 108 rue Breteuil, 6e.
Rens. 06 11 05 87 54 / www.lepointdebascule.fr