Détail de l'installation Tracing Faces

Jérémie Setton – Oh le beau jour encore que ça aura été à la Fondation Vacances bleues

La fin des Vacances

 

Oh le beau jour encore que ça aura été sera la dernière résidence et la dernière exposition de la Fondation Vacances bleues, qui met un terme à ses activités de soutien à la création contemporaine. Le travail de Jérémie Setton, qui traite entre autres de la disparition, trouve dans ce contexte une résonance toute particulière…

 

« Méditer, sans traces, devient évanescent… » (Stéphane Mallarmé)
Françoise Aubert, à qui l’on doit la très remarquable programmation de la Fondation Vacances bleues ces dernières années, fait une fois encore preuve d’une grande justesse dans son ultime invitation à Jérémie Setton. Car si l’art est un langage à part entière, s’il supplante les mots pour dire les choses différemment, rares sont les artistes qui ont su inventer une nouvelle langue. « L’art est un mode de pensée en soi, en parler est impossible, voire dénué de sens, puisque l’on ne peut mettre en mots ce qui peut uniquement être mis en mots. » (Gerhard Richter)
On connaît Jérémie Setton pour sa peinture et sa déterritorialisation du médium, mais cette fois, c’est avec le dessin que l’artiste réalise son installation d’une radicalité efficiente. L’atelier de Vacances bleues dans la pénombre, au milieu un socle sur lequel est posé un vidéoprojecteur. L’outil qui embarrasse le dessin d’aujourd’hui est ici assumé et appartient pleinement à l’installation. Mais quiconque entre est attiré d’emblée par la forme dessinée, d’un velouté gris-noir, qui se détache sur le mur blanc.
Oh le beau jour encore que ça aura été, dont le titre est emprunté à Samuel Beckett, est une installation régie par un dispositif qui intègre le spectateur. Un portrait de famille, « dupliqué » au fusain sur une grande feuille blanche. Les personnages apparaissent et disparaissent, tour à tour ombres ou négatifs. Les visages se révèlent, présents dans un moment fugace, puis retombent, non pas dans l’oubli mais dans le souvenir. On les découvre en s’approchant, comme on devinerait les peintures pariétales d’une grotte, sous l’étroit jet de lumière d’une lampe de poche qui n’éclaire l’image que morceau par morceau. Aucun truc, aucune magie, hormis celle d’un long et méticuleux travail. A l’heure du numérique, Jérémie Setton s’inscrit dans une tradition du dessin originel reposant uniquement sur la connaissance des nuances, des couleurs et des tons que la lumière modifie et que l’artiste rattrape en jouant sur la densité des valeurs… Celui qui se place entre le vidéoprojecteur et le dessin provoque une altération de la lumière. Le dessin peut alors se révéler et commencer à raconter son histoire… Celle de deux photographies retrouvées un jour par l’artiste, un portrait de famille d’avant-guerre, dont l’une des deux versions a été modifiée. Durant les quelques années qui succédèrent à ce beau jour où la photo fut prise, on a fait disparaître l’un des personnages du tirage d’origine. Existent désormais deux versions d’un même moment. Dans l’anecdote sont contenus tous les axes autour desquels Jérémie Setton travaille : l’effacement, la présence-absence, principe inhérent à la photographie et au « ça a été » de Roland Barthes, et la révélation.
A la superposition des médiums photo sur dessin s’ajoute une étrange promiscuité physique entre l’artiste et les membres de cette famille presque grandeur nature quand, au plus près des visages, Jérémie Setton dessine leur trace sur la feuille. Son geste rappelle celui de la fille de Butades (1) qui pose le dessin comme le geste ultime du souvenir, une tentative de garder la présence de ceux qui sont partis. La question de la trace reste ici primordiale, celle du dessin sur la feuille demeure fondamentale pour l’artiste quel qu’il soit. Ne s’agit-il pas toujours de cela, comme le préconise Mallarmé dans L’Action restreinte ? « Ton acte toujours s’applique à du papier ; car méditer, sans traces, devient évanescent… » Ici, c’est l’image qui devient évanescente…
Dessiner en effaçant : Jérémie Setton explore toute l’ambiguïté d’un processus qui passe par une disparition avant de faire revivre des hommes et des femmes, réaffirmer leur présence en un lieu et en un moment, tributaires de notre propre présence, de notre propre appartenance à la scène… L’image ne se livrera jamais dans sa totalité. Fugace, elle s’efface et se dérobe le temps d’un déplacement… Inconstance de l’image, en écho à la finitude des choses. Jérémie Setton raconte cette histoire que l’on pressent funeste au fusain et à la lumière, là où les mots seraient obscènes. C’est par l’expérience de la disparition et de l’apparition que le spectateur envisage le destin de cette famille. Les informations passent par le sensible et non plus par l’intellect. Les effets d’une telle langue n’en seront que plus troublants…

Céline Ghisleri

 

Jérémie Setton – Oh le beau jour encore que ça aura été : jusqu’au 26/12 à la Fondation Vacances bleues (32, rue Edmond-Rostand, 6e).
Rens : 04 91 00 96 83 / www.fondation-vacancesbleues.com/exposition/

Pour en (sa)voir plus : www.jeremiesetton.com

 

 

 

 

 

Notes
  1. Pline l’Ancien raconte l’histoire de la fille de Butades qui dessine le contour de l’ombre de son amoureux avant que celui-ci parte pour la guerre. Son père réalisera une sculpture d’après ce dessin.[]