Hyacinthe et Rose © Manuelle Toussaint

L’Interview : François Morel

L’Interview
François Morel

 

François Morel, ex-Deschiens, chroniqueur adulé sur France Inter, chanteur de music-hall, comédien de théâtre et cinéma, est surtout devenu un auteur, fou amoureux des mots. Le week-end dernier, il a conquis avec brio l’Ouest du territoire avec La Fin du monde est pour dimanche aux Salins et Hyacinthe et Rose au Sémaphore. Début mai, accompagné de son musicien fétiche Antoine Sahler, François Morel viendra, avec ce dernier spectacle, fleurir d’humanité le Théâtre du Jeu de Paume. Rencontre.

 

Comment avez-vous mis le nez dans les fleurs de Martin Jarrie ?
Véronique Le Normand, auteure jeunesse, m’a mis en relation avec lui, il cherchait quelqu’un pour illustrer ses peintures de fleurs en vue d’un livre. Je suis allé voir ses toiles dans son atelier et à l’époque, j’avais écrit quelques lignes sur un projet, Mémèremone et Fidetaupette. Un couple de grands-parents qui ne s’entendaient sur rien. J’ai pris ça presque comme un exercice oulipien. Je me suis mis comme contrainte d’avoir une fleur, un souvenir d’enfance. Puis j’ai essayé de raconter une enfance qui pourrait ressembler à celle de tout le monde, que chacun y trouve des choses à soi, le rapport à la campagne, aux grands-parents, à la transmission… Et aussi que le personnage grandisse sous nos yeux en racontant plein d’anecdotes d’enfance, en allant doucement vers l’âge adulte, la séparation et le deuil. Un truc sur la vie… Mon texte n’était pas illustratif des peintures de Martin, j’ai plutôt collecté dans mon entourage des tas d’histoires sur les fleurs. Ça s’est composé comme ça, à partir de souvenirs réels, inventés et transposés de mes proches, de Martin ou de moi.

 

Comment avez-vous basculé du projet livre à celui du spectacle ?
Au début, je l’avais fait pour le Théâtre de la Pépinière en pensant y jouer juste une petite série. Puis le Théâtre de l’Atelier me l’a réclamé et ça a déclenché une tournée.
C’est un spectacle beaucoup plus évolutif que La Fin du monde est pour dimanche, qui était très précis, très écrit dès le début. Assez naturellement, nous sommes passés d’une forme de lecture à celle d’un spectacle.

 

Hyacinthe et Rose est-il un prétexte pour parler du vivre ensemble ?
Sûrement. En fait, je ne me le dis pas comme ça quand je l’écris, mais à la fin, oui, je parle de vivre ensemble et du fait que l’on peut ne pas être d’accord et partager de bons moments. En fait, le livre, et donc le spectacle, parlent plus d’humanité que de fleurs. Surtout que je ne suis pas du tout un spécialiste des fleurs, mais comme Martin peint les fleurs comme si elles étaient des personnages…

 

Comment travaillez-vous avec Antoine Salher, qui compose désormais la musique de tous vos spectacles ?
En osmose ! C’est souvent moi qui viens avec un texte et une idée de spectacle et c’est quelqu’un qui rebondit immédiatement. On a ensemble une belle connivence. Il est souple, rapide, sensible, exigeant. Que dire d’autre ? Ah ! Oui ! Il fait aussi partie du nouveau spectacle musical La Vie (titre provisoire), mis en scène par Juliette, mon autre belle complicité, qui passera bientôt par chez vous… (sourire qui ne dit ni la date ni le lieu)

 

Êtes-vous d’accord avec cette appellation de « comique d’empathie » qui est souvent employée pour définir un aspect de votre travail ?
Je ne sais pas si je suis sympathique, mais je me sens assez empathique. La façon dont les gens me parlent me donne l’impression d’être un artiste de proximité. Je n’impressionne pas les gens, ils m’aiment bien et me traitent un peu comme quelqu’un pour qui on a de l’affection. De même, je me sens faire partie du public et des auditeurs avant de me sentir artiste. Donc, quand je prends la parole, que ce soit lorsque je monte sur scène ou que je suis à la radio, je suis dans ce rapport-là. De temps en temps, je fais une petite chose qui me permet d’aller derrière le micro ou sur la scène pour dire ce que j’ai vu. Souvent, j’ai l’impression de venger des gens qui n’ont pas forcément les mots mais qui auraient envie de parler. Au début, j’étais impressionné d’être sur France Inter, parce que j’avais vu les chiffres, mais je me suis calmé tout de suite en me disant ce ne sont pas deux millions qui m’écoutent mais une personne dans sa salle de bain, une dans sa voiture… En parlant à une personne à la fois, il ne faut pas être plus impressionné que ça, au contraire.

 

Avez-vous une liberté totale pour créer ?
Pour ma chronique dans le 7/9 de France Inter, je vois ce que l’actualité fait sur moi et de temps en temps, je peux être en colère ou triste, avoir envie de rire ou d’être léger, mais j’ai le droit de tout être ! J’ai la chance de dire ce que je veux et de la façon dont je veux, sans l’obligation d’être drôle à tout prix. Et cela me va bien, car l’obligation de rire de tout à tout prix me fatigue parfois. Je n’ai pas forcement envie de rire quand je vois des images de naufragés, des gens qui sont licenciés, qui souffrent… Le rire peut être salvateur et libérateur. Mais de temps en temps, ce n’est pas ce que je ressens ni ce que j’ai envie de dire. Je fais en sorte qu’il y ait aussi une espèce de naturel dans ce que je fais.
Si j’ai tant aimé participer aux spectacles de Deschamps-Makeïeff, c’est parce qu’il y avait justement un mélange d’émotion et d’humour. L’image de Yolande dans C’est magnifique poussant son caddie et allant reconstruire sa vie ailleurs, c’est une image, mais c’est surtout bouleversant. A chaque fois, je pensais à Mère Courage et à des gens comme ça, puis juste après, je faisais le clown avec Bruno Lochet… J’aime bien ça parce que dans la vie, il y a les deux, on a parfois envie d’éclater de rire ou de verser une larme sur la difficulté du monde à trouver un équilibre.

 

Vous semblez utiliser la méthode du patchwork pour réaliser vos projets. Est-ce un problème de confiance ou une méthode ?
Je fais toujours un pas l’un après l’autre. Si je me demandais : « Est-ce que tu peux écrire un livre ? Non ! Est-ce que tu peux écrire un chapitre ? Oui. Et puis après tu pourrais en écrire un deuxième ? Oui. » J’ai fait pareil avec Norah Krief, qui voulait que je lui écrive un récital de chansons. Au départ, j’ai pensé que je n’allais pas savoir. Mais comme j’aime travailler régulièrement et écrire, j’ai fini par écrire le récital, chanson après chanson.

 

Vous venez souvent jouer dans la région. Quel rapport entretenez-vous avec ces différents lieux et publics ?
Un rapport de fidélité. Cela fait plusieurs fois que je joue à Martigues et dans les Théâtres. Je connais Dominique Bluzet (ndlr : le directeur des Théâtre, à savoir le Gymnase et les Bernardines à Marseille, le Jeu de Paume et le GTP à Aix) du temps où nous étions tous deux apprentis comédiens à la rue Blanche. A chaque fois que j’ai fait un spectacle, Dominique m’a invité, comme Annette Breuil quand elle était aux Salins, donc je connais très bien ces théâtres et leurs publics, même si je ne fais pas tellement de différence entre les gens. Pour moi, le public est un peu une entité, une seule personne à la fois.
Pour le Sémaphore, c’était une jolie découverte. Un théâtre où j’ai apprécié la mixité du public et la manière dont ils se retrouvent après le spectacle autour d’un verre, offert par le théâtre, pour discuter de ce qu’ils ont vu. Cela va dans mon idée du théâtre.

 

Comment fait-on pour être un mec bien dans un monde pourri ?
On ne les valorise pas forcément, mais il y a plein de gens formidables, j’en rencontre tout le temps. Dans le spectacle, je suis entouré de personnes qui font bien leur taf, qui sont agréables, courtoises, respectueuses des gens. Il y en a beaucoup, des gens comme ça, non ?
Quant à moi, je peux être aussi impatient, atrabilaire, énervé… Je peux décevoir les gens dans le quotidien quand je m’énerve au volant… Je ne suis pas l’être parfait que l’on raconte de temps en temps, et puis j’énerve aussi des gens, il y en a qui ne me supportent pas. Je fais juste ce que je peux.

 

Il est clair que vous aimez raconter des histoires, est-ce le point commun de vos diverses activités ?
Dans La Fin du monde est pour dimanche, il ne s’agit pas d’un mec qui dit des vannes les unes après les autres et où tout est basé sur la parole. Ce ne sont pas non plus des chroniques de la matinale du 7/9 de Cohen, sauf La Nativité, que j’avais faite un matin de Noël. Elles datent plutôt de l’époque où je faisais Le Fou du roi de Stéphane Bern sur France Inter, où j’allais deux fois par semaine présenter des invités. Le texte de Jeannine, je l’ai fait un jour où il recevait Sheila, c’était le texte d’une fan, une Jeanine qui raconte que sa vie avait toujours été calquée sur celle de Sheila.
Il m’est aussi arrivé de faire des chroniques dont j’étais assez content, et voir qu’elles comportaient des propositions théâtrales. Je regrettais de ne pas pouvoir plus les exploiter, du fait que nous étions à la radio. Ce texte sur Jeanine en est un exemple. Faire une vraie Jeanine avec une vraie robe, l’imaginer dans sa cuisine, sa solitude, ça pouvait être une matière théâtrale que l’on pouvait approfondir par rapport à la chronique. Quand j’ai eu cette idée de spectacle sur le temps, le destin et le vieillissement, je me suis dit que je pouvais reprendre aussi le texte en alexandrins écrit à l’occasion de la venue de Jean Piat dans l’émission. Je n’ai pas du tout changé le texte, mais je prends un peu plus de temps sur scène, plus de plaisir à le conférer.
Dans La Vie (titre provisoire), il y a un petit clin d’œil au music-hall à la fin où je joue d’un instrument de musique, assez mal d’ailleurs, mais comme Raymond Devos pouvait le faire dans ses spectacles, car il n’y avait pas que les mots. Je fais attention à ça aussi, qu’il n’y ait pas que des mots lorsque je suis sur une scène de théâtre, que le corps parle.

 

 

La forme de la chronique peut-elle être frustrante ?
La chronique est stimulante dans l’urgence de l’écriture, mais elle peut s’avérer frustrante dans sa durée de vie, son caractère éphémère. Donc La Fin du monde est pour dimanche était une façon de réutiliser ces chroniques (rires), mais, surtout, j’avais envie d’en faire du théâtre et également de faire un spectacle en dehors de l’actualité, pas du tout chansonnier… De même, je voulais faire un spectacle qui réunisse les gens. Il y a plein de spectacles destinés aux jeunes, d’autres aux vieux, il y a des chanteurs pour jeunes, pour vieux, pour hétéros, pour homos… Moi j’aimerais bien que dans une salle de théâtre, il y ait tout ce monde réuni.
J’essaie d’être un peu intéressant pendant trois minutes trente. J’essaie aussi de ne pas faire du remplissage comme l’ont fait certains humoristes à une époque. Je n’ai pas envie de surfer sur le fait que je n’ai rien à dire. Si tu n’as rien à dire, autant laisser les autres parler. Et dans mes spectacles, je ne fais pas du stand up, mais du théâtre.

 

Y a-t-il un esprit France Inter ?
J’aime bien mes collègues, mais on ne travaille pas ensemble, sauf exception, et on ne se croise même pas puisqu’on se succède tout au long de la semaine. La seule avec qui j’ai fait des chroniques, c’est Sophia Aram. Il y sûrement un souci de sens sur France Inter. Si on racontait absolument n’importe quoi, si nous étions trop à côté de la plaque au niveau de l’actualité ou si nous disions de grosses conneries, ils nous en voudraient un peu. Je pense que tous ces gens-là ont une conscience de ce qu’ils racontent et un sens des responsabilités. En tout cas, c’est ce que je ressens quand j’écoute Nicole (Ferroni) ou Alex (Vizorek), Sophia (Aram) ou Vincent (Dedienne).

 

Qu’avez-vous pensé du buzz de Nicole Ferroni sur Facebook avec sa vidéo sur le secret des affaires ?
Je le trouve sympathique. Parce ce que ce qu’elle dit est vachement bien, qu’elle le dit avec beaucoup de talent et d’humour. Je pense qu’elle a été la première surprise de ce buzz. Elle a dit gentiment que sa mère l’avait téléchargé et podcasté dix millions de fois, mais je crois que c’est une figure de modestie. Elle a dit les mots que les gens avaient envie d’entendre à ce moment-là et elle a trouvé des mots extrêmement justes.

Propos recueillis par Marie Anezin

 

Hyacinthe et Rose : du 6 au 14/05 au Théâtre du Jeu de Paume (17-21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence).
Rens. : 08 2013 2013 / http://lestheatres.net

Pour en (sa)voir plus : www.francoismorel.com

Bonus

Le 21 mai prochain, Hubert Mounier de l’Affaire Louis Trio et François Morel devaient enregistrer la chanson C’est encore long l’enfance, j’en sais rien !. Un duo qui datait des années 90, réalisé pour les Francofolies de la Rochelle. Ils n’en auront pas eu le temps…