Muge Knight © Cityzen Prod

Identités Remarquables | Muge Knight

Mèfi, voilà Muge Knight !

 

Sous couvert d’humour et de second degré, Muge Knight s’inscrit dans la grande tradition du rap revendicatif marseillais.


Si, en 2013, dans les bureaux de la Mairie, on proclame Marseille Capitale de la Culture, un autre son de cloche résonne dans le petit village d’Endoume, où un rappeur décrète Marseille capitale de la friture. Pas celle de la frite McDo pauvre, non, celle du supion et du poulpe frit à l’ail et à l’huile d’olive. On est à Marseille, ou bien ? Signé Mesrime, seize ans de rap au compteur, le titre Mon vier maintenant fait le buzz sur Internet où le clip (réalisé par Florian Lalanne) engrange des milliers de vues en quelques semaines. Le morceau introduit le personnage de Muge Knight, un antihéros passé maître dans l’art de la débrouille et de la survie en milieu urbain. Soit un Marseillais ordinaire, cantonnier de son état, parce que, ici, on est forcément « voleur ou éboueur ». Et qui a « appris à faire de l’argent par magie », même si à la fin du mois, c’est « pâtes à l’ail » au menu. Un univers dans lequel évoluent des « Eva Mendes aux dents cassées en survêt du Milan AC » et des mecs « qui volent le poteau quand ils te volent le scooter ». Les fans de hip-hop et de rap US saisissent immédiatement la référence à Suge Knight, cofondateur de Death Row Records, le sulfureux label du début des années 90 sur lequel figurent 2Pac, Snoop Dog et Dr. Dre. Le pseudonyme de Muge Knight est évidemment un « clin d’œil à Suge Knight, à la marseillaise », explique le rappeur. C’est-à-dire assorti d’une bonne dose d’humour et de second degré — si tant est qu’il faille le préciser. L’engouement autour du titre claque comme une bulle d’air frais sur la scène rap locale et incite son auteur à aller plus loin : « En fait, j’ai fait Mon vier maintenant par hasard, c’est après que j’ai eu l’idée de développer le personnage sur un album entier. »
C’est à la fin des années 90 que Mesrime fait ses premières armes dans le rap. Namor, un des pionniers du rap aux côtés d’IAM, lui met le pied à l’étrier en l’invitant à poser son flow sur des mixtapes. Lorsque Prodige Namor se sépare en 2000, Mesrime intègre le collectif Al Iman Staff avec Moroco et Comodo. Sorti en indépendant en 2004, Mets les gosses à l’abri connaît son heure de gloire et permet au groupe de partir en tournée. « J’ai appris le métier avec cette équipe-là et ce groupe-là », confie Mesrime. Au moment d’écrire Fini Parti, il s’entoure des membres d’Al Iman Staff, qui sont coproducteurs sur le projet. S’il avoue n’avoir « pas gagné un franc, en presque vingt ans de rap », il a néanmoins gardé la foi (Al Iman, en arabe) et l’envie d’aller de l’avant.
Exit Mesrime, place à Muge Knight. Comme tous les habitants de la cité phocéenne, le natif d’Endoume — où il est né, a grandi et où il vit avec sa femme et son fils — est particulièrement attaché à son quartier, qu’il considère comme l’un de ces lieux où perdure encore un certain art de vivre marseillais. « L’album met en avant ce côté un peu à l’ancienne parce que quelque part, je sais que c’est en train de disparaître. J’ai un peu la nostalgie du Marseille d’avant », précise le MC. Quoi de plus représentatif de cette époque révolue que le fameux système du fini parti qui donne son nom à l’album ? Hérité des années Defferre, il permettait aux employés municipaux de rentrer chez eux une fois leur tournée terminée. Une pratique décriée qui a en tout cas permis à celui qui fut brièvement cantonnier de faire ses classes dans le rap. Sorti au printemps 2016, Fini Parti propose un hip-hop old school très éloigné des codes actuels du rap — sans vocoder ni autotune, donc. Les treize morceaux font la part belle aux samples de soul dont il raffole, aux cuivres et aux instrumentaux. Ce qui donne une couleur musicale très seventies, ambiance blaxploitation. Si de nombreux titres font sourire, notamment Figatelli Music ou Tia épousé une légende, on retient une réelle volonté de se confronter à l’actualité : « J’ai toujours fait ce constat qu’en étant décalé, on pouvait faire passer un message beaucoup plus puissant. » A l’instar du titre Marseille propre qui évoque la problématique de la gentrification du centre ville et « l’épuration ethnique par l’immobilier ». On le voit, le Muge n’est pas du genre à noyer le poisson.
Une chose est sûre, le rappeur ne s’attendait pas à ce que cet album, qu’il avait envisagé comme le dernier — à quarante ans, il faut bien s’assagir — ait autant de retentissement. La tournée qui a commencé début octobre fait boule de neige, de nouvelles dates viennent s’ajouter à l’emploi du temps très chargé de celui qui est, dans la vraie vie, employé au Conseil départemental. Pas de quoi lui faire perdre le nord. S’il reconnaît avoir l’habitude de manger son pain noir, Muge Knight ne boude pas son plaisir : «  On est prêt pour affronter le succès… c’est pas un problème ! », lance-il en galéjant.

Emma Zucchi

 

Dans les bacs : Fini Parti (Boumqueur Edition)

Rens. : www.facebook.com/RongeUnMugeOfficiel / www.figuredepoulpe.com