Date with Elvis © Laura Marie Cieplik

Identité remarquable | Date With Elvis

Le rock se danse à deux

 

Projet minimaliste initialement tourné vers un rock sauvage puisant dans le blues du Delta (pas celui du Rhône), Date With Elvis opère aujourd’hui une mue profonde avec un premier album plus électronique. Pour le duo marseillais, cela n’a rien d’un hasard, et voici pourquoi.

 

« C’est un petit milieu, tout le monde se connaît. » La phrase est anodine, elle glisse en plein milieu de l’interview sans même que l’on s’en rende compte. Pour tout dire, cette phrase, en quinze ans de parutions régulières, la rédaction l’a entendue des centaines de fois. Marseille est un village. Dans ce village, il y en a un autre, celui de la culture. Et dans ce dernier, par-delà les champs d’expression et les moyens donnés à chacun, les gens se croisent. Beaucoup plus qu’à nos débuts d’ailleurs, où ladite culture était plus cloisonnée… Cela sonne donc comme une évidence et chacun le sait : dans le « milieu », tout le monde se connaît plus ou moins — un visage par-ci, une connexion par-là… ça cohabite. Sans forcément s’entendre, mais il est ici facile de faire des rencontres au gré des sorties, et c’est sans doute lié au tempérament de cette ville… Tout ça pour dire que, dans le cas présent, cette réflexion anodine prend tout son sens dans la mesure où le duo Date With Elvis est parvenu, en cinq ans et sans forcer les choses, à se retrouver au centre d’une improbable nébuleuse où se croisent le rock le plus primal (sa formule d’origine), la scène électro-pop locale qui rayonne désormais bien au-delà (nous ne cessons d’en parler dans ces pages) et le petit monde du clubbing underground (l’album dont il est ici question sort chez les activistes marseillais de La Dame Noir). Parfois, il n’y a donc rien de péjoratif, ou d’incestueux, à ce que chacun puisse se connaître dans ce petit milieu. Parfois : tant que cela pousse Marseille vers le mieux.

 

Jouer collectif

 

À l’origine, Yohan Demeillers (chant et guitare) n’avait pourtant rien demandé à personne. Après avoir joué dans divers groupes de jeunesse, fait une fac de musicologie puis enseigné lui-même la musique, ce féru de blues et de reggae avait rejoint, un peu par hasard, les rangs de Big In Japan (formation marseillaise météorique) après la défection de leur guitariste. Il avait alors déjà monté en 2011 Date With Elvis (double référence au King et aux Cramps), tout seul, sur le modèle de ces « one-man-bands » bruts de décoffrage tels Seasick Steve ou The Legendary Tigerman. Et, à sa grande surprise, s’était fait approcher à l’issue d’un concert par l’un des fondateurs de La Dame Noir, collectif bien connu des nuits phocéennes qui lui proposait peu après de sortir un premier Ep 2-titres via sa structure discographique naissante… Du rock’n’roll joué « live » en solo sur un label électro qui affectionne les productions lentes et ombrageuses : pourquoi pas ? L’histoire débute ainsi pendant une bonne année, mais la rencontre avec Jean-Pierre Léon, chanteur de Big In Japan, bouscule bientôt le cours des choses. Le courant passe tout de suite, humainement et artistiquement, et la question se pose alors de continuer l’aventure Date With Elvis à deux. Car Jean-Pierre est également multi-instrumentiste… et principalement batteur. Une évidence s’impose : les modèles, maintenant, ce seront les White Stripes, Black Keys et consorts, ces duos qui sont parvenus à partager avec le plus grand nombre une formule aussi rudimentaire que redoutable sur scène. Premier témoignage de cette union, un deuxième Ep plus fourni sort en 2014 : il montre l’alchimie qui unit ces deux-là, le son est naturellement plus sauvage, taillé pour les planches. Sur cet Ep, il y a aussi des remixes, et l’un d’entre eux, signé par les Parisiens de Vox Low, est joué par quelques-uns des plus grands Djs de la sphère électronique underground… Date With Elvis n’y gagne pas grand chose financièrement, mais son nom commence à circuler bien au-delà de ses bases. Il est temps de passer à l’étape suivante : celle de l’album, qui permettrait au duo d’avoir un répertoire à défendre sur les routes. Cet album, Date With Elvis ne va pas l’enregistrer n’importe où, car il se trouve que le tandem partage le même studio d’enregistrement que Husbands, Nasser ou Diapositive, ce désormais fameux local où les énergies se croisent au quotidien en toute décontraction. Il y est facile d’échanger ses points de vue, même si les sensibilités diffèrent — et c’est très bien comme ça. Quelle direction donner à ce premier album ? Les choses sont claires pour Yohan : « J’avais dès le début en tête l’idée d’un album plus électro : je ne voulais pas qu’il sonne comme ce qu’on faisait jusqu’à présent avec JP, mais qu’il soit plus produit, plus pop. » Date With Elvis confie alors deux titres aux mains de Kid Francescoli, pensionnaire des lieux, juste pour faire un essai… Celui-ci, très concluant, achève de convaincre Yohan et Jean-Pierre : l’album sera produit par Mathieu « Kid » Hocine, sous la houlette de La Dame Noir Records.

 

Dans la boîte

 

Ce disque, First Date, sort enfin aujourd’hui au format numérique — un pressage vinyle est heureusement annoncé dans les prochains mois (ne serait-ce que pour donner toute sa valeur à la pochette, une « vanité » au sens littéraire du terme, nature morte réalisée in vivo par le duo chez un antiquaire). Surprise ou confirmation : First Date porte bel et bien la patte de Kid Francescoli, qui a arrondi les angles naturellement saillants du tandem pour lui conférer une esthétique plus sexy, plus accessible, davantage en phase avec son époque. On y trouve des ballades au rythme chaloupé (les singles So Glad et Cool and Calm, sortis en éclaireurs, avaient annoncé la couleur), du blues vénéneux impeccablement modelé pour la piste de danse (noire de préférence), et bien sûr de ces accélérations typiquement rock’n’roll qui sont le propre de ce genre de formation. La principale nouveauté réside donc dans l’adjonction de claviers et machines, afin de donner plus de « groove » à l’ensemble… Question : comment aborder la scène après ce virage esthétique ? Yohan : « Il aurait été dommage de perdre les sons de boîte à rythme qui font la particularité de l’album. Et comme J-P est multi-instrumentiste… il est passé à l’orgue et aux machines. On trouve que ça apporte quelque chose de nouveau, et puis il est vrai qu’à la base, je tournais déjà seul avec des boîtes à rythme que je contrôlais avec le pied. » Pour rôder cette nouvelle formule scénique, Date With Elvis a fait une résidence, en juin dernier, à Akwaba (Châteauneuf-de-Gadagne) où il donnera un concert fin octobre. Mais c’est à Marseille qu’il offrira dans quelques jours la primeur de ce nouveau live, à l’U-percut, une salle dont la petite jauge et la programmation impeccable cadrent parfaitement avec cette première. Voilà : tout commence réellement maintenant pour Date With Elvis, énième preuve de la vitalité actuelle de la scène musicale d’ici, appelée, ce serait mérité, à aller le plus loin possible.

 

PLX

 

First Date (La Dame Noir Records), disponible sur les plateformes de téléchargement et streaming
Release Party le 29/09 à l’U.Percut (127 rue Sainte, 7e).
Rens. : 06 51 83 54 87 / http://u-percut.fr
Pour en (sa)voir plus : http://datewithelvis.com / www.facebook.com/datewithelvis