Idoménée et Moïse guidant les Hébreux franchissent les mers hostiles pour atteindre des séjours plus heureux ; Dante et Orphée parcourent les Enfers pour aller vers la lumière. La plupart des œuvres programmées dans le cadre de l’édition 2022 illustrent ce motif et Résurrection est à cet égard emblématique.
Avec ce projet hors norme inspiré de la Deuxième Symphonie de Mahler, Romeo Castellucci offre une suite à Requiem (2019), posant la question du renouveau de manière aussi saisissante qu’il avait formulé celle de l’extinction. Beauté ravagée par vingt ans d’abandon, le Stadium de Vitrolles reprend vie. Et nous tous enfin allons bientôt sortir, espérons-le, de temps obscurcis. Car il ne s’agit pas d’affirmer mais d’espérer : deviner l’utopie, le paradis, la lumière, par-delà la catastrophe, les abîmes, le deuil.
L’essentiel de la matière dont sont tirés ces exodes, odyssées et autres traversées des enfers est méditerranéenne, rappelant l’importance du creuset culturel dont le Festival est l’héritier – que la source d’inspiration soit biblique (Salomé, Moïse et Pharaon), grecque et romaine (Idomeneo, les deux Orphée, Le Couronnement de Poppée, Norma), médiévale et Renaissance (Il Viaggio, Dante) ou contemporaine (Woman at Point Zero). Nietzsche voyait dans la danse un attribut de la Méditerranée ; elle est très présente dans cette édition, des ballets d’Idomeneo et de Moïse et Pharaon à la « Danse des sept voiles » de Salomé. Ses réalités socio-économiques et environnementales sont également explicitement abordées.
Deux opéras sont créés pendant le Festival : Il Viaggio, Dante de Pascal Dusapin, sur un livret de Frédéric Boyer, se présente comme une traversée subjective de cet opus magnum de la culture européenne qu’est la Divine Comédie, depuis la ronde des damnés aux enfers jusqu’au rire énigmatique de Béatrice au paradis. Plaidoyer pour l’émancipation des femmes, Woman at Point Zerode la compositrice libanaise Bushra El-Turk est inspiré d’un récit de Nawal El Saadawi, figure du féminisme égyptien récemment disparue.
Les plus grands artistes ont été réunis pour faire honneur à ces œuvres. Le Festival a ainsi le plaisir de retrouver cette année des chefs prestigieux ayant marqué l’histoire récente du Festival tels qu’Esa-Pekka Salonen et Ingo Metzmacher, à la tête du Chœur et de l’Orchestre de Paris ; Kent Nagano, trente ans après sa dernière venue, et Michele Mariotti, pour la première fois à Aix, dirigent le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. Les formations sur instruments anciens sont en vedette, avec l’Ensemble et le Chœur Pygmalion sous la direction de Raphaël Pichon, la Cappella Mediterranea menée par Leonardo García Alarcón et Les Talens Lyriques de Christophe Rousset. On peut également découvrir l’Ensemble Resonanz, sous la baguette de Riccardo Minasi.
L’édition 2022 voit par ailleurs le retour de metteurs en scène majeurs comme Andrea Breth ou Romeo Castellucci, mais accueille également de nouveaux venus aussi réputés que Claus Guth ou Tobias Kratzer, une valeur montante comme Ted Huffman, ou une grande figure du théâtre effectuant ses débuts à l’opéra en Europe à l’instar de Satoshi Miyagi.
Cette année est encore l’occasion de réentendre des chanteurs chers au Festival : Michael Spyres, Elsa Dreisig, Sabine Devieilhe, Nina Minasyan, Julia Bullock, Claron McFadden ou Anna Prohaska. Mais aussi de faire plus ample connaissance avec des talents prometteurs comme Pene Pati, Jeanine De Bique, Golda Schultz, Emily D’Angelo, Vasilisa Berzhanskaya ou Adriana Bignagni Lesca. Plusieurs artistes français de premier ordre font leurs débuts au Festival : Karine Deshayes, Marianne Crebassa, Jean-Sébastien Bou, Benjamin Bernheim ou Florian Sempey.
Le Festival développe en contrepoint de ses opéras une ambitieuse programmation de concerts traversant toutes les époques et tous les styles et s’appuyant sur les forces en résidence, des compagnonnages de longue durée ou des
invitations ponctuelles prestigieuses. Cette édition met à l’honneur deux artistes dans le cadre de portraits spécifiques : le compositeur Pascal Dusapin et la chanteuse Julia Bullock. Baroque et bel canto sont à la fête dans les opéras en version de concert. La série de récitals vocaux propose des programmes conçus en dialogue étroit avec des artistes engagés dans leur temps, et sortant des sentiers battus par leurs thèmes et leurs répertoires. La musique et la création contemporaines y ont une place de choix, avec les premières françaises d’œuvres de Thomas Adès, Wolfgang Rihm ou Kathleen Tagg. Disparu il y a trente ans, Olivier Messiaen fait l’objet d’un hommage spécifique, avec l’exécution de la Turangalîla-Symphoniecréée en France au Festival d’Aix en 1950. On peut également admirer certains grands artistes du bassin méditerranéen d'aujourd’hui – Abeer Nehme, João Barradas ou Tarek Yamani – et vibrer avec l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée dans les programmes inventifs imaginés par leurs mentors, Duncan Ward et Fabrizio Cassol.
Enfin, le Festival, c’est aussi l’offre riche, diverse et gratuite d’Aix en juin : les « Voix de Silvacane », faisant la part belle aux musiques baroque et de la Méditerranée ; les concerts des Résidences de chant et de musique de chambre de l’Académie ; le grand concert Parade[s] sur le cours Mirabeau, consacré cette année à Rossini ; « Opéra de-ci de-là », processus collectif menant à la création publique d’un court opéra ; la programmation de films en partenariat avec les cinémas d’Aix ; sans oublier les actions pilotes du service éducatif et socio-artistique Passerelles. Après deux années d’interruption due à la crise sanitaire, le public pourra de nouveau suivre les « préludes » aux opéras et dialoguer avec les artistes dans le cadre des « tête-à-tête » et des « midis » du Festival, également disponibles sur #LASCÈNENUMÉRIQUE.
Nourris de ces expériences artistiques partagées, puissions-nous faire nôtres les mots de Mahler à la fin de sa symphonie : « Avec les ailes que j’ai conquises, je m’envolerai ! »
— Pierre Audi
Directeur général
MD