Ugo Schiavi - Rudus, Ruderis

Sculptures et installations. Commissariat : Léo Marin

Rudus, Ruderis. En latin, signifie littéralement : Décombre-s. De nos jours on utilise plutôt ce mot en botanique : l’on qualifie de rudérale, une plante, qui croît dans les décombres. C’est aussi le titre de la première exposition personnelle d’Ugo Schiavi en France, qui s’attache à faire une restitution archéologique d’un temps présent, dans une géolocalité concise, celle de Marseille.
Fidèle à sa pratique, il se concentre sur un territoire chargé d’histoire et nous livre une série d’œuvres définitivement contemporaines qui se font miroir d’une ville actuelle mais aussi écho d’un passé antique, avec des sculptures, à la fois, moulage du vivant et archives de l’antérieur…
Nous pourrions parler ici de renouvellement romantique. Comme le mouvement culturel apparu à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre et en Allemagne et qui se diffusa par la suite dans toute l’Europe en s’exprimant dans tous les styles artistiques, il se caractérisait par une volonté des artistes à explorer l’art afin d’exprimer un état d’âme : une réaction du sentiment contre la raison, exaltant le mystère, tout en cherchant l’évasion et le ravissement dans le rêve d’un temps passé, le travail Ugo Schiavi manifeste un attrait tout particulier pour la magnificence de la grande sculpture celle qui orne désormais les villes et les musées.
Avec des procédés de moulage où, il demande à des modèles de poser sur des monuments ornés reconnaissable dans l’espace urbain, et avec des techniques à prises rapides, résolument actuelles, il en ressort un moule, avec lequel il peut rendre compte à la fois du passé historique d’un lieu, de la superbe des statues qui ont été érigées à cet endroit pour le marquer d’un événement porteur de sens ici, bien plus qu’ailleurs, mais aussi un sentiment manifestement générationnel, qui se caractérise par « une nostalgie de l’avant ».
Le traitement de la forme, proche de la ruine et du décombre, que donne Ugo aux tirages en béton qui découlent de ces moules, nous poussent à investiguer ces sculptures qui nous font face. Proviennent-elles réellement de décombres urbains ? D’autres artistes ne s’étant pas privés dans la pratique du glanage, c’est une question qui se pose jusqu’au moment où l’on se rend compte qu’une partie de ce fragment relève du vivant, de l’actuel non de l’accidentel.
C’est à cet instant que l’imaginaire s’enflamme et nous emporte contre la raison, vers des souvenirs mythologiques de créatures capable de pétrifier d’un seul regard, vers ces reportages sur les ruines de Pompéi et ses incontournables plâtre. Pourtant, l’acier de ces hypothétiques découvertes archéologiques s’avère être de la tige filetée et ce qui a pu nous sembler être de la pierre en mauvaise état et tout état de cause, une ronde bosse coulée en béton.
Tous ces fragments se retrouvent agencé en une scénographie immersive reprenant les codes des réserves de grands musées. Les rangées d’étagères aux murs ne font que renforcer ce sentiment de trouvailles archéologiques, ressurgies d’un temps reculé.
Tout est ici fait pour que le visiteur se sente presque, le découvreur d’une histoire perdue. Même la seconde partie de l’exposition se veut à la limite du muséum d’histoire naturelle. Une grande serre, foisonnante de végétations et de décombres parmi lesquels on aperçoit une statue, nous transporte et nous remmène le temps d’un souvenir lors de nos visites scolaires de ces musées qui nous montraient comment était la vie avant. Encore une fois, avec cette œuvre complète, véritable installation, l’on trébuche dans le stratagème de la nostalgie, pour mieux se rendre compte que les décombres proviennent de notre environnement quotidien, celui-là même que nous avons traversé pour venir découvrir cette exposition.
C’est donc conscient de la splendeur révolue d’une époque qui le fascine, mais décidé d’y ajouter sa marque avec des techniques actuelles, tout en nous parlant du présent, qu’il nous fait doucement glisser dans le spleen du révolu pour nous ramener brutalement à une conscience aigüe d’un présent qui nous est quotidien et pourtant souvent délaissé. Ugo Schiavi, immanquablement, un nouveau romantique.

https://www.double-v-gallery.com/


Double V Gallery
Lun-sam 10h-19h
Entrée libre
https://www.double-v-gallery.com/
28 rue Saint Jacques
13006 Marseille
06 65 10 25 04

Article paru le mercredi 16 mai 2018 dans Ventilo n° 410

Ugo Schiavi - Rudus, Ruderis à la Double V Gallery

Béton Art Mai

 

Avec l’exposition Rudus, Ruderis, la Double V Gallery nous révèle la perception tout à fait romantique d’Ugo Schiavi, sculpteur aimant les grands écarts dans le temps. L’ensemble des œuvres bétonnées qu’il nous présente se révèle aussi magistral que déroutant. Héros du quotidien, clins d’œil à l’antiquité… Le mythe se raconte sous nos yeux ébahis. Un éloge des décombres qui séduit passionnément… à la folie.

  L’exposition toute personnelle Rudus, Ruderis qui se tient actuellement à la Double V Gallery est une restitution archéologique moulée dans la beauté. Il y a du gris, de la dureté, du relief et de l’intensité. Toutes les sculptures du jeune artiste Ugo Schiavi se lisent comme les partitions du romantisme et de la mélancolie. Et aucun des messages délivrés ne nous ennuie. Si la matière première est le béton, le sculpteur reconnaît aussi avoir utilisé de la silicone à base d’algues dont la consistance « chewing gum » laisse des traces granuleuses sur les œuvres. Comme des cicatrices, des vergetures, voire « des rides » de créativité que l’on retrouve çà et là, d’une sculpture à l’autre. Un impact physique recherché qui rend les modèles encore plus fiers (d’être marseillais ?). Mais que nous donne-t-on à voir ? Des symboles tout d’abord, à l’instar de Pythéas, premier navigateur-explorateur originaire de Massalia et dont on retrouve la superbe aux abords de la Mairie. Des modèles vivants, ensuite, qui posent « à l’antique » et deviennent naturellement aussi mythiques et héroïques que tous les dieux réunis. Le supporter marseillais qui est ici sculptural à souhait incarne le protagoniste sacré d’une mythologie footballistique propre à notre cité. La représentation du « combat de rue » offre une jolie métaphore de la mythologie : un univers où les histoires de sexe, les romances et les querelles sont légion…L’allégorie a du bon ! À travers cette scénographie bien pensée, Ugo Schiavi crée un diorama aussi bétonné que singulier. L’objectif ? Que le spectateur ait la sensation de se trouver dans un museum d’histoire naturelle (la végétation semée dans chaque coin et recoin) ou un musée d’archéologie (les palettes de bois volontairement conservées). Comme si les pièces à l’honneur n’avaient pas encore été restaurées ou analysées. Les éléments essentiels de cette installation peu ordinaire ont été prélevés dans Marseille. Les bases et outils de travail utilisés sont donc bien ancrés, même si le résultat final se perçoit comme une réalité intelligemment déstructurée. Dans ce ballet de la temporalité, le visiteur constate que la magnificence peut être curieuse à regarder. Qu’il s’agisse d’une basket montante fermement « catchée » par une main peu farouche ou d’un short en jean agrippé de façon osée, les sculptures entretiennent le lien, l’attache, l’intimité du toucher, voire du palper. Finalement, ces œuvres amputées de l’intégralité de leur être, mutilées mais fastueuses, sévères mais gracieuses, constituent d’admirables « morceaux choisis ». Tout en les scrutant, fragment par fragment, il nous semble possible de rendre fabuleuses nos vies. Ainsi représentés, les modèles sont sacralisés et leurs postures nous laissent bouche bée. C’est en ce sens qu’Ugo Schiavi réalise un coup de génie. En sculptant son environnement, il dissémine une bonne dose de magie.  

Pauline Puaux

 

Ugo Schiavi - Rudus, Ruderis : jusqu’au 16/06 à la Double V Gallery (28 rue Saint Jacques, 6e). Rens. : 06 65 10 25 04 / www.double-v-gallery.com

Pour en (sa)voir plus : www.ugo-schiavi.com