Antoine D’Agata

Euroméditerranée 2002-2009, commande du Fonds Communal d’Art Contemporain de la Ville de Marseille

Marseille sort des clichés

Un voyage dans le temps s’opère à la galerie du Château de Servières, qui accueille l’exposition Euroméditerranée 2002–2009. On peut y voir ce qui n’est déjà plus, se rendre compte des paysages récemment disparus, et constater que l’art remplit ici son devoir de mémoire…

Qu’on y aille par goût pour la photo ou par amour de Marseille (les deux n’étant pas incompatibles), on aborde l’exposition selon différents niveaux de lecture. C’est souvent le cas du travail photographique lorsqu’il réunit un intérêt documentaire et un intérêt plastique. En outre, il s’agit ici d’une commande, de la Ville sur la ville. D’où la question, légitime : dans quelle mesure cela modifie-t-il le parti pris de l’artiste ?
Les réponses des douze photographes sélectionnés sont diverses et variées. Parfois curieuses ou étonnantes comme les deux caissons lumineux d’Edwin Zwackman, qui imagine la Kaaba(1) au milieu de la place Marceau. Image truquée et provocatrice qui sème le doute quant à la faisabilité d’un projet de surcroît illustré par la photo d’une maquette implantant le célèbre monument dans la ville. La photo de Claire Chevrier est elle aussi une réponse inattendue à la commande. Pas de vues de Marseille et de ses chantiers, mais une photo des coulisses économiques du projet Euromed, dans la trivialité d’un salon genre foire-expo, où acteurs et partenaires discutent « le morceau »…
Quand le regard de l’artiste se fait plus esthétique que critique, certains aspects de la cité phocéenne s’en trouvent magnifiés, comme dans le panorama du bassin de la Grande Joliette d’Emmanuel Pinard ou la série de Francesco Jodice sur le Silo. L’artiste italien amène son sujet dans une image fictionnelle, transcendée par une lumière laiteuse. La petite salle consacrée à des petits formats de Bernard Plossu nous montre une Marseille atemporelle, une ville d’aller-retour autour du port…
Certains photographes ne dissocient pas Marseille de ses habitants, comme Pauline Daniel, ou Denis Darzacq, qui croise les usagers des nouveaux quartiers Euromed et capte les moments précieux où les échanges se créent : entre les habitants et l’architecture, entre le photographe et son modèle. Même idée chez Antoine D’Agata, qui travaille autour du concept de « psycho-géographie ». Il établit dans ses photos un rapport ambigu entre le personnage et son environnement urbain. Les protagonistes, incrustés dans des images urbaines dévitalisées, sont comme des fantômes qui errent dans des décors architecturaux, mais ne font jamais corps avec leur environnement. Ils se font l’écho de populations déplacées et renouvelées par les modifications architecturales, et donc sociales, des nouveaux quartiers. Un aspect moins réjouissant inhérent à la cure de jouvence dont bénéficie notre ville depuis quelques années…

Céline Ghisleri

 

Euroméditerranée 2002-2009, commande du Fonds Communal d’Art Contemporain de la Ville de Marseille : jusqu’au 3/11 à la Galerie du Château de Servières (Ateliers d’Artistes de la Ville de Marseille, 11-19 boulevard Boisson, 4e).
Rens. 04 91 85 13 78 / www.chateaudeservieres.org

Notes
  1. Grande construction cuboïde au sein de la masjid al-Haram (« La Mosquée sacrée») à La Mecque[]