Musique Rebelle, Round 10 : Ahmad Compaoré invite 50 musiciens

Musique Rebelle, Round 10 : Ahmad Compaoré invite 50 musiciens

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La batterie est un sport de combat

Ahmad Compaoré n’est pas qu’un musicien brillantissime, c’est aussi un haut-parleur humain des rythmes de la cité. Initiateur de nombreux projets comme l’agora artistique pluridisciplinaire Musique Rebelle, il ne perd jamais l’occasion d’enfiler ses gants de batteur-percussionniste. Portrait d’un lutteur.

L’homme est volubile, à tel point qu’il aurait pu faire fortune dans la com’ ! Mais voilà, Ahmad Compaoré est trop « streetwise » et c’est cette conscience de la rue, cette ouverture à l’autre qui fonde sa démarche. Alors qu’il revendique le jazz comme un « état d’esprit », il reconnaît l’influence primordiale des sons du bétail dans le Burkina de son enfance, de la même façon que Jo Jones, le batteur de Count Basie, s’appropriait les… cloches des vaches ! Adepte d’un « swing universel », c’est grâce à Fred Frith, ce guitariste britannique maître planétaire de l’improvisation jazzistique, qu’il s’émancipe des codes de son instrument. Ce dernier lui a surtout « fait découvrir le silence » et adorer les compositeurs classiques du XXe siècle comme Stravinsky. Quoique… Sa mère égyptienne l’avait déjà initié à l’opéra dans son enfance, mais aussi au balafon d’Afrique de l’Ouest, pendant que son père burkinabé le berçait au son d’Oum Khalsoum. Las, son refus du conformisme musical — il avoue même avec un brin d’amertume s’être fait virer de la classe de jazz du Conservatoire de Marseille — l’a converti en optimiste sonore. Au point de multiplier les expériences, entre grande impro collective comme Musique Rebelle, trio monkien avec Sylvain Terminiello à la basse et Fred Pichot au sax et carrière internationale avec l’as méconnu de la quatre cordes Jamaladeen Tacuma et le talentueux guitariste new-yorkais Marc Ribot… Et si Ahmad pratiquait la batterie comme un sport de combat ? A l’instar de Pierre Bourdieu, qui revendiquait la métaphore des arts martiaux pour faire de la sociologie une pratique de résistance au néo-libéralisme, notre batteur veut faire de chacun de ses coups sur les fûts ou les cymbales un « direct pour tuer », pour laisser le public pantois et l’inciter à en vouloir toujours plus. Forte d’une approche spirituelle des arts martiaux, sa conscience du moindre impact sur une batterie le conduit à voir, dans le rythme, un « combat politique ». Une idée à l’origine de Musique Rebelle, projet initié avec Agnès Petrausch, administratrice de son association La Boîte à Musique. Ce militant internationaliste du rythme, de retour d’apprentissage des tablas à Pondichéry, n’avait pas le choix : c’était ça ou l’exil définitif. Et qu’on ne vienne pas le titiller avec le cosmopolitisme supposé de Marseille, car si les soirées Musique Rebelle sont structurées en « rounds », c’est aussi pour appeler au combat contre l’abrutissement collectif. Ce dixième round propose d’ailleurs de lutter contre la relégation des femmes à des statuts subalternes, notamment dans le champ artistique. Musiciennes et plasticiennes locales, chanteuses capverdiennes de la Belle de Mai… : la gent féminine sera donc à l’honneur au Cabaret Aléatoire, bénéficiant entre autres de l’appui rythmique de Don Moyé, batteur du légendaire Art Ensemble of Chicago (combo de jazzmen militants black power). Ce sont toujours les outsiders qui ont fait évoluer les codes d’un art nommé jazz. Et si la cité phocéenne devient un foyer de son renouveau artistique, c’est en partie grâce à Ahmad Compaoré qu’elle le devra.

Texte : Laurent Dussutour
Photo : Kenzo Ferrara

Musique Rebelle, Round 10 : Ahmad Compaoré invite 50 musiciens : le 18 au Cabaret Aléatoire (41 rue Jobin, 3e). Rens. 04 95 04 95 09 / www.cabaret-aleatoire.com
Ahmad Compaoré & Friends : le 24 au bar Le Terminus (372 rue d’Endoume, 7e).
Ahmad Compaoré et Sam Karpienia : le 28 à La Meson (52 rue Consolat, 1er). Rens. 04 91 50 11 61 / www.lameson.com
Rens. www.myspace.com/ahmadcompaore