Bosque Ardora © Félix Vazquez

Le Festival de Marseille

Gestes du monde

 

Le Festival de Marseille prend de l’assurance et de moins en moins de risques : une seule création au programme avec la section contemporaine du BNM. En contrepartie, le public profitera de grands noms de la danse comme Robyn Orlin, les Ballets C de la B, Jiri Kylian et le Nederlands Dans Theater. Un festival placé sous le signe du métissage et de la place de la danse dans des pays clivés par l’héritage de la ségrégation ou le phénomène de ghetto (Etats-Unis, Palestine, Israël, Afrique du Sud). Quand les mots n’ont plus le droit à la parole, il reste évidemment le langage du corps. Mais ce qui point, c’est avant tout le parti pris des chorégraphes et cette nécessité de rester dans la danse ou de s’en extirper pour nous donner à voir un monde nouveau, celui qu’on attend pour contrer la somnolence de l’actualité et la banalité de la violence. On l’a souvent dit dans ces pages, la danse est aussi une affaire de politique.

 

Attention fragile par la Cie Danses en l’R

© Serge Laple?ge

© Serge Laplège

L’homme est en chaise roulante, et il danse. Elle a l’usage de ses jambes, et danse aussi. Fou de danse et de sport, Eric Languet, ancien danseur de ballet, est surtout un fou d’humanité. De fait, le chorégraphe choisit de montrer ce que notre société occidentale cache : la difformité du corps humain, le handicap, à moins qu’il ne s’agisse de notre rapport à la normalité. Construit sur mesure, ce duo tout en souplesse et en douceur fait résonner en nous les mots de Peter Handke : « Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l’espace et considère chacun dans son image. »

> les 23 & 24/06 sur l’Esplanade du Théâtre Joliette-Minoterie (Place Henri Verneuil, 2e)

 

In a world full of butterflies, it takes balls to be a Caterpillar… some thoughts on falling par le City Theater & Dance Group

© Thomas Lachambre

© Thomas Lachambre

Robyn Orlin, c’est le perce-muraille de toute une génération de Sud-Africains qui ont osé poser un pied sur la scène du contemporain. Elle a su utiliser la couverture médiatique exceptionnelle de la fin de l’Apartheid et se servir des bons outils (la prise de parole, le mégaphone, la tente, les gestes d’aujourd’hui) pour construire un univers qui ne place plus l’interprète noir dans le rôle de l’athlète (Alvin Ailey), mais dans celui d’un individu commun qui ouvre un dialogue avec la terre entière.

> Les 23 & 24/06 au Théâtre Joliette-Minoterie (Place Henri Verneuil, 2e)

> NB : Focus Robyn Orlin avec projection de films et vidéos proposé par Marseille Objectif Danse le 14/06 sur le toit-terrasse de la Cité Radieuse

 

Mirror and Music par la Cie Karas

© Sakae Oguma

© Sakae Oguma

Difficile de poser des mots sur la danse de Saburo Teshigawara, tant elle est fondée sur l’expérience de la représentation. Plaçant les arts visuels au cœur de sa démarche depuis trente ans, se démarquant du butô mais marqué par lui, ce maître de la danse japonaise est invité pour la troisième fois au Festival. Ici, sept danseurs occupent le plateau avec virtuosité, tourbillonnent, s’égarent dans l’extrême avec maîtrise, le tout dans un jeu de lumières et de miroirs presqu’hallucinatoire. Une pièce définitivement physique et sensitive, qui nous emmène sur le terrain de la métaphysique.

> Les 26 & 27/06 au Silo (36 quai du Lazaret, 2e)

 

Ubu and the Truth Commission / William Kentridge

© Ruphin Coudyzer

© Ruphin Coudyzer

A Marseille, celui qu’on connaît par ici pour ses opéras de grande envergure vient présenter cette pièce de plus de quinze ans, recréée juste après la disparition de Nelson Mandela. Fervent partisan de l’oubli nécessaire à la paix entre les peuples, le metteur en scène use de la figure de Père Ubu pour incarner la corruption et la lâcheté de nos despotes peu éclairés, dans une esthétique très büchnérienne. Dans cette tragédie moderne, le chœur est interprété par des marionnettes géantes, tandis que des dessins en noir et blanc animent les écrans-décors et figurent de façon naïve les expériences du peuple victime venu réclamer justice. Avec une noirceur risible mais non grinçante, voici une œuvre insoumise et urgente.

> Du 28 au 30/06 au Théâtre Joliette-Minoterie (Place Henri Verneuil, 2e)

> NB : Soirée consacrée à William Kentridge avec projection de trois courts métrages d’animation, le 22/06 à l’Alhambra (1 rue du cinéma, 16e).

 

Badke par Les Ballets C de la B

© Danny Willems

© Danny Willems

Quelle riche idée que de voir s’associer les Ballets C de la B avec une troupe d’artistes palestiniens ! Les Ballets C de la B sont des faiseurs d’histoires hors pair et la Palestine est un trésor d’histoires cachées qui circulent de famille en famille. L’un dans l’autre, tout redevient possible. Une famille s’agrandit, de nouvelles habitudes s’installent, chacun y va de son petit commentaire susceptible de provoquer une situation hystérique. Et puis on se réconcilie, et puis on se fâche, dans une ronde perpétuelle qui nous rappelle que l’homme est un être instable et terriblement malin.

> Les 30/06 et 1/07 au Ballet National de Marseille (20 boulevard Gabès, 8e)

 

Raymond par le KVS (Théâtre royal flamand)

© Danny Willems

© Danny Willems

Josse de Pauw est un interprète qui porte la nostalgie de tout un pays. Il y a en lui, et dans un même instant, une force inépuisable et le regard désabusé de Droopy. Cette manière de vouloir étrangler un chat tout en le caressant. Josse de Pauw, dans le paysage de la Belgique, c’est un cèdre centenaire, une présence discrète mais constante qui s’exprime par des moments d’exclamation pour mieux replonger dans un silence durable. En s’attachant au mythe de Raymond Goethals, la Belgique embrasse la Belgique pour mieux se tirer une balle dans le pied et nous offrir ce mélange de tendresse et d’humour sournois inimitable.

> Les 2 & 3/07 au Théâtre Joliette-Minoterie (Place Henri Verneuil, 2e)

 

Pavement par Abraham.In.Motion

© Steven Schreiber

© Steven Schreiber

Avec Kyle Abrahams, les démons de l’Amérique noire ressurgissent en utilisant ce que les Etats-Unis font le mieux : la culture pop. Un mélange des genres savamment orchestré qui nous éloigne de la finesse d’un dialogue impromptu, mais qui colle de manière viscérale à ce pays où la distinction entre le contemporain et the show must go on est trouble. L’interprète devient le caméléon d’une revendication où l’inventivité du pas compté et du contretemps se mélange au hip-hop dans un brassage permanent qui en dit long sur les problèmes d’identité dans ce pays.

> Les 3 & 4/07 au Ballet National de Marseille (20 boulevard Gabès, 8e)

 

Bosque Ardora (Rocio Molina)

Bosque Ardora © Félix Va?zquez

Bosque Ardora © Félix Vazquez

C’est la plus punk des flamencas. Elle n’hésite pas à déplacer cette danse traditionnelle dans les prisons ou en pleine nature. On dit que Barychnikov se serait agenouillé devant elle après l’avoir vue danser. Audacieuse, Rocio Molina mêle dans ce dernier opus (présenté en avant-première mondiale) les pulsations électroniques du sol que ses pieds martèlent au minimalisme expressif japonais, glisse de la poésie dans les mots fous de la jeune auteure Maite Dono. Ses gestes sont aussi précis que puissants, comme ceux d’un cheval enfin dompté, mais qui ne peut oublier l’appel de la chevauchée.

> Le 12/07 au Silo (36 quai du Lazaret, 2e)

 

 

La Carte Flux

Plus qu’une opération commerciale, Flux de Marseille est une initiative de certains opérateurs, qui non seulement partagent la conviction que l’art doit être accessible à tous, mais qui s’en ­— et nous en — donnent les moyens, en dehors des injonctions institutionnelles.
Outre l’effort tarifaire consenti (45 € pour six spectacles), le dispositif sort des petites guerres de chapelles. Le festivalier Flux pourra ainsi voyager entre six manifestations, de la danse  (Festival de Marseille, Marseille Objectif Danse) au cinéma (FIDMarseille), en passant par toutes sortes de plaisir d’oreille (Festival Les Musiques, Jazz des Cinq Continents et Festival MIMI), construisant son parcours de spectateur sur mesure.

Rens. : www.fluxdemarseille.com

Karim Grandi-Baupain et Joanna Selvidès

 

Festival de Marseille : du 19/06 au 12/07 à Marseille.
Rens : 04 91 99 02 50 / festivaldemarseille.com

La programmation jour par jour du Festival de Marseille ici