René Perrot – Mon pauvre cœur est un hibou au Mucem – Fort Saint-Jean

Histoires naturelles

 

Avec l’exposition inédite Mon pauvre cœur est un hibou, le Mucem transporte les visiteurs dans l’œuvre du prolifique René Perrot (1912-1979).

 

 

Le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée a choisi, en cette fin d’année, de mettre à l’honneur ce peintre méconnu. Ce n’est toutefois pas un hasard car plusieurs centaines de ses œuvres, conservées dans les collections du musée, ont été redécouvertes à l’occasion d’un récolement décennal. René Perrot a en effet travaillé pendant la Seconde Guerre mondiale pour l’ancêtre du Mucem, le Musée national des Arts et Traditions populaires. Quatre cents dessins ont ainsi été exhumés. Cette production, liée aux « chantiers intellectuels », se déploie majoritairement entre 1942 et 1946. En effet, durant cette période, des centaines de jeunes architectes, diplômés d’arts appliqués et artistes, dont René Perrot, ont œuvré pour le compte du musée, s’attachant ainsi à croquer un monde principalement rural en matière d’architecture, de mobilier domestique et d’artisanat.

« Pendant trois ans, Perrot, dépeint donc inlassablement les vignerons du Jura ou les maisons aux toits de lauze d’Auvergne, pour ne citer que quelques exemples, dans un style sans cesse renouvelé, où ressortent sa maîtrise de la couleur et sa sensibilité pour les gestes et attitudes des personnages », nous explique Raphaël Bories qui, avec Marie-Charlotte Calafat, nous accueille sur le perron du bâtiment Georges Henri Rivière, balayé par un mistral glacial. Ils font partie de l’équipe de commissaires qui ont mis sur pied cette rétrospective de l’œuvre de l’artiste-ethnographe.

Le titre pour le moins original du projet, Mon pauvre cœur est un hibou interpelle. Il s’agit d’un vers extrait d’un court poème de Guillaume Apollinaire, Le Hibou, inclus dans une des tapisseries présentées au Mucem. Le choix de ce titre n’est d’ailleurs pas anodin car, comme on le découvre au cours de l’exposition, l’artiste a nourri toute sa vie une passion pour la nature, et en particulier pour les rapaces nocturnes souvent mal aimés, au point de recueillir dans son atelier une petite chouette chevêche blessée.

La vie et l’œuvre de l’artiste ont été profondément marquées par les deux guerres mondiales et par la transformation du rapport de l’homme à la nature entraînée par la révolution industrielle. À la fin des années 1920, René Perrot quitte sa campagne franc-comtoise pour effectuer son service militaire et suivre des études à l’École des Arts décoratifs. Il travaille ainsi comme affichiste jusqu’en 1939. Déjà à l’époque, certaines de ses œuvres témoignent de son goût pour le terroir et la ruralité, notamment pour sa Franche-Comté natale avec une publicité consacrée à la spécialité locale : la cancoillotte. Son pacifisme, forgé par l’expérience de la Première Guerre mondiale, nourrit une partie de son œuvre des années 30 avec par exemple cette spectaculaire affiche Pax représentant un poilu crucifié. Ayant grandi dans un monde marqué par la Première Guerre mondiale, il dénonce les menaces contre la paix que font peser sur l’Europe le nazisme et le fascisme, auxquels s’oppose le pacifisme porté par les socialistes. En 1939, la guerre tant redoutée éclate, et René Perrot est mobilisé. Il réalise durant cette période des « albums de guerre », dans lesquels il dénonce l’absurdité du conflit en mettant en parallèle des images de soldats sur le front avec celles de clowns et de jongleurs issus du monde du cirque qu’il a pu fréquenter à Paris durant ses années de formation. C’est dans son village natal du Doubs qu’une fois démobilisé, il commence son travail pour les Chantiers intellectuels. Rejoint un temps par d’autres enquêteurs, le travail en commun permet de donner une image plurielle d’une même réalité rurale. Les dessins réalisés alors s’attachent à décrire le cadre de vie, le travail de la terre et les gestes précis des modes traditionnels de production agricole et d’exploitation des ressources naturelles. Son regard se porte aussi bien sur l’agriculture que sur la pêche, la sylviculture, l’élevage, le travail de la vigne ou la production du fromage. Il se fait également collecteur d’objets pour le musée, s’intéresse aux costumes traditionnels ou régionaux, saisissant sur le vif des moments de fête, de musique, de danse et de jeux.

Après la guerre, René Perrot se consacre essentiellement à la tapisserie en tant que peintre-cartonnier et fournit des modèles sous la forme de cartons aux lissiers d’Aubusson et de Felletin. La figure humaine disparaît progressivement de ses productions à partir des années 1950, comme en réaction à la brutalité des temps et aux horreurs de la guerre. On découvre ainsi une gouache intitulée Cortège funèbre datée de 1948, où un personnage au milieu d’un cimetière observe le passage d’un cortège funéraire dans un ciel enneigé, tandis que sous ses pieds une femme squelettique est pourchassée par une meute de loups et une nuée de corbeaux. Les animaux et les végétaux deviennent alors le sujet principal de ses tissages, témoignant d’une connaissance approfondie et d’une observation méticuleuse de la nature. Une tapisserie monumentale sobrement intitulée Dans un fossé de mon village de 1956 clôt ou ouvre, c’est selon, l’exposition. En choisissant de mettre en avant la flore agrémentée de papillons, renouant ainsi avec la tradition du mille-fleurs caractéristique de la tapisserie de la fin du Moyen-Âge, l’artiste pose la nature immuable en trésor accessible à tout être humain, loin du bruit et de la fureur d’un siècle tourmenté.

 

Isabelle Rainaldi

 

 

René Perrot – Mon pauvre cœur est un hibou : jusqu’au 10/03/2024 au Mucem – Fort Saint-Jean (2e).

Rens. : www.mucem.org