Retour sur J’ai des doutes de et par François Morel à la Scène Nationale de Châteauvallon

Plein de devosion

 

La rencontre Devos-Morel ? Une promesse de bonheur qui s’est soldée le week-end dernier à Châteauvallon par un succès incontestable.

 

« - Saint Pierre, je m’ennuie, convoquez-moi Devos ! - Pardonnez-moi mon Dieu mais Devos, on l’invite, on le convie... Si on a de l’argent, on l’engage entre deux galas pour une soirée privée, mais on ne convoque pas Devos ! Devos, c’est plus qu’un artiste, c’est un créateur ! Ça a énervé le Bon Dieu : le créateur ici, c’est Moi ! »

  François Morel avait imaginé cet échange à l’occasion d’une chronique pour l’émission Le Fou du roi dont Raymond Devos était l’invité du jour. Morel a tout compris : comment convoquer, même dans un spectacle qui reprend ses textes, le célèbre humoriste belge disparu ? Il a la bonne idée dans son nouveau spectacle J’ai des doutes de ne pas vouloir ressusciter l’artiste, de se tenir éloigné d’un hommage posthume pesant. Il rouvre simplement la boutique, avec une reprise du fond. Ainsi Morel tire jusqu’à nous « la langue Devos » et la fait exister dans son univers à lui, ses soupirs, sa mélancolie et ses douceurs. Il adapte l’auteur, prend l’homme comme sujet sans s’appesantir sur le personnage public. Si l’on savait déjà que François Morel possédait ce même esprit de saltimbanque, cette gracieuse folie, ce talent d’homme-orchestre, de jongleur de mots, de mime burlesque et de clown tendre qu’était Raymond Devos, il concrétise ici le rêve que le grand homme de scène caressait depuis toujours : être un fameux artiste de music hall. Ne vous méprenez pas, ceci n’a rien de désuet car au-delà d’une appellation, on y retrouve les fondements même du métier d’humoriste. Et dans ce domaine, les deux compères se complètent. Les sketchs de Raymond Devos, ces instants de vie, ce marqueur d’une humeur du jour, ne sont en rien différents des billets du vendredi matin de François Morel sur France Inter. Morel a concocté seul cette mise en scène, assisté de son fidèle pianiste et donneur de répliques Antoine Sahler. Il est remplacé en alternance (dont ce soir-là) par Romain Lemire, très juste. Sobre et fluide, cette mise en scène met le mot en exergue sans jamais le laisser orphelin. Devos a créé un univers. Morel en amplifie sa dimension poétique à la mesure de la musique joyeuse et enlevée de Sahler. Le surréalisme fantasque des Deschiens s’y invite même soudainement au détour d’une mimique, d’un regard en biais. On dirait que les phrases truculentes de Devos font revisiter à Morel tout son répertoire des possibles, toutes les interprétations qu’il a en magasin, du chant à la tragi-comédie, sans omettre son humour ravageur. Dans J’ai des doutes, on mesure aussi combien les textes de Devos ont la force de l’intemporalité et en quoi ils sont avant tout une musique. Si Devos parsemait ses spectacles de notes, ceux de Morel ne peuvent désormais plus se passer de mélodies, enchantant tout son monde. Antoine Sahler a en cela une grande part, Morel ayant trouvé son alter ego lunaire. Il a su dans ce spectacle retrouver la poésie des tentatives musicales faussement naïves de Devos, à tel point que l’on ne sait plus si ce sont les petites chansonnettes de Devos qui nous touchent ou celles de Sahler qui nous chavirent. Il en est de même avec les mots, tellement les coutures sont invisibles entre les paroles de l’un et les liens de l’autre. Les univers fusionnent jusqu’à donner naissance à une figure blanche, sorte d’ange qui passe, de témoin muet d’une rencontre incontournable. Loin de toute identification, François Morel semble avoir sur scène la révélation d’une filiation que la presse lui avait déjà attribuée en compliment (Prix Raymond Devos en 2013). Il n’y a pas à se demander s’il est à la hauteur du grand maître, ils font famille commune. Dans son célèbre sketch J’ai des doutes, Raymond Devos s’étonnait que son meilleur ami se serve de ses affaires durant son absence. En tout cas, qu’il se rassure, depuis son départ vers l’au-delà, François Morel n’est pas dans ses pantoufles mais dans son sillage. Et il prend grandement soin de ses effets.  

Marie Anezin

 

J’ai des doutes de et par François Morel était présenté du 7 au 9/06 à la Scène Nationale de Châteauvallon.