Face à la mère

Théâtre musical : chant d'amour filial de Jean-René Lemoine par la Cie Tandaim (1h30). Mise en scène : Alexandra Tobelaim. Musique et création sonore : Olivier Mellano. Scénographie : Olivier Thomas. Dès 14 ans

Un fils parle à sa mère. Il lui dit tout ce qu'il n'a pas su - pas pu - lui dire de son vivant et parcourt à nouveau le tumulte d'une relation de quarante années.
Ce chant d'amour, nourri de non-dits, de silences respectueux, est aussi une quête de réconciliation.
Avec grâce et félicité, il nous entraîne vers la lumière, tout en nous plongeant dans la douleur de l'absence, le vertige de la perte, la complexité de raccommoder le présent et le passé à jamais révolu.
À travers les mots, à travers ce rendez-vous, Face à la mère dessine un possible rituel face au deuil.
Et si le propos est dur quelquefois, l'œuvre, portée par six garçons, trois comédiens et trois musiciens, parvient à faire d'un sujet tabou une œuvre lumineuse, sans pathos, apaisée. C'est là toute sa force.

https://www.tandaim.com/face-a-la-mere

https://www.journalventilo.fr/identites-remarquables-alexandra-tobelaim/

Salle Guy Obino
Le mardi 12 mars 2019 à 20h30
2/10/15 €
http://www.vitrolles13.fr
Rue Roumanille
13127 Vitrolles
04 42 02 46 50

Article paru le mercredi 3 octobre 2018 dans Ventilo n° 415

Identités Remarquables | Alexandra Tobelaim

Cordes sensibles

 

Bien implantée dans la région, où elle reçoit de nombreux soutiens, la compagnie Tandaim d’Alexandra Tobelaim présente à Aix et Cavaillon sa dernière création, Face à la mère de Jean-René Lemoine, sur une musique d’Olivier Mellano. Une manière très intense, sensible et authentique d’inviter les écritures contemporaines et la musique dans l’espace théâtral.

  Sur la scène du Théâtre du Jeu de Paume, Alexandra Tobelaim est assise en tailleur face à son équipe — comédiens, musiciens, techniciens, en demi-cercle autour d’elle. Ici, pas de problème de parité à respecter, on est entre humains ; peu importe le genre, seul compte le voyage à faire ensemble. Il a pour but de montrer que l’on est semblable, notamment dans ce moment de perte de nos proches où l’on se sent totalement seul. En effet, Alexandra met en scène son dernier coup de cœur, Face à la mère, le magnifique texte de l’auteur et metteur en scène haïtien Jean-René Lemoine. À Port-au-Prince, la mère de l’écrivain meurt tragiquement dans un fait-divers qui s’avère presque banal vu l’insécurité grandissante de ce pays. La douleur de sa disparition pousse ce fils à retourner sur les pas de sa mère tout en revisitant sa relation avec elle... Depuis deux ans, Alexandra Tobelaim a dû faire face à d’importants contretemps : changements de distribution de dernière minute, coups du sort dignes des histoires que lui offrent les auteurs contemporains qu’elle affectionne tant ou des confidences qu’elle suscite spontanément auprès d’anonymes croisés sur son chemin. Cela aurait pu la freiner, elle en a nourri son travail, comme une histoire de vie supplémentaire dont s’inspirer.   Rendre visible l’invisible En ne plaçant que des hommes au plateau, Alexandra prend le parti de ne pas rendre visible la mère. Une fois de plus, elle mobilise le spectateur en lui offrant des surfaces de projection dans lesquelles il est actif, acteur d’une conversation. Par cette abstraction, au-delà du texte, elle pose la question de l’absence et comment on compose avec elle, interrogeant, comme dans Le Mois du chrysanthème, la place des morts dans le monde des vivants. Dans cette pièce, il s’agit moins de deuil à faire que de chagrin à s'autoriser de vivre ou à partager. C’est pourquoi la parole du fils est portée par trois voix, celles des comédiens Stéphane Brouleaux, Geoffrey Mandon et de l’incroyable Olivier Veillon — découvert pour beaucoup avec la compagnie L'Outil (Spectateurs, droits et devoirsDes territoires de Baptiste Amann) ou avec l’IRMAR - l’Institut des Recherches ne Menant À Rien. Mais aussi par trois musiciens, Astérion (contrebasse), Yohann Buffeteau (batterie) et Lionel Laquerrière (guitare), un habitué de Yann Tiersen. Ils sont donc six, comme les cinq doigts de la main et… la musique, comme une veilleuse qui éclaire la figure de la mère ou celle de l’amour, sentiment qui hante toutes les pièces de la compagnie Tandaim… Une musique, sublime, signée par Olivier Mellano, un acolyte de Dominique A et Miossec qui a clôturé le dernier Festival d'Avignon avec Ici-bas, une adaptation des musiques de Gabriel Fauré.   La musique, mère porteuse Ne souhaitant pas être sur scène, Mellano a composé à partir des voix des comédiens disant le texte, changeant ainsi les habitudes d’Alexandra, qui travaille plutôt au plateau en résonance directe avec son musicien, comme ce fut le cas avec Jean-Marc Montera pour le marquant Italie-Brésil 3 à 2. Curieuse et aimant les challenges, Alexandra a donc pris un nouveau risque. Confirmant ainsi que le théâtre qu'elle propose se réinvente constamment. Du Boucher, roman érotique, à un Marivaux où elle injecte du Sophie Calle (La Seconde Surprise de l’amour), en passant par Villa Olga, qui lorgne du côté du vaudeville, ou Pièce de cuisine, qui se joue dans les cantines... la metteure en scène explore les genres. Face à la mère répond à son désir de comédie musicale, d’où la formule spectacle-concert. « J’adore jouer avec tous les corps de métier du théâtre, confie-t-elle. La musique en fait vraiment partie. Elle te permet de raconter les choses différemment, de plus se déconnecter de la pensée, d’être totalement dans l’émotion... C'est en ça qu'elle m'intéresse... Et aussi pour l'énergie qu'elle provoque. » La musique de Mellano s’impose, se fond dans le texte comme une caresse sur l’épaule les jours de grands chagrins. Litanie, refrain, elle puise dans la répétition un semblant d'apaisement. Elle fait des boucles là où les comédiens sont en marche ou dessinent des trajectoires, elle avance avec le récit. Les musiciens se sont approprié le texte en chansons. La chanson Prendre son souffle tient dans son obstination rythmique toute la révolte de l’adolescence et la nôtre face à la mort des êtres aimés, des impossibles réparations... Elle est empreinte du sensible d'Alexandra, de son goût pour les ruptures et l'énergie dans le jeu des acteurs autant que de la lumière de l'écriture de Lemoine. Finalement, cette musique ressemble au regard qu’Olivier Mellano pose sur Alexandra : « Un feu follet, une énergie détachée du sol mais qui s’en nourrit et qui l’éclaire. »   L’espace d’une rencontre L’espace, elle le confie depuis longtemps à son complice Olivier Thomas. Le scénographe lui fabrique des univers à la mesure de son souhait de « théâtre pour tous », qui passe avant tout par un théâtre de l’intime. En témoigne In-Two, théâtre en boîte pour passant porté par ses si justes comédiens Lucile Oza, Mathieu Bonfils, Élisa Voisin et Valentine Basse. Installées dans l’espace public (récemment à Marseille dans le cadre du Festival Travellings), ces grandes boîtes attisent la curiosité et le goût d’un théâtre pur, un face-à-face direct entre un comédien.ne et un.e spectat.eur.rice. Un entresort qui donne, là aussi, la parole aux jeunes auteur.e.s : Marion Aubert, Cédric Bonfils, Céline De Bo, Sylvain Levey, Catherine Zambon, Louise Emö... Louise Emö, dont la première mise en scène, Mal de Crâne, a troublé par son écriture incisive le dernier Off d'Avignon, s’est d’ailleurs adonnée pendant un an à l’exercice des newsletters de la compagnie Tandaim. Une autre façon originale d’impliquer les auteur.e.s dans un projet global. L’occasion de s’interroger sur les qualités d’Alexandra : « Comment fait-elle pour écouter autant tout en cultivant sans cesse la qualité du cap à garder dans l’honnêteté de la recherche renouvelée ? Quand on la questionne, elle répond que je l'idéalise alors que c'est elle qui est pugnace avec la délicatesse du style. » Alexandra aime les rencontres, celles qu’elle provoque avec le théâtre, celles qui deviennent des compagnonnages. Après sa longue aventure avec le Théâtre Joliette, elle s’apprête à rejoindre celui de La Réunion. Elle a l’esprit de troupe et, comme elle s’amuse à le dire, « le goût du rideau rouge », d’un théâtre avec un grand T et de possibles textes lyriques.   Comédiens de l'histoire Décrite par tous comme très fidèle, elle l'est totalement avec l’ERAC (École régionale des Acteurs de Cannes). Elle y a fait ses études et enseigné, mais l'école reste surtout le vivier de talents où elle déniche les comédiens qui porteront ses créations. Comme Solal Bouloudnine, un autre membre de L'Outil, maintenant dans les Chiens de Navarre, qui a explosé dans Italie-Brésil 3 à 2 : « Alexandra est quelqu'un de très bienveillant, exigeant et très aimant pour ses acteurs. » Ses comédiens de In-Two, Mathieu Bonfils, Lucile Oza et Elisa Voisin, résument son travail ainsi : « Elle cherche le sensible avant tout et accompagne ses acteurs à le trouver dans leur jeu. Elle sait révéler ton toi, sans masque, au plus juste... t'amener vers ta profonde nature. Et le tout, assorti d’un grand humour. » Face à la mère n'est sûrement pas qu'une expérience forte supplémentaire dans le parcours d'Alexandra Tobelaim, mais sa part d'humanité révélée au plateau, servie dans un écrin de mots puissants et de sons délicats qui lui ressemblent.  

Marie Anezin

 

Face à la mer de Jean-René Lemoine par la Cie Tandaim :

- Du 4 au 6/10 au Théâtre du Jeu de Paume (17-21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence). Rens. : 08 2013 2013 / http://lestheatres.net/

- Le 11/10 à la Garance – Scène nationale de Cavaillon (Rue du Languedoc, Cavaillon). Rens. : 04 90 78 64 64 / www.lagarance.com

Pour en (sa)voir plus : www.tandaim.com/face-a-la-mere