Concerti grossi à l’envi

Musique baroque par les élèves du CNMSD de Lyon. Direction : Odile Edouard et Marianne Piketty. Prog. : Corellu, Geminiani, Haendel. Dans le cadre des Dimanches de la Canebière

Engagé depuis le début dans les Dimanches de la Canebière, Mars en Baroque présente cette année un événement exceptionnel, initié au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon.

Près de cinquante jeunes musiciens, baroques et modernes se réunissent pour restituer tout l'éclat des Concerti grossi composés par les plus grands musiciens.

C'est dans l'église Saint-Théodore, futur haut lieu de la musique baroque en Provence que se déroulera ce concert unique.

Arcangelo Corelli (1653-1713)

Concerto n°1 op. VI en ré majeur, Concerto n°3 op. VI en do mineur

Francesco Geminiani (1687-1762)

Concerto n°2 (1726) d'après l'op. V de Corelli, en mi mineur, Concerto n°2 op. VII en ré mineur

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)

Concerto n°11 op. VI en la majeur

Église Saint-Théodore
Le dimanche 31 mars 2019 à 14h
Entrée libre
www.marsenbaroque.com
Rue des Dominicaines
13001 Marseille

Article paru le mercredi 6 mars 2019 dans Ventilo n° 424

Festival Mars en Baroque 2019

L’atelier baroque

 

En nous invitant à pénétrer dans « l’atelier » du musicien, au contact des secrets de fabrication des œuvres, Jean-Marc Aymes, directeur artistique du festival Mars en Baroque, n’en finit pas de nous étonner avec ce qui semblait pourtant aller de soi dans l’acte créateur. Conférences et concerts de l’édition 2019 se complètent pour éclairer les relations entre les conventions d’un art situé dans l’histoire et les artistes à même de s’en jouer.

    Plonger au cœur des mécanismes de la création musicale de l’âge baroque permet de rendre l’artiste à son temps. Son modus operandi prend sens au milieu des techniques et des modèles qui l’ont déterminé et ont permis le déploiement des aptitudes propres à chacun dans un style personnel ou celui d’une école. Entre talent et savoir-faire, nous pourrons suivre la croissance organique du travail de composition qui, depuis sa conception, porte la musique à son état d’exécution ; pourtant jamais vraiment achevé, pouvant toujours supporter des remaniements selon des principes adaptatifs que les musicologues invités éclairciront. La plasticité des formes et des modalités de jeu caractérise ces époques où le compositeur comme le peintre se doivent de répondre sans désemparer aux obligations de leur fonction à la cour, à la ville ou à l’église. Si le pragmatisme que l’on découvre dans leurs pratiques nous éloigne un peu du parangon idéal de l’artiste tel que nous le concevons aujourd’hui, il accroît notre empathie pour ces homo habilis, compositeurs et interprètes, minutieux tisserands et fileurs de sons, héritiers des corporations où se transmettaient dans la maison du maître le geste adroit et l’expérience du métier, souvent de père en fils, en longues lignées de musiciens. Le festival investit pour la première fois cet aspect déterminant pour l’acquisition d’une capacité professionnelle en organisant deux master classes d’« excellence » destinées à parfaire la pratique de solistes vocaux confirmés dans le domaine de l’interprétation du répertoire du XVIIe, à l’articulation avec le siècle précédent (avec Maria Cristina Kiehr les 11 et 12) ou le siècle suivant (avec Sandrine Piau, les 13 et 14). Un concert de « restitution » sera offert à l’issue de chaque classe.  

De la terre...

Utilisé par les plus grands — Bach et Vivaldi ne s’en sont pas privés—, le réemploi d’une partie d’une œuvre dans une nouvelle trouve son accomplissement dans les techniques de transcription d’un instrument vers un autre ou d’une coupe formelle vers une autre. Le procédé sera explicité par l’organiste Yves Rechsteiner lors de sa conférence du 16 mars et illustré par trois concerts. Le flûtiste à bec Michaël Form et son complice Dirk Börner au clavecin nous proposent l’arrangement de matériaux empruntés à différentes œuvres de Jean-Sébastien Bach et adaptés à leur duo pour en faire six « nouvelles » sonates au moyen d’une époustouflante science de la contre-facture. Chacune des pages de la partition ainsi recomposée porte en transparence le filigrane du Kantor, à la façon de ces tableaux non signés dont le nom du peintre est pressenti dans la profondeur du ciel ou l’expression des visages. Exercice de style illusionniste et brillant, Bach Remixed a été récompensé par un diapason d’or « remarqué » (le 21). Les transcriptions pour claviers que Bach réalisa de quelques concertos de Vivaldi démontrent sa curiosité à sonder tous les terrains du langage musical de son temps (excepté le théâtre lyrique). Ils seront interprétés par les élèves du CNSMD de Lyon. Sous leurs doigts s’agiteront les courants mystérieux de cette considération réciproque qui a réuni les deux géants du baroque flamboyant en nous laissant rêveurs quant aux fruits imaginaires d’une influence plus complète : le pur fantasme d’un opéra italien de Bach... (le 20). Enfin, Paul Goussot interprètera sur l’orgue de l’Abbaye Saint-Victor ses adaptations de grands airs d’opéras du XVIIe et XVIIIe siècles qui déjà en leur temps faisaient l’objet de transcriptions (parfois parodiques) destinées à populariser leurs plus beaux élans auprès d’un large public ; ainsi que la gravure, véhicule commode, diffusait les plus célèbres peintures dans toute l’Europe (le 26). Alternance de récits et d’airs aux métriques variées, la cantate partage nombre d’ancêtres communs avec l’opéra dans l’arborescence des généalogies formelles. L’ensemble Amarillis et la soprano Hasnaa Bennani suivront le fil thématique des saisons et des âges de la vie pour rendre perceptible la fantaisie créatrice que les compositeurs français de la première moitié du XVIIIe siècle apportèrent à ce genre lyrique. Aux derniers fastes solaires du Grand Siècle se mélangent les vapeurs d’un baroque automnal en nous laissant une image attachante de cette « France Louis XV » qui vit, au travers d’un art hédoniste, sa dernière saison d’agrément. À découvrir, les saveurs vives ou plus nacrées d’un Philidor, d’un Boismortier ou d’une Jacquet de La Guerre (le 8). Héritage de l’écriture polyphonique médiévale, le contrepoint joue le rôle psychanalytique du « père sévère » pour les compositeurs voulant s’affranchir du stylus anticus. Ses rébus nous seront révélés comme autant de devinettes amusantes par l’ensemble Coclico, spécialisé dans la musique vocale de la Renaissance. Règles rigoureuses et combinaisons infinies s’appliqueront à des improvisations sur des thèmes les plus « farfelus ». Pas de complexe : second degré requis et public participatif pour une séance de contrepoint qui s’annonce bien fleurie (le 30).  

... au ciel

Cette technique d’écriture conservera une présence substantielle dans la musique sacrée où elle rivalise avec la mélodie accompagnée pour peindre les mouvements de l’âme dans le miroir des passions du cœur humain ainsi que Concerto Soave le suggère en associant l’Arianna d’Alessandro Scarlatti avec le Salve Regina de Pergolèse dans un concert baptisé De la Terre au Ciel. Ces évocations du tragique féminin, où le profane et le religieux font assaut de douceur et d’élévation, seront interprétées par Maria Cristina Kiehr, dont le timbre et le phrasé incarnent ces qualités à leur plus haut degré de sensibilité. La soprano nous transportera, comme le peintre dans une perspective plafonnante, sur des nuées où volent des figures légères. Le chant napolitain dans son expression la plus transcendante (le 15). La maniera vénitienne sera également mise à l’honneur. Une conférence de Patrick Barbier nous présentera les cadres musicaux de la Sérénissime au travers du destin parallèle d’Antonio Vivaldi et d’Antonio Caldara (le 22). Le chœur de chambre Les Eléments dirigé par Joël Suhubiette, accompagné de Concerto Soave, célèbrera la figure mariale avec le Magnificat de Vivaldi et celle de Marie-Madeleine avec l’oratorio que Caldara lui a consacré. Maria Cristina Kiehr prête sa voix à la pécheresse repentie avec une onction qui touche au sublime, confer son enregistrement avec René Jacobs chez Harmonia Mundi (le 23). Les Fêtes Vénitiennes, opéra-ballet d’André Campra donné en version concert à la Criée (le 9), constitueront certainement l’hommage majeur à cet art de vivre qui s’attarde comme un été indien sur les bords de la lagune et dont l’Europe aspire à imiter les fantasmagories. L’occasion d’une dédicace à la mémoire du compositeur provençal monté à Paris pour s’illustrer avec une réussite fulgurante que nous a contée le musicologue Jean Duron (le 26 février). Bien d’autres œuvres du temps jadis seront mises à notre portée dans cette dix-septième édition du festival Mars en Baroque ; mettons-nous à la leur en pénétrant dans le laboratoire intime de ceux qui les ont conçues, le plaisir n’en sera que plus entier.  

Roland Yvanez

 

Festival Mars en Baroque : jusqu’au 31/03 à Marseille. Rens. www.marsenbaroque.com

Le programme complet du festival Mars en Baroque ici