Regarder derrière soi, le cinéma et l'histoire (V.O.)

Thématique liée aux liens entre le cinéma et l'histoire

László Nemes est un réalisateur qui revient sans cesse sur l’histoire de l’Europe. Dans Sunset, nous suivons une héroïne perdue dans sa quête identitaire, alors même que l’empire austro-hongrois se désagrège. La folie guette le personnage et l’empire, et le film prend des allures de conte fantastique. Sunset s’avère être une merveille visuelle et un rêve qui flirte avec le cauchemar. 

Autour de ce coup de coeur, Le Gyptis vous propose une sélection de films qui portent des regards singuliers sur le passé. Au travers d’entretiens (Résistantes ou Burkinabè Rising), de matériaux hybrides collectés pour raconter une histoire (Fahavalo, Madagascar 1947) ou même le recours à la fiction (Mélancolie ouvrière ou La Miséricorde de la jungle), ces films cherchent à la fois à mettre en lumière, dans tous les sens du terme, un moment historique, mais aussi à en donner leur version. 

Fahavalo, Madagascar 1947 travaille sur un moment re-foulé bien que fondateur de l’histoire malgache : les révoltes de 1947. La réalisatrice Marie-Clémence Andriamonta-Paes vient nous présenter son film et participer à un échange avec une association de culture malgache, Tanimena. 

Le festival Village Hip-Hop aime entretenir la mémoire du mouvement hip hop à Marseille, si présente dans les têtes mais si rare en représentations. Nous sommes donc ravis de proposer avec eux Freestyle, pure fiction prenant place dans le bien réel milieu du hip hop à Marseille au début des années 2000. 

Nous accueillons à nouveau la réalisatrice Fatima Sissani avec son documentaire Résistantes. Ce dernier se penche sur une partie méconnue de la guerre d’indépendance de l’Algérie : la place des femmes dans cette lutte. Le film rassemble les témoignages, au soir de leurs vies, de membres du FLN. 

Nous avons le plaisir de vous proposer en avant-première La Miséricorde de la jungle, présenté par son réalisateur rwandais Joël Karekezi. Le film, primé deux fois au Fespaco, décrit la dérive de deux soldats rwandais perdus dans la jungle lors de la deuxième guerre du Congo en 1998. Plus qu’un film de guerre, il s’agit d’une réflexion sur l’absurdité de ce conflit terriblement meurtrier. 

Mélancolie ouvrière de Gérard Mordillat fait l’ouverture du festival cher à notre coeur “ Le Printemps du film engagé ”. Cette fiction se penche sur le destin de Lucie Baud, l’une des premières syndicalistes françaises qui, au début du XXe siècle, mena de grandes grèves dans des filatures de tissage de la soie. 

Et pour finir, nous entamons une première collaboration avec le festival musical “Intersections” avec la projection d’un documentaire : Burkinabè rising, qui documente l’effervescence musicale burkinabée et son lien étroit avec l’histoire politique du Burkina Faso, et particulièrement celle du révolutionnaire Thomas Sankara.

Cinéma Le Gyptis
Les 27 mars et 28 avril
5/6 €
Rens. 04 95 04 96 25
www.lafriche.org
136 rue Loubon
13003 Marseille
04 95 04 96 25

Article paru le mercredi 3 avril 2019 dans Ventilo n° 426

Thématique « Regarder derrière soi, le cinéma et l’histoire »

De voir de mémoire

 

La nouvelle du cinéma le Gyptis nous propose d’explorer les liens complexes mais essentiels entre histoire, mémoire et cinéma : ou comment le spectateur devient témoin d’un passé collectif.

  Le cinéma est traversé depuis ses origines par la question de l’histoire, de sa représentation à l’écran et du rôle de spectateur-témoin : Antoine De Baecque, grand théoricien de l’image en mouvement, rappelle ainsi que « le cinéma semble être devenu, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle, l’art par excellence de l’histoire, la forme moderne de la représentation historique. » Il n’est pas anodin que parmi les premiers gestes du cinématographe, les grandes pages de l’histoire furent donc portées à l’écran — on songe bien évidemment au fameux Assassinat du Duc de Guise d’André Calmettes —, et que l’un des premiers longs métrages fut le controversé Naissance d’une nation de David Wark Griffith, qui posa les jalons d’une représentation partiale et partielle d’un pan majeur de l’histoire américaine. L’une des problématiques de la démarche artistique est bel et bien la construction du dispositif et le positionnement du spectateur face au flot mémoriel, rarement exempt d’affects, comme le soulignait Élie Yazbek. C’est dire les difficultés qui incombent aux cinéastes dans leur représentation historique, récente ou passé. L’équipe du Gyptis nous propose de répondre partiellement à cette question essentielle de l’image en mouvement, avec sa nouvelle thématique, « Regarder derrière soi, le cinéma et l’histoire ». Au programme, une poignée d’invités, et, comme de coutume, quelques films bien sentis. À commencer par le dernier opus du grand Nanni Moretti, Santiago, Italia, qui narre, dans un dispositif cher au cinéaste, un pan peu connu de l’histoire italo-chilienne : ou comment, lors du coup d’État militaire de Pinochet en 1973, l’ambassade d’Italie sauva de nombreuses vies. Autre pays, autre dictature, Le Silence des autres, d’Almudena Carracedo et Robert Bahar, revient sur le passé franquiste de l’Espagne, cherchant à rompre le pacte de l’oubli et à revenir sur la loi d’amnistie qui interdit après la mort de Franco le jugement des crimes odieux perpétrés par l’un des plus sanguinaires dictateurs européens du 20e siècle. Cette représentation suscitée de l’histoire trouve deux expressions opposées dans deux autres opus également programmés : entre le grand classique La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo et le récent Green book : sur les routes du Sud de Peter Farrelly, les deux approches sensorielles placent le spectateur au cœur de deux axes d’observation certes différents et néanmoins, en certains points, symétriques. Quant aux conflits anti-coloniaux, au regard des divers films qui abordent le sujet ces dernières années en salle, force est de constater que de nombreuses pages n’ont pas encore été tournées : le cinéma devient à cet endroit précis le moyen d’expression idéal pour remettre au cœur du débat les plaies à panser (penser ?) collectivement. C’est le cas de Fahavalo, Madagascar 1947, qu’accompagnera la réalisatrice Marie-Clémence Andriamonta-Paes, et du très beau documentaire Résistantes de Fatima Sissani, également invitée lors de cette thématique, qui confronte le regard de trois femmes sur la guerre d’indépendance algérienne. Soulignons également la venue du réalisateur Joël Karekezi, pour La Miséricorde de la jungle, récemment primé au Fespaco, magnifique long métrage qui réveille les fantômes de la seconde guerre du Congo et du conflit rwandais. Enfin, réveiller la mémoire dans le champ — et le hors-champ — du cadre n’est pas l’apanage des grands conflits passés : le cinéma sait se faire le témoin de décennies plus récentes, propres à éclairer notre présent, à l’échelle d’une ville, d’un arrondissement, d’un quartier, à l’instar du film que présentera la cinéaste Caroline Chomienne, Freestyle, qui nous plonge, essentiellement vers Belsunce, au cœur de la cité phocéenne des années 2000.  

Emmanuel Vigne

 

Thématique « Regarder derrière soi, le cinéma et l’histoire » : jusqu’au 28/04 au Gyptis (136 rue Loubon, 3e).

Rens. : www.lafriche.org/fr/cinema-le-gyptis

Le programme complet de la nouvelle thématique du Gyptis ici