Friedkin Connection. Une rétrospective, 2e partie (V.O.)

Rétrospective consacrée au cinéaste américain, proposée par Olivier Puech

Né à Chicago en 1935, William Friedkin se situe à part dans l’environnement des cinéastes du Nouvel Hollywood, frôlant souvent les limites de l’inacceptable, prenant toujours le risque de l’image de trop, celle que l’on n’a pas envie de voir.

"Les films de William Friedkin provoquent une sorte d’affolement idéologique tant ils se fondent sur une ambiguïté, sur l’ambivalence des êtres humains.

Culpabilité, obsession, bouleversement de l’ordre social, conflit intérieur d’un homme par rapport à ses propres actions sont les thèmes qui ne cessent de le hanter. Ses films ne sont pas aimables, ils n’ont pas de boussole morale. L’individu chez Friedkin est un champ de bataille où s’affrontent des lois archaïques et où la rédemption n’existe pas. Des horizons s’ouvrent pour se perdre dans le violent, le monstrueux et l’infini : Vous savez, je suis un juif d’origine russe, et un juif russe ne peut pas être heureux, particulièrement lorsqu’il vient d’Ukraine.

Ce n’est probablement pas un hasard si le premier opéra qu’il mettra en scène est Woyzeck.

À l’instar de John Huston, Samuel Fuller et Sam Peckinpah, Friedkin s’intéresse profondément aux gens, à leurs histoires, leurs vies. Ses tournages regorgent d’anecdotes et sont le moyen d’explorer un milieu en profondeur. Il croit en l’étendue de ce qu’est le pouvoir du cinéma, s’il est utilisé par quelqu’un qui a des idées ; non pas de l’argent, de la technologie ou des milliers de figurants, mais de simples idées sur la   nature humaine.

Friedkin, est un autodidacte qui s’est formé sur le tas. Débutant comme coursier à dix-huit ans dans une chaîne de télévision, il réalise son premier film en 1962, un documentaire, dans l’intention de sauver la vie d’un condamné à mort, dont il est persuadé de l’innocence.
Comme un contrat passé avec le réel, associé à une singulière utilisation du système : le condamné obtiendra sa liberté, Friedkin, sa carrière. Friedkin a quelque chose du sorcier ; sous l’influence revendiquée de Gabriel Garcia Marquez, il montre que le réel ne suffit pas et l’hyperréalisme de son style se prolonge dans une dimension magique, voire même cauchemardesque : un réalisme halluciné. C’est le moment où le film s’élève vers quelque chose qui ne peut pas être compris : “La parabole de la femme et du tigre a eu une grande influence sur moi quand j’étais enfant. Un gladiateur a l’opportunité d’emprunter deux portes différentes. Derrière une porte, il y a une femme magnifique qui l’aimera pour toujours, et derrière l’autre porte il y a un tigre blanc et sauvage qui le mettra sûrement en pièces.

À la fin de l’histoire, le gladiateur ouvre l’une de ces portes. Et c’est au spectateur ou au lecteur, de deviner celle que le gladiateur a choisi d’ouvrir. J’ai toujours trouvé cette ambiguïté intéressante. Car je pense que les gens prennent d’une histoire ce qu’ils y ont apporté”.

Je n’ai aucune idée de ce que je suis déclare William Friedkin au détour d’une entrevue.

Partagé entre l’esprit de provocation, le goût pour les polémiques, le refus de toute concession et l’envie de satisfaire le public, Friedkin l’arrogant semble se perdre au milieu de toutes ces volontés contradictoires en toute sincérité. Ce mélange de trivialité et de subtilité pourrait passer pour un défaut, mais c’est tout l’intérêt de son cinéma qui y trouve sa cohérence, rendant ses films extrêmement stimulants. Friedkin représente l’archétype même des contradictions qu’entraîne le métier de cinéaste hollywoodien, à la fois artiste et commerçant. Son œuvre apparaît comme une réponse à ce dilemme que seul le cinéma, en tant qu’art né de la reproductibilité technique, pouvait lui offrir, ses films ne parlent finalement que de lui-même.

On peut reprocher au cinéaste son inconstance ou son goût pour l’excès, le malaise, la violence mais on ne peut qu’admirer sa passion dévorante pour un art qui ne le lui a pas toujours bien rendu, son œuvre passionnante et protéiforme.

À la question Pourquoi continuez-vous à faire des films malgré les difficultés ?
Friedkin répond : Parce que je ne veux pas mourir."

Olivier Puech

Videodrome 2
Du 12 février au 16 février 2019
5 € (+ adhésion annuelle : 3 €)
Rens. 04 91 42 75 41
www.videodrome2.fr
49 cours Julien
13006 Marseille
04 91 42 75 41

Article paru le jeudi 7 fvrier 2019 dans Ventilo n° 422

Rétrospective Friedkin Connection

Apprenti sorcier

 

Sur une proposition d’Olivier Puech, le Vidéodrome 2 accueille le second volet de la rétrospective consacrée à William Friedkin, l’un des derniers grands cinéastes américains en activité, dont l’œuvre reste aujourd’hui encore insaisissable.

  Dans une époque de normalisation digitale, de standardisation numérique, tout cinéaste inclassable, dont on ne parviendrait toujours pas à en dessiner les contours, est devenu denrée rare. A fortiori dans le système actuel de production hollywoodienne, dans un pays où la notion même de cinéaste indépendant ne signifie plus grand chose — il suffit de le constater chaque année à Deauville. « Le cinéma américain a changé ces dernières années, car il s’agit avant tout de gagner de l’argent. Pas de faire des films. L’idée même du cinéma aux États-Unis est une blague aujourd’hui, c’est juste faire du pognon. » Ces mots sont prononcés par l’un des derniers grands cinéastes de l’histoire américaine, William Friedkin. Si sa carrière démarre dans les remous du Nouvel Hollywood, impossible pour autant de réellement l’associer à cette prise de pouvoir des auteurs sur les grands studios. Le fil d’Ariane cinématographique du cinéaste est en tous points emmêlé, son parcours chaotique, ses œuvres hors norme : un seul éclairage le distingue, celui d’une exploration de l’âme humaine sans concession, sans détours, fixée sur les aspects les plus sombres de notre nature commune. « Je fais des films à cause de ce chien noir qui est au-dessus de ma tête et qui me surveille », précisait-il dans les années 80. Cinéaste autodidacte et particulièrement cultivé, William Friedkin reste un touche-à-tout mystérieux et brumeux, dont les films développèrent une vision très personnelle de l’altérité, brouillant les pistes du réel et de l’imaginaire, marquant son obsession pour la métaphysique de l’âme. Sur une proposition du cinéphile Olivier Puech, l’équipe du Videodrome 2 propose depuis le 29 janvier une grande rétrospective de l’œuvre de William Friedkin, dont le second volet se déroulera du 12 au 16 février, au sein de l’exaltante salle du Cours Julien. Une occasion unique de développer les regards sur la filmographie protéiforme du réalisateur de L’Exorciste. À commencer par The Birthday Party (L’Anniversaire), adapté de la pièce d’Harold Pinter, traité des peurs irrationnelles dans un environnement cher au cinéaste, le huis clos. Suivra l’une des pièces majeures de l’œuvre de Friedkin, Le Convoi de la peur (Sorcerer), qui bénéficie, depuis sa restauration en numérique, d’un éclairage nouveau, quarante ans après son échec retentissant en salles. Cette adaptation cauchemardesque du Salaire de la peur fut, dans sa fabrication, une allégorie même du parcours du cinéaste. Autre opus incontournable de sa filmographie, The People vs Paul Crump, documentaire qui changea le cours de l’histoire pour son personnage principal, condamné à mort, marque l’obsession filmique de William Friedkin dans la représentation du réel. Quatre opus programmés au sein de cette magnifique rétrospective achèveront d’embrouiller les pistes du « mystère Friedkin » (L’Enfer du devoir, Police fédérale Los Angeles, La Chasse et French Connection), mais permettront au public de prendre pleinement conscience d’une œuvre inclassable.  

Emmanuel Vigne

 

Rétrospective Friedkin Connection : du 12 au 16/02 au Vidéodrome 2 (49 Cours Julien, 6e). Rens. : www.videodrome2.fr

Le programme complet du cycle Friedkin Connection ici