Le Métier de vivre

Installations vidéo de Pasty, Damon Mohl, Isabel Pérez del Pulgar et Bernard Obadia

Il y a 50 ans (1968), près de 10 millions de personnes se sont mises en grève sur l’ensemble du territoire français. Ces femmes et ces hommes ne souhaitaient pas seulement de meilleurs salaires ou de nouveaux droits syndicaux. Ils voulaient vivre autrement. Ils ne voulaient plus que le travail abîme les corps et vole leur temps. Ils voulaient être traité dignement.
Nous proposons, après avoir regardé quelques vidéo d’artistes, d’imaginer ensemble ce que pourrait être un travail épanouissant, respectueux des capacités et des désirs de chacun… Bref, d’imaginer un futur, sachant que les utopies d’hier finissent toujours par être les réalités de demain. Ainsi, nous pourrions tous avoir un seul travail que nous appellerions le « métier de vivre ».

La limite élastique (14’ – 2017) / Pasty (France)
Dans cette œuvre, l’artiste s’inspire de son père ouvrier, qui lui sert alors d’interprète et de modèle de la figure ouvrière dans une période de l’entre-deux industriel, entre la banalisation de la robotisation et le maintien du travail à la chaîne. Quelle sera la place des corps humains dans l’industrie de demain ? Le corps soumis à un travail répétitif peut lui aussi, tout comme un matériau, atteindre sa limite, casser et ne pas retrouver sa forme initiale.
Ce projet est une mise en relation des notions d’optimisation, de rendement, de fatigue et de devenir du corps, gardant une position hybride entre la fascination de la technique et la sensibilité pour la cause ouvrière. Des dialogues partagés se confrontent : celui d’un directeur technique, d’un commercial d’une entreprise de robotique, et d’un concepteur d’exosquelettes de robots. S’ajoute à cela des images prises dans une école d’orthopédie. L’artiste ayant lui-même porté un corset pendant des années, comprend alors la contrainte physique que peuvent ressentir les ouvriers équipés d’exosquelettes : à la fois une certaine résignation, mais aussi un sentiment de vulnérabilité du corps face à la cadence des gestes répétitifs.

Night Clerk (1’35 – 2017) / Damon Mohl (USA)
Une chanson pour un concierge de nuit.

L´Usine (3’44 – 2017) / Isabel Pérez del Pulgar (Espagne – France)
La variation des horaires et des quarts de travail en semaines alternées entraîne une modification de la perception du temps, des horaires de repas et du sommeil. L’éclairage électrique permanent dans les espaces de travail est également une source de confusion en ce qui concerne les horaires et la lumière du soleil. Le bruit constant tout au long de la journée, le manque de communication, les mouvements répétitifs, le rythme des tapis roulants, le petit espace de mobilité, les postures forcées, les exigences de vitesse dans l’exécution de la tâche, les blessures aux mains suite à la pression et à la manipulation des couteaux…. tout cela provoque un état de stress et d’anxiété forte.
Réussir à enchaîner les jours, dans une sorte de ligne continue divisée par des fins de semaine invisibles, n’est possible que par le biais d’une sorte de détachement du “Moi” au sein d’un abîme intemporel, dans lequel se crée une danse, une chorégraphie de femmes automates. La vie devient une boucle aliénante.
Le rythme et l’exécution du film ont été conçus comme la projection d’un film, avec l’idée de créer la perception d’une boucle sans fin. Les changements lumineux et chromatiques différencient l’espace extérieur et l’espace intérieur de l’usine, ainsi que l’usage d’extraits tirés du cinéma muet. Pour la réalisation du projet, l’artiste a utilisé des images et des sons provenant du domaine public.

Le temps est hors de ses gonds (7’09 – 2018)/ Bernard Obadia (France)
Des corps, des gens, des “anonymes” comme on dit, et puis le monde aujourd’hui.
LE MONDE AUJOURD’HUI. Images accompagnées d’un poème de Jean-Pierre Ostende.


ADPEI
Lun, mer & ven 14h-17h
Entrée libre
www.instantsvideo.com
18 boulevard Camille Flammarion
13001 Marseille

Article paru le mercredi 31 octobre 2018 dans Ventilo n° 417

Instants Vidéo Numériques et Poétiques

Vidéaux collectifs

 

« Caressez-vous »... Jamais mot d’ordre n’aura paru plus doux. Cette année, le festival Les Instants Vidéo fait fi des frontières en parlant une même langue étrangère. Pour sa trente et unième édition, l’événement qui se dédie à la poésie électronique souffle un vent exquisément rebelle, donne à voir des images engagées, transpire la singularité et charme le visiteur pour mieux l’enrôler. Pendant près d’un mois, les installations, performances et autres œuvres hybrides autour de la vidéo vont encourager un soulèvement populaire aussi bien culturel que novateur. L’art d’être rassembleur.

  Ouvrir la voie à d’autres cheminements de pensée, évoquer des réalités en cherchant à les refaçonner, éveiller des consciences endormies, combattre des situations gangrenées et faire triompher les sursauts de vie... Autant de perspectives et d’objectifs retrouvés dans l’édition 2018 du festival poétique et numérique Les Instants Vidéo. Une fois encore, ce projet associatif, qui se décline aussi bien dans la région qu’à l’international, permet de croiser différents supports thématiques en offrant à de nombreux artistes émergents une solide visibilité. Cette année, le festival se déroule dans trois pays (la France, l’Italie et l’Argentine) en investissant des villes aux cultures maousses telles que Rome, Milan, Marseille ou Buenos Aires. Au menu des festivités : plus de 240 œuvres présentées et des lieux d’exposition (onze à Marseille et sa région) toujours joliment diversifiés. Mais Les Instants Vidéo ont la (tenace) particularité de s’adresser à un public hétéroclite à souhait et de mettre en avant des structures sociales éphémères au nom du propos et de la créativité. Si la Friche La Belle de Mai reste un repaire confirmé, d’autres espaces consacrés par le festival seront à dépuceler. Quid des nouveautés ? Un opéra de trois jours, faisant intervenir suffisamment de mots, d’images, de sons et de couleurs pour ravir et griser les cœurs. Une première qui promet de refléter les valeurs de l’événement : idées sans cesse renouvelées pour défis brillamment relevés. Cette édition 2018 a été pensée selon deux références poético-historiques ciblées : les 2000 ans du célébrissime Ovide et le cinquantenaire de Mai 68. La vie change et se poétise, le monde évolue et se politise. À l’occasion des Instants Vidéo, les artistes mobilisés ont cette insoumission naturelle qui leur permet de piocher dans la chronologie passée avec une intention unanimement partagée : la destinée de l’homme n’est point figée, l’audace et le talent peuvent tout révolutionner. Ce sont d’ailleurs des « curieux » et visiteurs du monde entier qui sont convoqués. L’art vient ici délibérément les troubler... En détournant le slogan originel de Marx — les prolétaires sont devenus des humains et l’unisson une grande caresse collective ! —, les acteurs du Festival s’opposent à la mondialisation des flux financiers et exigent un système de libre circulation des désirs. Un blocus créatif de taille, qui s’empare des fléaux mondiaux pour mieux les étouffer. Marc Mercier, directeur artistique de la mnaifestation, a les mots pour le dire : « Dans un monde où les pays riches se transforment en forteresses, assassinant chaque année des milliers de migrants (...), il est grand temps que les humains de bonne volonté se soulèvent et accueillent avec tendresse ceux qui sont obligés de fuir leur pays. Le monde de demain sera créole ou ne sera pas. » Le but du festival n’est toutefois pas de détenir la vérité absolue, mais de partager un ensemble d’intuitions, de craintes et d’espoirs confondus pour rendre notre futur commun plus authentique et serein. Ici, la colère devient un chant porté tout délicatement par l’image et le numérique. Comme si le pire se muait en liesse et que la menace tombait pour l’allégresse. Le festival prescrit à son public assez de substance pour regagner en rêverie et en passion et ce, sans jamais le soustraire à sa raison. Se caresser, l’arme du « mieux vivre » en collectivité ? Le voilà, le grand frisson !  

Pauline Puaux

Instants Vidéo Numériques et Poétiques : du 7/11 au 2/12 à Marseille.

Rens. : www.instantsvideo.com/blog/

Le programme complet des Instants Vidéo ici