Zohreh Zavareh - La Langue dans l'oreille

Lauréate du Prix villa Noailles des Révélations Emerige 2020. Prog. : Villa Noailles

LAURÉATE DU PRIX VILLA NOAILLES DES RÉVÉLATIONS EMERIGE 2020

Le Prix villa Noailles des Révélations Emerige 2020 a été décerné à l’artiste Zohreh Zavareh et est doté d’une résidence de création de 3 mois à la villa Noailles au sein du Château Saint‐Pierre.
Lors de son séjour, l’artiste invitée se voit offrir la possibilité de profiter des compétences et des liens tissés entre la villa Noailles et des artisans locaux. Ainsi, Zohreh Zavareh a pu résider deux semaines au sein de la poterie Ravel (à Aubagne) et recevoir le savoir‐faire de ses artisans potiers.

Zohreh Zavareh puise dans le théâtre certains codes qui nourrissent sa pratique. Elle entretient un rapport particulier avec les objets du quotidien qu’elle dote d’une voix pour prendre la parole et témoigner du monde qui nous entoure. Proche d’une conception animiste, l’artiste investit ces protagonistes inattendus qui habitent nos espaces avec différentes significations. Attentive aux êtres et aux choses qui l’entourent, Zohreh Zavareh veut en dévoiler toute leur beauté par le détour de la fiction. Sa démarche s’appuie sur un travail d’écriture qui dessine les répliques du récit dont les personnages sont les objets. Aussi le public est invité à imaginer l’histoire qui donne vie à ces objets pour reconsidérer notre rapport à ce que l’on considère comme vivant et non‐vivant l’exposition Un monde à votre image à l’occasion de la 7e édition des Révélations Emerige, à Paris et à Toulon, ainsi qu’à Marseille dans le cadre de la 13e édition des Arts Éphémères.


LA LANGUE DANS L’OREILLE

Ma conscience m’épuise.
Je ne dis pas tellement ça pour faire l’intéressant (c’est un autre problème, également pénible), mais la lecture récente du Cosmos de Gombrowicz m’en a fourni une vision plutôt claire par l’intermédiaire de Witold, son narrateur : dans un monde cerné de signes, vouloir trouver du sens à tout, c’est littéralement épuisant1. Dans une exposition d’art contemporain, c’est à peu près la même chose – exacerbée par le fait qu’ici, il y aurait un mystère à percer, une énigme à résoudre... C’est en tout cas ce qu’on essaye régulièrement de nous faire croire. Une exposition de Zohreh Zavareh, sur ce point bien spécifique, n’a donc rien d’une promenade de santé pour quiconque s’accroche un peu trop au désir de tout comprendre. Trop de questions en suspens, trop de signes qui fourmillent.
J’emploie ce dernier terme volontairement, car vous l’aurez peut‐être remarqué : sur la combinaison écrue qui repose sur la chaise, des petites fourmis s’agglutinent à l’endroit du col, des aisselles, du pubis, entre les cuisses.... De loin évidemment, on dirait des poils très noirs sur une peau claire. Lorsqu’on s’approche en revanche, ça ne fait pas de doute. C’est de la peinture. Et ça représente des fourmis. La combinaison pourrait ainsi être un costume de scène couleur chair – une illusion de nu en version habillée. Mais c’est déjà là une projection et ce simple fait demeure : cette enveloppe de corps ramollie n’a pas de poils, mais des fourmis qui lui squattent aux jointures.
Dans quel monde voit‐on ce genre de choses‐là, des fourmis‐poils ? Dans la mythologie peut‐être : la malédiction d’un dieu qui punirait par la chatouille d’insectes ? Zeus l’ayant décidé, Prométhée s’est bien fait becter le foie chaque jour par un vautour. Ça pourrait aussi être le fruit d’un mauvais rêve, ou d’un vilain conte de fée avec une curieuse morale à la fin ?

Aucun indice ne viendra accréditer une thèse plutôt qu’une autre.
Passons donc à autre chose, pour voir comment tout ça communique. Sur la table, face à la chaise, il y a les deux morceaux brisés d’une coquille d’œuf. Entre les deux, une petite flaque informe de blanc écrasé. Là où on aurait attendu du jaune, la gueule d’une bête (un peu humaine, un peu féline) pousse dans la matière opaque et brillante. On commence à comprendre que dans cette manière de faire de l’art, une chose vaut souvent pour une autre : des fourmis pour des poils, une tête de chimère pour du jaune d’œuf... Elles ne s’en tiennent d’ailleurs pas à cette apparition visqueuse, ces têtes : les voici remplaçant des poignées de porte aux quatre coins de l’ancien évêché, suspendues comme des gargouilles orphelines. Non seulement il est question de métamorphose ici, mais ces présences surgies des choses braquent leurs regards en direction d’un lieu qui dévoilent ses secrets au compte‐goutte.
Retour à la table : des mains en tissu rose, percées de stigmates dont chacun·e verra la ressemblance qui lui sied – personnellement j’ai décidé d’y voir une paire de paupières closes, très rougies. Au sol, des chaussures effet peau de serpent semblent avoir été enlevées à la hâte. À travers ses traces, l’humain persiste en ces lieux. De plus en plus curieusement, on se dit qu’il pourrait s’agir des accessoires d’un corps absent non pas de la scène, mais de ses coulisses. Où s’est alors retiré le personnage principal de cette histoire ? Est‐ce la montre posée plus loin qui l’a absorbé, puisque en son cadran réside un individu comme emprisonné dans le temps ?
Je vous l’ai dit dès le début de ce texte, ma conscience a quelque chose d’épuisant2, et les bribes d’histoire que Zohreh Zavareh me livre ne font qu’attiser son feu. Il n’y aurait certainement qu’assez peu d’intérêt pour vous d’en suivre les divagations continues, aussi j’aimerais terminer en prenant un peu de recul sur ce qui se passe entre ces murs afin d’évoquer ce travail de façon plus générale.
Il paraît inutile de dire que cette artiste ne cherche pas tant à se jouer de nous que de suivre le fil des récits qui lui parviennent. N’enquêtons pas à en comprendre les raisons, ni à en démêler le mystère, mais demandons‐ nous plutôt ce que ces histoires, et les objets qui leur résistent, peuvent aussi nous transmettre. L’autrice américaine Ursula K. Le Guin, qui a défendu une approche éthique de la science‐fiction, a décrit dans un court essai intitulé « Le langage de la nuit » les pouvoirs possibles des littératures de l’imaginaire. Parmi ceux‐ci, elle propose que libérer la narration de faits réalistes et « contourner les raisonnements verbaux »3 favoriserait une certaine compréhension du monde. La perspective nécessite certes d’être désaxée, mais elle emprunte le champ des hypothèses pour chambouler la prétendue linéarité d’un rapport au réel. Cela peut paraître un peu grandiloquent dit ainsi, mais c’est à travers ces détours et aberrations, je crois, que s’exprimera le mieux le fait qu’il n’est qu’une constante construction – et qu’il nous appartient d’en faire apparaître la nature arbitraire.

Franck Balland

 

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Depuis 18 mois, l’impact de la crise sanitaire sur le monde de la culture et des arts est considérable.
C’est pourquoi, en tant qu’acteur engagé, nous avons maintenu nos efforts et réaffirmé notre soutien aux artistes et aux institutions avec lesquelles nous agissons. Cette année encore, plus de 10 000 jeunes vont ainsi bénéficier de nos programmes d’éducation artistique et culturelle et être confrontés à la création et aux savoirs.
Les artistes sont eux aussi, et plus que jamais, l’une des priorités de notre politique de mécénat. La commande à de jeunes plasticiens dans le cadre de l’exposition "Napoléon ? Encore !" au musée de l’Armée aux Invalides en est l’une des illustrations.
La Bourse Révélations Emerige est au cœur de notre soutien à cette jeune création. Depuis son lancement il y a 8 ans, plus de 80 artistes ont bénéficié de ce tremplin et ont été exposés au regard des professionnels du marché de l’art et des amateurs d’art contemporain. Aujourd’hui, la majorité d’entre eux a rejoint une galerie et connaît une actualité artistique. Signe du succès de ce programme, nous avons reçu cette année plus de 1 000 dossiers de candidatures.
C’est dire combien fut difficile, pour Gaël Charbau, commissaire, Paula Aisemberg, directrice des projets artistiques d’Emerige, Benoît Porcher, fondateur de la galerie Semiose, partenaire de cette 8e édition, et moi‐même, d’effectuer cette sélection. Il en découle l’exposition collective FIREPLACES où le travail protéiforme de 12 artistes qui portent un regard brûlant et sans concession sur le monde d’aujourd’hui.
Il sera à découvrir 16 bd Raspail, tout près de Beaupassage, dans le Paris historique du 7e arrondissement, écrin conçu par Emerige et qui offre un parcours d’art contemporain unique et inédit.
Enfin, parce que notre volonté est de faire rayonner la jeune création dans tous les territoires et auprès d’un public toujours plus large, je suis heureux de voir renouvelé notre partenariat avec la villa Noailles et la Métropole de Toulon et que soit offerte l’opportunité à l’un des nommés de la 8e édition des Révélations Emerige d’être exposé au Centre d’art contemporain d’Ivry – Le Crédac, à la programmation reconnue et exigeante.

— Laurent Dumas,
président du Groupe Emerige


La Surface - Ancien évêché de Toulon
Jusqu'au 13/02 - Mer-sam 11h-17h + dim 11h-13h
Entrée libre
https://villanoailles-hyeres.com
69 cours Lafayette
83 000 Toulon
04 98 08 01 98