Les beaux jours de Maryse Condé

Entretien avec l'écrivaine et ses invités, animé par Valérie Marin La Meslée, suivi d'une lecture avec Eva Doumbia

Originaire de Guadeloupe, Maryse Condé est l’auteure d’une œuvre considérable, traduite en plusieurs langues, étudiée dans le monde entier. On ne compte plus les récompenses qu’elle s’est vu décerner internationalement, jusqu’à celle, récente, qui couronne presque 50 ans d’écriture : le prix de la Nouvelle Académie de littérature (qui a remplacé en 2018 le Nobel de littérature). Le jury de ce Prix a salué dans son œuvre « les ravages du colonialisme et le chaos post-colonial dans une langue à la fois précise et bouleversante. »

Journaliste, dramaturge, auteure pour la jeunesse, essayiste et romancière, elle a également été professeure émérite à l’université de Columbia, aux États-Unis, où elle a fondé le Centre d’études françaises et francophones.

L’œuvre de Maryse Condé embrasse trois continents, l’Amérique, l’Afrique et l’Europe, liés à son parcours et à ses engagements. Née en 1937 à Pointe-à-Pitre, d’un père banquier et d’une mère institutrice, la future romancière confesse avoir grandi dans un milieu protégé, loin des questions qui parcourent sa littérature, et n’avoir pris conscience de la couleur de sa peau qu’en arrivant en France, à l’âge de 16 ans. Sa lecture d’Aimé Césaire la conduit à remonter le fil de l’histoire de l’esclavage et cette quête identitaire la mène en Afrique de l’Ouest. De cette expérience, elle tirera Ségou, roman historique en deux volumes qui la fait entrer dans le paysage littéraire. Vont suivre de nombreux romans où elle met souvent en scène des femmes maltraitées par l’histoire, qui tentent de conquérir leur liberté (Moi, Tituba sorcière noire de Salem ; Victoire, les saveurs et les mots, où elle rend hommage à sa grand-mère ; Desirada…). Elle aborde aussi la question des classes sociales à travers la saga d’une grande famille caribéenne (La Vie scélérate, Prix de l’Académie française en 1988), se raconte elle-même dans une très belle autobiographie (La Vie sans fards), met fin à ce qu’elle nomme « le mythe de la négritude » dans Le Fabuleux et Triste Destin d’Ivan et Ivana, son dernier roman inspiré de l’attentat terroriste d’Amedy Coulibaly en 2015.

Au Mucem, nous retracerons avec elle son parcours. Elle partagera la scène avec des complices artistiques qui feront entendre ses textes ; évoquera ses engagements et un projet avec de jeunes Marseillaises de La Busserine autour de son roman pour la jeunesse Chiens fous dans la brousse ; reviendra sur la question de la représentation des noirs, notamment dans les musées… Mais on ne vous dit pas tout, seulement que la présence de la grande Maryse Condé est exceptionnelle !


À lire

  • La Vie sans fards, JC Lattès, 2012
  • Le Fabuleux et Triste Destin d’Ivan et Ivana, JC Lattès, 2017.
Mucem - Auditorium
Le dimanche 2 juin 2019 à 15h
Entrée libre
http://ohlesbeauxjours.fr/
7 promenade Robert Laffont
13002 Marseille
04 84 35 13 13

Article paru le mercredi 15 mai 2019 dans Ventilo n° 429

Oh les beaux jours !

Des livres et la parole

 

Festival littéraire porté par l’association Des livres comme des idées, Oh les beaux jours ! démarre fin mai sa croisière des mots à Marseille avec des escales musicales, théâtrales, dessinées, économiques et scientifiques. Une manière astucieuse d’attirer un public large.

  Avec le lancement du Plan de développement de la lecture publique en décembre 2015, le constat était fait, pour Marseille, d’un retard en termes de nombre de bibliothèques et d’un manque de coordination des actions autour du livre. L’association Des livres comme des idées, co-dirigée par la libraire Nadia Champesme et l’éditrice Fabienne Pavia, séduit alors les institutions locales avec « un projet ambitieux donnant un temps de visibilité fort à la littérature, pour la faire découvrir autrement, à travers un festival et un maillage territorial avec des actions sur le terrain toute l’année. » Mais comment attirer un public large vers le livre et la littérature sans injonction politique ou académique ? Et comment démontrer un intérêt et une richesse pour tous quel que soit son âge, son statut, ou son métier, tant il est vrai que « le terme de littérature peut faire peur » ? Des livres comme des idées fait le pari des frictions vers d’autres disciplines, artistiques ou pas. Car si les classiques séances de signature sont au rendez-vous, l’association nous amène astucieusement, par des chemins de traverse, à notre insu parfois, vers la littérature. Ce qui peut passer par un genre traversant les générations, comme la bande dessinée, mais surtout par des dialogues interdisciplinaires, à l’instar de cette rencontre entre le philosophe des sciences Baptiste Morizot et l’écrivain Vincent Message. La forme avec laquelle les genres se rencontrent se révèle également variée, entre ateliers, rencontres, lectures musicales, entretiens, conférences, spectacles, et lectures publiques. Derrière la surprise pointe donc la curiosité. Difficile de résumer un événement qui compte 96 invités pour 62 rencontres, lectures et ateliers, et qui ne s’arrête pas aux six jours du festival avec des actions culturelles menées toute l’année. Alors abandonnons tout effort de dissertation ou de commentaire composé pour oser la synthèse grâce aux clés fournies par les deux directrices du festival. En cela, l’élaboration de la programmation est un guide plus qu’utile. Sitôt l’édition précédente achevée, nos deux expertes définissent des envies et des évidences à partir de coups de cœur, d’une actualité inspirante et de conseils avisés de leurs réseaux. Peu à peu, le recul sur ces choix étoilés permet de tracer des constellations de thématiques. Les relais institutionnels de quartier et une équipe associative de près de quarante personnes se mettent alors en ordre de marche pour cet exercice astronomique. Un travail en amont conséquent, donc, d’autant que les invités sont associés à la forme de leur intervention, partant du constat d’un intérêt croissant des auteurs pour des évènements mixant les genres. En somme, une organisation innovante qui répond au moteur des écrivains : la créativité. Cette année, huit thématiques ont été ainsi créées. Tout d’abord, les mots seront incarnés par des figures emblématiques. Ici, nul besoin de veilleuse pour éclairer des auteurs contemporains avec les Beaux Jours d’Enki Bilal, Maryse Condé, Stefano Massini et Alice Zeniter. Ces artistes nous feront voyager entre leurs origines (serbe, guadeloupéenne, italienne…) et entre les genres artistiques. Parce que notre passé construit notre présent, qui l’éclaire ensuite sous un nouveau jour, la richesse du patrimoine littéraire n’est pas pour autant oubliée avec Louons maintenant les grands auteurs et, notamment, cette traduction inédite d’Edgar Allan Poe signée Christian Garcin et Thierry Gillybœuf, plus de 160 ans après celle de Baudelaire.   Outre ces passerelles entre auteurs d’hier et d’aujourd’hui, d’autres thématiques confirment le voyage comme un important fil conducteur de cette édition. C’est sa dimension temporelle qui sera surtout explorée avec Traversées et Je viens d’ici. Dans la première, les souvenirs familiaux réels de Léonor de Récondo alterneront avec ceux, plus fictionnels, de Véronique Ovaldé. Dans la seconde, nous serons ramenés à des passés ruraux (le Montana de Pete Fromm et le Cantal de Marie-Hélène Lafon) ou plus urbains (les villes d’exil de Mehdi Charef et Kamel Khélif). Dans cette programmation, le dialogue traverse aussi plusieurs des thématiques. L’échange s’instaurera entre artistes qui se respectent (Daniel Pennac et Silvia Avallone) et peuvent collaborer ensemble (Nicolas Mathieu avec le chanteur-compositeur Florent Marchet) avec Connivences, et entre disciplines Quand les sciences dialoguent avec la littérature. Ici, des ponts se tissent entre réel et fiction, tel ce dialogue entre l’anthropobiologie et la science-fiction avec, respectivement, Judith Nicogossian et Alain Damasio. Enfin, ces Beaux Jours nous rappellent que l’écriture et l’édition sont des actes d’engagement. Avec Continuons le combat, certains écrivent en se battant pour que le monde connaisse des tragédies humaines à portée de plume (Cécile Hennion), et d’autres pour l’amour avec plus (Lisa Ginzburg et Valérie Manteau) ou moins (Fabcaro) de sérieux, quand ce n’est pas pour dénoncer des dérives du progrès (Alain Damasio). La Belle jeunesse milite quant à elle pour que le flambeau de la littérature soit repris par des auteurs en devenir avec le résultat du concours littéraire au collège, et par de futurs éditeurs sous l’encadrement de Benoît Virot. Autant de propositions qui permettent d’affirmer que la littérature a décidément de beaux jours devant elle…  

Guillaume Arias

 
Oh les beaux jours ! : du 28/05 au 2/6 à Marseille.
Rens. : http://ohlesbeauxjours.fr/
Le programme complet du festival Oh les beaux jours ici