L'accrochage de récits comme opération historienne 

Rencontre l’historien avec Philippe Artières, dans le cadre du cycle "Exposer le récit"

« À mes yeux, l’historien n’a pas pour tâche de ‘‘faire parler’’ une représentation mais de permettre une juste confrontation avec le présent, de ‘‘faire entendre’’ le mieux possible des ensembles de représentations / archives. Cette justesse passe par un travail d’écriture que l’on pourrait qualifier de montage et même d’accrochage. » (P. Artières).

Cette écriture en accrochages, mise en œuvre dans Des Routes, met en regard des textes de natures différentes (souvenirs, listes, documents administratifs ou extraits d’œuvres littéraires) pour chercher à provoquer des intelligibilités inédites. Le livre devient un lieu d’exposition de son dispositif d’écriture où le lecteur construit son propre parcours.

Un "retour au récit" se manifeste aujourd’hui au sein de l’histoire et affecte plus largement les sciences sociales et les arts visuels. Quelles en sont les causes ? Pourquoi chercheurs et artistes se tournent-ils vers le récit ?

À l’ère dite de l’Anthropocène, le sentiment de vivre dans un monde usé qui semble courir à sa perte suscite la nécessité de fabriquer de nouveaux récits pour retisser des liens entre l’existant et composer de nouvelles trames spatio-temporelles susceptibles d’ouvrir des possibles non-advenus et de contester toute forme de déterminisme. Ce séminaire se propose de saisir comment artistes, historiens ou anthropologues cherchent à déployer la dimension politique du récit à travers un certain nombre de gestes et de préoccupations communes : renoncer à la position de surplomb ; interroger sa propre situation d’énonciation ; chercher à égaliser les discours et à refuser toute hiérarchie des autorités ; tenter d’élargir le récit et d’en faire une forme inconditionnelle d’accueil, un espace ouvert aux fantômes, au refoulé et à l’exclu qui prend en considération une multiplicité d’êtres et de voix nécessaires à l’ouverture d’un espace démocratique.

S’intéresser à ces mêmes gestes nous permettra de mieux comprendre comment les sciences humaines et sociales influencent les potentialités narratives des écritures filmiques et photographiques, mais aussi comment le cinéma et l’art contemporain renouvellent l’essai et l’énonciation historique. Comment les artistes définissent-ils les enjeux des réécritures de l’histoire qu’ils proposent ? À quelles expériences artistiques et curatoriales s’ouvrent les historiens ?

L’historiographie étant par excellence le lieu d’exposition de la fabrique du récit, nous nous intéresserons aussi bien aux rêves d’histoire de Philippe Artières qu’aux recherches sur l’histoire empêchée que mènent actuellement Romain Bertrand et Patrick Boucheron pour ouvrir le récit et raviver la force subversive de la description. Nous porterons également notre attention à des pratiques cinématographiques et photographiques expérimentales (film performatif, conférence performée, projection parlée) qui croisent différents langages et supports pour chercher leur propre forme et dispositif d’écriture. Le travail de Silvia Maglioni et Graeme Thompson, Uriel Orlow ou Filipa César, entre autres, nous permettra de saisir comment le cinéma élargi expose le récit à son propre éclatement spatial, en rejouant son caractère hétérogène, discontinu, décentré, lacunaire ou partiel.
 

MucemLab
Le vendredi 17 janvier 2020 à 11h
Entrée libre sur inscription à i2mp@mucem.org
www.mucem.org
Mucem - Fort Saint-Jean / 201 Quai du Port
13002 Marseille