Trigger + Nadita

Deux solos respectivement chorégraphiés et interprétés par Annamaria Ajmone (20') et Alma Söderberg (30')

Trigger

Dans Trigger, Annamaria Ajmone module sa présence pour transformer notre perception de l’espace. Tantôt incisive, tantôt sensible, elle capte les énergies environnantes pour engager son corps dans une « conversation » de haute sensibilité avec le temps, l’espace et les spectateurs qui l’entourent. Tout au long de son solo, la danseuse chorégraphe passera ainsi d’un état à un autre en épousant la bande sonore, qui travaille de manière très cinématographique les ambiances. Cette matière sonore creuse l’espace et donne à la pièce les dimensions d’un ailleurs, d’une présence autre. Elle induit des sensations spatiales et déclenche des modifications de mouvements. Annamaria Ajmone s’adapte et se transforme, prend possession de l’espace, saute et bondit avec la souplesse d’une liane, jouant avec les spectateurs, confrontés à cette danse qui s’approche d’eux, leur tourne le dos, passe derrière ou se déploie au centre.
Créé dans le cadre d’un projet autour des pratiques d’habitat temporaire, Trigger questionne ainsi la manière qu’on a d’investir un endroit : comment transformer un espace en un lieu, une abstraction en un territoire, vecteur de mouvements et de sensations.

Nadita

Dans Nadita (« petit rien », en espagnol), le mouvement est inséparable du rythme et de la voix. La musique et l’interprétation musicale expérimentale du son de la voix constituent les éléments essentiels et le fil rouge de l’œuvre de l’artiste suédoise. Artisane du son corporel, Alma Söderberg fait des pieds et du souffle un instrument musical organique, aussi elle est surnommée human sound and dance machine. 
Au gré de gestes familiers et surprenants à la fois, elle flirte avec le grotesque et explore la liberté d’assumer pleinement ses envies et son identité. Une performance rafraîchissante et ludique, aux confins du beat hip-hop, qui émeut et amuse.

Pavillon Noir
Les 06 et 7 déc. : 20h
8/14/16 €
www.dansem.org
530 avenue Mozart
13100 Aix-en-Provence
04 42 93 48 00

Article paru le mercredi 28 novembre 2018 dans Ventilo n° 419

Dansem #21

L’Interview Francesca Corona

Après vingt ans de bons loyaux et services, un nouveau souffle est redonné cet hiver au festival de danse contemporaine Dansem. Son fondateur, Cristiano Carpanini, a en effet confié la direction artistique à Francesca Corona. Voici donc les premiers mots publics de cette belle Romaine de 39 ans au parcours atypique, et dont l’élégance de la silhouette ne dépareille en rien avec celle de son engagement.

  Elle nous attend, patiente et calme, au fond du patio où nous avons rendez-vous. Le turban qui enroule ses longs cheveux noirs fait tout de suite penser à Simone De Beauvoir, et la force de ses propos ne trahira guère ces premières impressions. C’est une femme, une très belle femme, que l’on sent déterminée malgré un trac bien légitime, qui entre aujourd’hui en piste dans la scène culturelle marseillaise.   Qui es-tu Francesca, d’où viens-tu ? Je viens de Rome où je suis née, et à laquelle je suis encore très liée. Je l’ai pourtant quittée pour m’installer à Marseille il y a cinq ans. Je ne suis pas venue ici pour chercher du travail, mais je voulais changer de dynamique. Depuis 2006, j’y avais monté un festival pluridisciplinaire et polymorphe, Short Theatre, qui prend désormais une ampleur respectable là-bas. Là-bas, notre fonctionnement était — et est toujours — collectif et collégial, et nous sommes tous très attachés aux valeurs de militance politique de l’art. Il faut dire qu’à Rome, dans les années 90, il y a eu un lien très fort entre les occupations illégales de lieux, les squats, la militance et le spectacle vivant. J’y ai été plongée dès l’âge de seize ans, et j’y suis encore très attachée. Mais j’avais besoin aussi de changer de dynamique personnelle, au cœur de ma trentaine. Dès mon arrivée à Marseille, j’ai croisé Cristiano, qui m’a demandé d’être sa conseillère artistique sur les quatre dernières éditions, et il y a un an, il m’a demandé de prendre la direction de L’Officina en vue de restructurer son projet, ce qui commence déjà à s’acter dans les prémices du projet européen que nous montons avec le Festival Parallèle : More Than This. En effet, il s’agit de rebâtir une cartographie des alliances de ceux qui agissent sur le plan artistique et culturel, et de tisser des liens avec d’autres structures, d’autres visions, qui nous déplaceraient et nous lanceraient plus loin qu’en étant seuls.   Que peut faire un petit festival comme Dansem dans une ville complexe comme Marseille, aux besoins primaires ? La question est brûlante, et nous anime. Nous avons une réelle envie de politique culturelle à L’Officina. Ainsi, nous travaillons cette année avec des structures œuvrant pour de l’hébergement social comme HS ou le Carillon, qui valorise des initiatives solidaires dans toute la ville avec les sans-abri et le plus démunis, et avec des classes de la Belle de Mai pour le projet de la chorégraphe grecque Panagiota Kallimani (ndlr : Arrêt sur image, les 8 & 9 décembre à la Friche La Belle de Mai). En fait, à Dansem, on se dit qu’on peut utiliser les désirs des artistes pour travailler avec ceux pour qui la vie et l’accès à l’art sont difficiles. C’est notre tentative. Par ailleurs, le fait que Dansem soit un festival d’hiver détermine singulièrement la relation à l’espace public. Contrairement à un festival d’été, on ne peut pas utiliser aussi librement la rue, pour des raisons météorologiques évidentes. Pour autant, nous ne réduisons pas le festival à cette dimension, en cherchant plutôt à transformer les usages des lieux. Les Îles fictives de la Méditerranée (ndlr : les 14 & 15 décembre à Montévidéo), imaginé à plusieurs entités, est ainsi conçu comme un voyage artistique, comme une possibilité. L’enjeu pour nous est de trouver un pacte de confiance avec la personne qui arrive, et qui, en tant que spectateur, va voir plusieurs propositions, qui relèvent de la vidéo, de la musique, de la fête, du soin, de la cohabitation… C’est dans cette question des atmosphères qu’on respire et de ce qu’on mange, dans ce qu’on y voit et de ce qu’on y vit, que se pose le questionnement de la Méditerranée, dont Dansem a fait son fer de lance. On ne cherche pas à rentrer dans le folklore, mais bien plutôt à déplacer cette question de ce qui devrait être méditerranéen, car celle-ci échappe à toute simplification possible. Il nous faut donc donner la parole à des artistes qui vont échapper à cette narration simplifiée. C’est pourquoi nous avons confié à l’artiste marseillaise Anne-Lise Le Gac une carte blanche pour la création de ces atmosphères, et de l’accueil du public avec lequel nous tisserons ce fameux pacte de confiance. D’ailleurs, cette clôture de Dansem en sera peut-être son futur, histoire de décharger le public de la posture de l’attente qu’il aurait face à une performance et, dans le même temps, de décharger l’artiste du devoir de faire un chef-d’œuvre.   À la lecture de ta programmation, on note un goût prononcé pour le spectacle en salle et sur les plateaux… J’aime ce rituel, profondément. C’est un rapport plus que classique, c’est ancestral, et je ne crois pas que cela soit aussi déséquilibré que ce qu’il y parait. La question du corps dans l’espace, mais aussi du corps dans l’espace public, trouve une issue avec la danse, qu’on ne trouve pas forcément avec d’autres disciplinaires spectaculaires. Il y a une question d’immédiateté. L’intimité qui se passe entre celui qui danse et celui qui regarde est exceptionnelle. On abandonne totalement la question du sens de la narration. C’est aussi la raison pour laquelle il y a beaucoup de musique dans les projets de cette vingt et unième édition (ndlr : Alma Söderberg, AnnaMaria Ajmone, Tropicantesimo…) : je crois fondamentalement que la musique est un facilitateur de relations, qu’elle les fluidifie, et c’est tout ce que nous cherchons avec la dimension festivalière : tisser des liens entre les gens — ceux qui dansent, ceux qui regardent, ceux qui viennent.  

Propos recueillis par Joanna Selvidès

 

Dansem #21 : du 5 au 15/12 à Marseille et Aix-en-Provence. Rens. : http://dansem.org

 

Les immanquables du festival

 

Nadita d’Alma Söderberg

[caption id="attachment_28006" align="alignleft" width="150"] © Hendrik Willekens[/caption] Alma Söderberg tente une nouvelle approche du beat box et du rap à travers un univers où l’homme est absent. Les choses se réinventent dans une sensibilité décalée, là où l’individu tente de s’exprimer à l’écart du groupe. Le corps redevient celui de tout un chacun, sans virtuosité. Nadita (« Petit rien ») est une expression de nos envies immédiates, ou comment se manifester par le geste et la parole dans des choses succinctes et presque animales. Retrouver une construction mentale de la spontanéité peut devenir le projet d’une vie.

KGB

> les 6 & 7/12 au Pavillon Noir (Aix-en-Provence)

 

AnnaMaria Ajmone – Trigger

[caption id="attachment_28005" align="alignleft" width="150"] © Michela Di Savino[/caption] Dans une bande-son proche du cinéma, entre la symphonie et une ouverture sur la jungle, AnnaMaria Ajmone se glisse dans un espace imaginaire qu’elle dessine sous nos yeux. Le petit corps embrasse la musique et provoque des dissonances, proches du néo-classique. Les pas sont comptés, structurés, mais tout se fait dans une fluidité et une liberté proche du relâchement et du geste désintéressé. Trigger est un solo qui tient dans la poche, à la manière d’une histoire que l’on garde pour soi et que l’on regarde à l’écart des autres ou dans un moment d’absence.

KGB

> les 6 & 7/12 au Pavillon Noir (Aix-en-Provence)

 

Bermudas par la Cie MK – Michele Di Stefano

[caption id="attachment_28003" align="alignleft" width="150"] © Andrea Macchia[/caption] Dans le prolongement de Merce Cunningham, Michele Di Stefano aime élaborer des projets qui ont un sens avec le présent. Il ne s’agit pas de commenter l’actualité ou le monde qui s’emballe, mais plutôt de contempler les systèmes évolutifs de la physique et de la météorologie. L’ensemble du protocole invite les interprètes à investir l’espace en jouant des variations. La danse de Michele Di Stefano est un prolongement du répertoire, une histoire contemporaine où le danseur est agile. On n’est jamais loin de William Forsythe, mais dans une intimité et une simplicité plus proche du commun. Rien ne crie et tout s’ajoute. Les gestes s’assemblent et se défont dans une fluidité travaillée et une continuité sereine.

KGB

> le 7/12 au Théâtre Joliette (Place Henri Verneuil, 2e)

 

Not About Everything par la Cie Hiatus – Daniel Linehan

[caption id="attachment_28004" align="alignleft" width="150"] © Laetitia Bica[/caption] Déjà présenté dans le cadre d’Actoral en 2010, ce solo de Daniel Linehan est un acte libérateur. Comment recentrer les énergies sur sa personne, rappeler les mots qui nous échappent et convier les autres au silence. Not About Everything envoie le petit homme fragile dans un mouvement perpétuel, à la manière de Félix Baumgartner rebondissant sur l’atmosphère. Les pieds collés sur le sol, le corps s’enroule doucement dans l’espace pour un long voyage. Des choses se disent, des pensées fuitent, des regards s’interrogent. Not About Everything est une expérience puissante et surnaturelle.

KGB

> les 8 & 9/12 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e)

   

Le programme complet du festival Dansem ici