Kreatur   

Pièce pour 14 interprètes de Sasha Waltz (1h35)

Kreatur parle du corps humain, qui, isolé ou joint à une communauté, se déforme sous la pression. Alors que perdre ou prendre le pouvoir, penser l'altérité ou se regarder soi-même, s'aimer et se détester sont les intuitions de départ de cette pièce, la visite d'une ancienne prison de la Stasi à Berlin a confirmé à Sasha Waltz et ses danseurs des points d'appui mémoriels, sensitifs pour travailler le confinement inhumain, la station debout, le continuel éveil. La chorégraphe évoque un monde où les constrictions autant physiques que physiologiques nous obligent au mouvement. Le corps devient le symbole d'une lutte, pris en étau entre des sensations concrètes d'emprisonnement et des sentiments de libération. Pour chercher ce qu'il y a de sombre et de lumineux en chacun, elle a souhaité travailler en collaboration avec de grands artistes, pour les costumes, l'espace et ses reflets, les sons métalliques et concrets... Tout cela compose Kreatur : un univers minimaliste de noir et blanc, où seule la peau et le vivant font couleur et où les figures en présence sont des images d'un futur possible, à la fois familières et inconnues.

Sasha Waltz
Après une formation de danse entre Amsterdam et New York, Sasha Waltz fonde la compagnie Sasha Waltz & Guests. En 1996, elle inaugure son centre de production pour le théâtre et la danse contemporaine, Sophiensaele, avec la pièce Allee der Kosmonauten, et devient membre de la direction artistique de la Schaubühne am Lehniner Platz Berlin de 1999 à 2004. C'est en 2004 qu'elle crée son premier opéra chorégraphique Didon & Enée. Sasha Waltz écrit une danse à la fois charnelle et abstraite, et des scénographies aux partis pris esthétiques tranchés. La chorégraphe reçoit de nombreux prix européens comme ambassadrice culturelle européenne, et prendra la co-direction du Staatsballett Berlin en 2019/2020 avec Johannes Öhman. Au Festival d'Avignon, Sasha Waltz a déjà présenté Na Zemlje et Zweiland en 1999, noBody pour la Cour d'honneur du Palais des papes en 2002, Impromptus en 2004 et Dialoge 20-13 en 2013 dans le cadre du programme « Des artistes un jour au Festival » à l'Opéra Grand Avignon.

Opéra Confluence
Du 7 au 14 juil. : lun, jeu, ven 18h - sam 18h-19h35 et 18h - dim 18h-19h35
14/30 €
www.festival-avignon.com
Place de l'Europe
84000 Avignon
04 90 14 26 00

Article paru le mercredi 4 juillet 2018 dans Ventilo n° 413

Festival d’Avignon 2018

Avignon en tous genres

 

Pour la sixième année consécutive à la tête de l’incontournable festival créé par Jean Vilar à Avignon, l’auteur et metteur en scène Olivier Py place cette soixante-douzième édition sous le thème du genre et de la singularité.

  Les petits visages, tous à la peau bien claire, sur la peinture de couverture du programme signée Alice Tabouret, adressent un regard interrogateur, doublé d’une moue perplexe aux futur.es festivalier.e.s. C’est que le maître-mot de cette année, fil rouge de la programmation, est le genre, qui concerne non seulement la transidentité mais aide aussi à appréhender des questions philosophiques et sociétales. La parité sera presqu’atteinte avec 45,5 % de femmes artistes représentées, pour une édition presque raccord avec son époque. L’agora du jardin Ceccano accueillera de nouveau un rendez-vous devenu immanquable : le feuilleton du festival, imaginé cette fois par David Bobée. Mesdames, Messieurs et le Reste du Monde se veut un espace « où faire voir et entendre les invisibles », dans lequel le directeur du CDN de Rouen invite nombre de complices et consacrera un jour à l’injuste procès de Kirill Serebrennikov en Russie. Cette année, point de douteux focus Afrique ou Moyen-Orient, mais une présence arabe notable avec le très attendu Summerless d’Amir Reza Koohestani, après le succès de son Hearing il y a deux ans ; Mama d’Ahmed El Attar, dernier volet de sa trilogie sur la famille ; Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète de Gurshad Shaheman, qui met en scène dans un labyrinthe sonore la parole d’exilés pour cause d’identité de genre ou d’orientation sexuelle non tolérées dans leur pays ; May he rise and smell the fragrance du chorégraphe Ali Chahrour, également troisième opus d’une trilogie sur le deuil et les rites funéraires chiites, dans lequel il interroge la masculinité. Côté danse justement, d’autres belles échappées en perspectives avec notamment Kreatur de Sasha Waltz, qui travaille sur le confinement des corps, inspiré par une visite d’une prison de la Stasi à Berlin. Raimund Hoghe revient avec deux œuvres : 36, Avenue Mandel, un hommage à Maria Callas et Canzone per Ornella, dédié à la danseuse Ornella Balestra. Jan Martens et Mickaël Phelippeau investiront quant à eux le studio des Hivernales avec respectivement Ode to the Attempt et Ben&Luc ; dans Grito Pelao, Rocio Molina se met en scène aux côtés de sa mère dans une allégorie sur le désir d’enfant et la maternité. Parmi les spectacles hors-normes, citons d’ailleurs Saison sèche de Phia Ménard, qui entend bousculer les codes. Au rayon théâtre, il y aura bien entendu de quoi faire, avec d’abord deux classiques français très attendus : Iphigénie par la jeune metteuse en scène Chloé Dabert, qui face à un horizon implacable fera résonner les vers raciniens à l’aune des problématiques contemporaines sur la place des femmes et le rapport au patriarcat ; le scandaleux Tartuffe de Molière sera revisité de façon explosive par le Lithuanien Oskaras Koršunovas. Pour la pièce-fleuve de l’année, avec une durée de huit heures minimum, Julien Gosselin s’attèle au prolifique Don Delillo, en croisant trois de ses œuvres, Joueurs, Mao II et Les Noms. Nouveau défi de catharsis pour Milo Rau qui prendra pour matière source le meurtre d’un homosexuel à Liège par un groupe de jeunes hommes dans La Reprise. La Cour d’Honneur du Palais des Papes sera le théâtre de la terrifiante pièce de Sénèque Thyeste, mise en scène par Thomas Jolly, empruntant à l’opéra pour représenter la figure du monstre. Ahmed Revient en itinérance, incarné par Didier Galas et trente-quatre ans après sa naissance sous la plume d’Alain Badiou, pour continuer son indécrottable et plus que jamais nécessaire et urgente lutte contre le racisme. Retour également d’Ivo Von Hove avec Les Choses qui passent d’après le Hollandais Louis Couperus. Certaines n’avaient jamais vu la mer, mis en scène par Richard Brunel, retrace la désillusion de milliers de Japonaises exilées aux États-Unis pour devenir des épouses. Le collectif marseillais Ildi! Eldi donnera lui à entendre les voix de témoins d’Ovni(s). Didier Ruiz présentera Trans (Més Enllà), « création et dénonciation » mettant en scène des personnes assignés à leur naissance à un genre dans lequel ils.elles ne se reconnaissaient pas, et traite de la violence que le monde a pu leur renvoyer. Enfin, le directeur Olivier Py ne sera pas en reste, bien au contraire, puisque sa nouvelle création, Pur Présent, composée de trois pièces courtes d’Eschyle qu’il a traduites, sera visible en filigrane pratiquement tout le temps du festival.  

Barbara Chossis

 

Festival d’Avignon : du 6 au 24/07 à Avignon. Rens. : 04 90 14 14 14 / www.festival-avignon.com

Le programme complet du Festival d’Avignon ici